Auteur(s) : Groupe de la Banque mondiale
Type de publication : rapport
Date de publication : juillet 2018
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La Côte d’Ivoire rattrape le temps perdu. Depuis la sortie de crise de fin 2011, le revenu moyen par habitant s’est accru de près de 40 %. À ce rythme, le pays devrait rejoindre le groupe des économies à revenu intermédiaire en 2035, selon la définition de la Banque mondiale, avec un revenu d’environ 4300 dollars par habitant.
Cette performance remarquable doit être nuancée à deux titres. Premièrement, la forte croissance économique n’est pas encore inclusive. Le taux de pauvreté n’a ainsi diminué que de 5 points entre 2011 et 2015 selon les données officielles. Mieux redistribuer les fruits de la croissance est l’un des défis majeurs de la Côte d’Ivoire.
Deuxièmement, le modèle de croissance économique doit être soutenable à long terme. L’utilisation des ressources naturelles à des fins productives ne doit pas mettre en péril les générations futures. Or, le stock de capital naturel du pays est en danger. En effet, la Côte d’Ivoire est l’un des pays avec le taux de déforestation le plus rapide au monde, au moment où les plaines côtières souffrent d’érosion liée à la montée des eaux. De plus en plus, les populations urbaines sont exposées aux dégâts matériels et sociaux causés par les inondations.
Une croissance économique soutenable impose une gestion du capital naturel
Le caractère soutenable de la croissance s’évalue selon la gestion et le maintien de trois formes de capital : capital physique, capital humain et capital naturel d’une génération à l’autre. Si les deux premiers bénéficient traditionnellement d’une attention spécifique, en étant intégré dans les comptes nationaux, la gestion du capital naturel est généralement négligée ce qui peut tronquer le diagnostic. La Côte d’Ivoire devra donc faire face à un risque que l’utilisation incontrôlée de son stock de capital naturel puisse affecter négativement son sentier de croissance économique dans les années à venir.
Le capital naturel regroupe non seulement les stocks d’énergie et d’actifs minéraux, mais également toutes les ressources renouvelables ou non, telles que les sols productifs, les forêts tropicales, les océans, la couche d’ozone, n’importe quel actif naturel fournissant des flux de servi ces écologiques ou économiques au cours du temps. Ce stock étant d’importance prépondérante, notamment dans les pays pauvres en capital financier et humain, il influe sur leur modèle de croissance.
Aujourd’hui, la croissance économique n’intègre pas les pertes de ressources naturelles de bois, pétrole, et terres cultivables ou encore les dégâts subis par l’environnement. Tout simplement parce que ces pertes et destructions ne donnent pas lieu généralement à des estimations monétaires, et ne sont donc pas incluses dans les comptes nationaux. La croissance du PIB est un indicateur trompeur en cela qu’elle ne tient pas compte de l’environnement, ce qui crée une impression faussée de développement.
La Côte d’Ivoire est l’un des pays avec le taux de déforestation le plus rapide au monde, au moment où les plaines côtières souffrent d’érosion liée à la montée des eaux
Les résultats provenant de cette méthodologie pour la Côte d’Ivoire indiquent que la valeur du stock de capital naturel par habitant a diminué de 26 % entre 1995 et 2014 ce qui est important par comparaison internationale. En Côte d’Ivoire, les principales sources sont la déforestation, la surexploitation énergétique et minérale. Il est à noter que la valeur du stock de capital total est remontée depuis 2005 sous l’impulsion de la valorisation des terres agricoles et de la découverte de gisements miniers et du ralentissement de la déforestation. La prise en compte de la valeur du capital naturel est importante pour la Côte d’Ivoire car celui-ci constitue un atout non négligeable pour l’économie.
A la gestion du stock de capital naturel au sein du processus de développement économique, s’ajoute les risques associés au changement climatique. Le réchauffement des températures, la variabilité et l’intensité accrue des précipitations ainsi que la montée des eaux des océans sont autant de facteurs qui contribuent à la détérioration du stock de capital naturel sur la plante. La Côte d’Ivoire se trouve être extrêmement vulnérable, menaçant ainsi sa quête de l’émergence économique.
La croissance du PIB est un indicateur trompeur en cela qu’elle ne tient pas compte de l’environnement, ce qui crée une impression faussée de développement
Le défi pour la Côte d’Ivoire est donc de passer d’une croissance économique quantitative à une croissance durable et qualitative, en valorisant son capital naturel dans son processus économique et en maîtrisant les conséquences du changement climatique.
En premier lieu, les autorités ivoiriennes devraient explicitement inclure l’évolution du capital naturel dans leur stratégie de croissance, en particulier dans la mise en œuvre du Plan national de Développement et leurs autres politiques sectorielles. Ensuite, le gouvernement pourrait examiner les différents instruments qui sont à sa disposition pour mieux gérer ses richesses naturelles. Une possibilité serait d’introduire une fiscalité incitative à la préservation de l’environnement, notamment une taxe carbone qui serait prélevée en fonction des émissions de gaz CO2 par chaque contribuable.
Les revenus collectés par une telle taxe pourraient servir à financer des projets d’investissements ou des filets sociaux ciblant les groupes les plus vulnérables au changement climatique. Un autre instrument que pourraient envisager les autorités serait de modifier le cadre légal et réglementaire de manière à ce que la préservation du capital naturel soit mieux prise en compte par les investisseurs.
Les défis du changement climatique en Côte d’Ivoire
L’importance du changement climatique ne doit pas être ignorée par la Côte d’Ivoire car elle peut aller jusqu’à remettre en cause sa quête vers l’émergence économique. Les coûts sont déjà apparents – inondations, érosion côtière – et ils devraient probablement augmenter au cours du temps si rien n’est fait pour les maitriser. Le gouvernement l’a bien compris car il a donné une attention particulière à ce phénomène, notamment par son engagement au plan international.
Si cet engagement des autorités est le bienvenu, il restera insuffisant s’il ne s’accompagne pas d’une prise de conscience collective. La lutte contre les effets néfastes du changement climatique impose des actions de la part de tous, qui devront être coordonnées et qui devront surtout être mises en œuvre avec un sentiment d’urgence.
Que signifie le changement climatique pour la Côte d’Ivoire ?
Parce qu’un Ivoirien émet, en moyenne, 10 fois moins de gaz CO2 dans l’atmosphère que la moyenne mondiale ou même 33 fois moins qu’un Américain, la Côte d’Ivoire est surtout une victime du changement climatique qui prend place au niveau de la planète. Les conséquences pour le pays sont inquiétantes puisque son indice de vulnérabilité se trouve parmi les plus élevés au monde : à savoir 147ème sur 178 pays.
Ce classement est similaire à celui des autres pays situés le long de la côte atlantique de l’Afrique, tels que le Togo (143), le Nigeria (145) et la Guinée (146), légèrement meilleur que celui de la Mauritanie (154) et du Bénin (155) mais en deçà de celui obtenu par le Ghana (101), le Gabon (120) et le Sénégal (130). La forte vulnérabilité de la Côte d’Ivoire s’explique en partie par l’ampleur du changement climatique mais aussi par le manque de préparation du pays.
Une estimation des coûts économiques associés au changement climatique
Le développement socio-économique et le climat sont inextricablement liés : sans mesures adéquates, le changement et la variabilité climatique mettront en péril les progrès durement acquis depuis quelques décennies et pourront faire basculer des millions de personnes dans la pauvreté (Banque mondiale, 2015). Le problème est d’autant plus grave en Afrique où des millions de personnes dépendent de l’agriculture pluviale et d’autres vivent dans des villes, proches des côtes, sujettes aux inondations.
Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC, 2007), le changement climatique pourrait faire baisser le PIB de l’ensemble de l’Afrique de 2 à 4 % d’ici à 2040 et cette baisse pourrait atteindre 10% voire 25% en 2100. Pour mettre ces pourcentages en perspective, une perte entre 2 % et 4% du PIB de la Côte d’Ivoire représenterait entre 380 et 770 milliards de FCFA en valeur constante de 2017.
Parce qu’un Ivoirien émet, en moyenne, 10 fois moins de gaz CO2 dans l’atmosphère que la moyenne mondiale ou même 33 fois moins qu’un Américain, la Côte d’Ivoire est surtout une victime du changement climatique qui prend place au niveau de la planète
Plus grave, le changement climatique pourrait faire basculer 2% à 6% de ménages supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2030. A titre comparatif pour la Côte d’Ivoire, ceci correspondrait à près d’1 million de personnes supplémentaires qui basculeraient dans l’extrême pauvreté (personnes vivant avec moins de 1,90 USD par jour) et qui s’ajouteront aux 6 millions de pauvres recensés dans le pays en 2015. Une personne qui aujourd’hui vit juste au-dessus du seuil de pauvreté, peut basculer dans la pauvreté quand une inondation détruit sa petite entreprise ou une sècheresse décime un troupeau. Les chocs climatiques peuvent inverser des décennies de travail et d’épargnes.
L’ampleur des pertes économiques s’explique par le positionnement géographique du pays et par sa structure économique. Son économie reste principalement agricole, comptant pour environ ¼ du PIB et la moitié des emplois, particulièrement vulnérable à la pluviométrie et au réchauffement. De surcroît, la concentration de ses activités et infrastructures économiques autour du littoral expose le pays à la hausse prévue de la température, aux changements de pluviométrie et de la montée des eaux.
Le changement climatique pourrait faire baisser le PIB de l’ensemble de l’Afrique de 2 à 4 % d’ici à 2040 et cette baisse pourrait atteindre 10% voire 25% en 2100
Le coût sur le secteur agricole
Le coût sur la pêche ; Le réchauffement de l’eau de mer, l’augmentation du niveau d’acidité et la réduction du niveau de l’oxygène dans le nord-est de l’océan atlantique, entraineraient une réduction de capture de poissons de près de 50% le long de la côte ivoirienne (World Bank, 2013). Cette réduction aurait des impacts néfastes sur la consommation de protéines animales, l’économie et l’emploi.
Coût sur les infrastructures ; en Côte d’Ivoire, les coûts sur les infrastructures économiques du réchauffement climatique quoique non encore estimés seront immenses. De manière générale, les infrastructures comme les centrales électriques, les routes, les barrages hydrauliques, sont toutes vulnérables aux impacts du réchauffement climatique.
Le changement climatique pourrait faire basculer 2% à 6% de ménages supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2030
Le coût humain ; en Côte d’Ivoire, le bilan humain et matériel des catastrophes naturelles a augmenté au cours de ces dernières années suite aux inondations de plus en plus graves et fréquentes. En 2017, par exemple, le bilan humain a été de 20 morts et 43 blessés, sans compter les nombreuses personnes déplacées. Cette situation est aggravée à Abidjan où les inondations à chaque saison des pluies font des dégâts énormes dans plusieurs quartiers populaires tels que la Riviéra Palmeraie, Abobo, et Port-Bouët à cause de la forte concentration de personnes, du manque de préparation, et de l’état précaire de nombreuses habitations et infrastructures.
Le coût dans le cadre de la filière cacao ; premier producteur mondial de cacao, l’économie de la Côte d’Ivoire été historiquement façonnée par cette monoculture.
La filière du cacao est à la fois la source d’une tragédie écologique et une victime du réchauffement climatique. Elle est une tragédie car son exploitation s’est surtout faite à travers l’expansion des surfaces cultivées, qui ont augmenté de près de 40 % au cours des 20 dernières années. Cette expansion s’est faite au détriment des forêts et des zones protégées puisqu’ elle est estimée avoir contribué à 30 % de la déforestation en Côte d’Ivoire.
La filière du cacao sera aussi une victime du changement climatique. En effet, le réchauffement prévu des températures devrait mettre à mal les plantations de cacao, notamment celles situées dans les régions des Lagune et du Sud-Comoé. L’altitude optimale pour la culture du cacao est actuellement de 100-250 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Avec le réchauffement du climat, celle-ci passera à 450-500 mètres d’ici 2050 pour compenser l’augmentation de température (Läderach et al., 2011). Une augmentation de la température devrait assécher plus rapidement les terres et réduire leur fertilité. La réponse logique serait alors de déplacer les plantations vers le Sud-Ouest, qui se trouvant à une plus haute altitude, deviendraient plus aptes à la culture du cacao. Un tel déplacement causera encore plus de déforestation.
Le coût dans le cadre de l’érosion côtière ; aujourd’hui, plus de 2/3 du littoral ivoirien, principalement les côtes sableuses à l’Est du pays, est affecté par des phénomènes d’érosion côtière. Il renferme une grande diversité biologique (Hauhouot, 2002) incluant des zones humides dont certaines d’importance internationale, classées zones Ramsar, une flore et une faune avec des communautés et espèces remarquables et emblématiques, d’importantes forêts marécageuses, des forêts côtières, un système unique de lagunes et estuaires associé à des mangroves et prairies marécageuses. Cette mosaïque d’écosystèmes confère au littoral ivoirien un grand rôle dans le maintien de la diversité biologique au niveau régional car elle fait en effet partie intégrante du grand écosystème marin du courant du Golfe de Guinée.
Une augmentation de la température devrait assécher plus rapidement les terres et réduire leur fertilité
Bien que la section du littoral Fresco soit naturellement vulnérable à l’érosion côtière, le phénomène est exacerbé par la pression anthropique (dégradation et destruction des mangroves et forêts côtières, démographie galopante, urbanisation croissante, grands travaux publics, extraction de sable, pollution industrielle, et la surexploitation des ressources aquatiques) et par le changement climatique tel que l’élévation du niveau de la mer, la hausse des températures et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements météorologiques extrêmes.
Ces phénomènes menacent directement les populations ivoiriennes par la destruction de leurs habitations et le bouleversement de leurs moyens de subsistance (ressources océaniques, lagunaires et d’eau douce), occasionnant ainsi des migrations susceptibles de provoquer des conflits.
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