Auteur : Organisation Internationale pour les Migrations
Site de publication : iom.int
Type de publication: Rapport
Date de publication: 25 Janvier 2022
Introduction
De nombreux pays d’Afrique abritent des institutions dédiées à l’apprentissage des sciences islamiques, parmi lesquelles figurent des écoles d’apprentissage du Coran, notamment pour les enfants. Ces écoles peuvent être officielles (reconnues par l’État et organisées) ou non officielles (non reconnues par l’État et non organisées).
En Afrique de l’Ouest, la Mauritanie est l’un des pays où l’apprentissage du Coran a une part importante dans le système éducatif avec la mise en place d’un Ministère des Affaires Islamiques et de l’Enseignement Originel (MAIEO) chargé de l’exécution de la politique nationale en matière d’affaires islamiques, de l’enseignement originel et de l’alphabétisation au Coran. Cette valorisation de l’enseignement du Coran en Mauritanie a généré la création de nombreuses écoles coraniques (mahadras) par l’Etat Mauritanien, par des structures religieuses privées, ou par des cheikhs indépendants.
L’OIM et les acteurs de protection intervenant dans les mahadras observent depuis des années que de nombreux enfants mauritaniens et d’origine ouest africaine sont envoyés dans les mahadras en Mauritanie par leurs parents afin d’apprendre ou de perfectionner leur apprentissage du Coran. La plupart de ces enfants sont envoyés en étant accompagnés par un parent plus âgé (un frère, cousin, ou parent éloigné). Cependant, la suite du voyage peut avoir comme résultat la séparation de l’enfant de la personne qui était initialement à sa charge.
Profil et provenance des enfants migrants
Les chefs de mahadras ont rapporté que les enfants migrants résidant dans leurs mahadras ont entre 5 et 17 ans et la plupart entre 5 et 14 ans.
A l’unanimité, les chefs de mahadras ont rapporté que les garçons constituent la quasi-totalité des étudiants des mahadras. Très peu de filles résident dans les mahadras. La plupart des chefs de mahadras déclarent qu’ils n’acceptent pas d’héberger des filles dans leur mahadras.
Les nationalités les plus présentes dans les mahadras sont celles des pays voisins de la Mauritanie : les Sénégalais, Maliens, Guinées et Gambiens. Cependant en plus de ces enfants, les informateurs clés ont également indiqué que leurs mahadras accueillent d’autres enfants venant de pays anglophones comme le Ghana, Nigéria et de la Sierra Léone ou de pays lusophones comme la Guinée Bissau. Il a aussi été noté des enfants venus du Maroc et de la Tunisie ou même des Etats-Unis, de France, du Yémen, d’Algérie, de Russie, du Tadjikistan, du Danemark et du Qatar.
Raisons de l’arrivée des enfants dans les mahadras
Même si les profils des enfants migrants dans les mahadras sont divers, la principale raison de la venue de la majorité enfants migrants en Mauritanie pour étudier dans les mahadras demeure commune : l’apprentissage. Les informateurs évoquent également des raisons économiques et financières pour l’arrivée d’enfants migrants dans les mahadras. Ainsi, certains enfants ont été amenés par leurs parents qui n ’ont pas les ressources leur permettant de subvenir aux besoins de leurs enfants, notamment la nourriture, l’éducation, la santé.
Activités et risques liés aux activités effectuées par les enfants migrants résidant dans les mahadras
Dans leur globalité, les chefs de mahadras affirment qu’ils sont, de principe, contre le travail des enfants. Toutefois, les enfants travaillent souvent non pas pour apporter de l’argent aux chefs de mahadras mais pour subvenir à leurs propres besoins, puisqu’ils sont pour la plupart abandonnés par leurs tuteurs. En effet, ces tuteurs se sont engagés, lors de l’inscription, à leur faire des transferts d’argent réguliers pour les besoins des enfants mais les ont finalement abandonnés aux chefs de mahadras.
Les activités effectuées par les enfants migrants dans les mahadras se résument principalement à contribuer aux tâches ménagères notamment à nettoyer la mahadra en dehors des heures d’apprentissage. Cependant, des responsabilités pouvant causer des accidents sont également assignées à certains enfants à bas âge comme c’est le cas d’un enfant âgé de 10 ans, cité dans un des mahadras, en charge de préparer le repas quand les plus grands sont absents. Certains enfants exercent d’autres activités en dehors du mahadra tel que la mendicité afin de compléter leurs besoins en nourriture. En ce sens, ces enfants récoltent directement de la nourriture auprès des ménages et autres donateurs mais aussi de l’argent qu’ils utilisent pour compléter leurs besoins en nourriture.
En effet, la plupart des chefs de mahadras ont confié que la nourriture qui est préparée dans les mahadras pour les enfants n’est pas suffisante pour tous ce qui les motive à laisser les enfants mendier. Certains enfants partent travailler dans les ménages voisins pour y effectuer des tâches ménagères le week- end (dépoussiérer, nettoyer les enclos, laver les moutons, etc.)
Les enfants plus âgés (15 ans et plus) peuvent parfois, le week-end, partir dans les villages voisins pour travailler dans les champs ou dans les blanchisseries pour laver les vêtements. L’orpaillage attire également les enfants migrants du fait des ressources financières que ces enfants peuvent gagner.
A Matamoulana, la totalité des chefs de mahadras ont confié qu’aucun enfant migrant résidant dans leurs mahadras n’exerce d’activités génératrices de revenus ou ne partent mendier. Cette différence s’explique par le fait qu’à Matamoulana, les mahadras ont une très grande renommée en matière de gestion des mahadras et la quasi-totalité des parents disposent des moyens financiers pour subvenir aux besoins de leur enfant dans les mahadras. Cette bonne organisation se matérialise par une meilleure prise en charge de tous les enfants dans les mahadras grâce à la somme d’argent imposée aux parents des enfants mauritaniens vivants dans les mahadras mais aussi aux parents des enfants migrants.
Concernant les risques encourus par ces enfants migrants à cause des activités qu’ils effectuent, les chefs de mahadras ont rapporté que les risques encourus sont divers. En effet, ils ont tous confié que les activités exercées par ces enfants migrants les exposent à des risques. La mendicité les expose aux risques d’accidents de la circulation et aux violences de la rue. Les travaux dans les champs exposent les enfants aux coupures, le port des poids lourds les expose aux courbatures et autres problèmes de santé y afférent.
Accompagnement et lien avec le pays d’origine
Pour la plupart des chefs de mahadras, les enfants migrants qui résident dans leurs mahadras arrivent accompagnés par leurs parents ou leurs tuteurs même s’il existe un faible pourcentage d’enfants qui arrivent seuls au niveau du mahadra. Les accompagnants de ces enfants laissent souvent des numéros de téléphone pour que le responsable du mahadra puisse les contacter en cas de besoins. Cependant, les responsables de mahadras indiquent que, pour certains enfants, les numéros de téléphone laissés par leurs accompagnants sont incorrects et qu’ils n’arrivent pas à communiquer avec les parents. Ceci n’est cependant pas le cas de tous les enfants migrants, notamment ceux des mahadras de Matamoulana qui sont tout le temps en contact avec leurs parents qui leur laissent même des téléphones pour qu’ils puissent entrer en contact avec eux à tout moment.
Conditions de vie des enfants dans les mahadras
Les conditions de vie des enfants migrants dans les mahadras ont été jugées dans leur grande majorité très précaire à l’exception de ceux résidants dans les mahadras de Matamoulana. Ces enfants vivent souvent dans des baraques mal entretenues, ne disposent pas de lits et dorment souvent sur des matelas ou nattes endommagés.
Santé des enfants dans les mahadras
Les échanges sur la santé des enfants migrants ont permis aux chefs de mahadras de présenter les problèmes de santé auxquels les enfants migrants sont exposés. Plusieurs maladies citées sont favorisées par la malnutrition et les mauvaises conditions de vie selon les chefs de mahadras.
Une des maladies les plus citées par les chefs de mahadras sont les maladies de la peau. En effet, ces maladies touchent beaucoup d’enfants à cause de l’insalubrité des établissements. De ce fait, dès qu’il y a une maladie contagieuse affectant la peau, cela affecte beaucoup d’enfants dans les mahadras. Les maladies saisonnières comme le paludisme ont également été citées. Ces maladies font également partie des maladies qui affectent le plus les enfants car ces derniers dorment dans des habitations parfois sans fenêtres et sans moustiquaires, et sont exposés aux maladies comme le paludisme.
Des cas de maladies diarrhéiques ont également été cités par les chefs de mahadras qui sont souvent liés au manque d’hygiène dans la mahadra.
Toutefois, d’autres cas de maladies tels que les insuffisances rénales, les maladies cardiaques ont été aussi rapportés par quelques chefs de mahadras comme maladies affectant quelques enfants dans leurs mahadras.
Besoins des enfants dans les mahadras
De façon générale, les chefs de mahadras ont cité comme principaux besoins :
- L’alimentation ;
- Des habits et couvertures ;
- Un logement décent ;
- Des soins médicaux ;
- Un enregistrement de ses enfants notamment ceux abandonnés par les parents qui pour certains ne disposent pas de papiers d’état civil ou de documents d’identité.
Recommandations
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- De fournir, dans un premier temps, une assistance alimentaire aux enfants dans les mahadras afin de réduire le risque de malnutrition des enfants de façon générale ;
- D’imposer une contribution obligatoire aux parents des enfants résidents ou d’assurer, les cas échéant, l’accès à des bourses d’études pour les familles les plus démunies ;
- De faire des campagnes de sensibilisation auprès des chefs de mahadras sur les limites et les dangers de l’automédication mais également sur les dangers des maladies fréquentes et contagieuses ;
- D’organiser, de la part des hôpitaux et des centres de santé, des visites médicales sous forme de caravane médical ou autre pour rapprocher les services de santé des enfants ;
- D’améliorer les logements dans les mahadras, notamment les installations sanitaires, et d’assurer que les contributions des parents et subventions de l’état sont employées pour cette entreprise ;
- Recenser les nationalités des enfants migrants qui n’ont pas de documents personnels en leur possession et de contacter leurs ambassades et consulats respectifs afin de les aider à se procurer les documents nécessaires pour leur identification. Cela peut se faire à travers des missions consulaires, par exemple ;
- De renforcer les critères permettant d’ouvrir une mahadra en Mauritanie pour que les mahadras aient au moins le strict minimum pour une vie décente et limiter le nombre de personnes pouvant vivre dans les mahadras. Cela est lié à la mise en place d’un système efficace d’inspection de la part du MAIEO, doté des moyens pour organiser des visites et intervenir si nécessaire ; et aussi par la mise en place d’un registre actualisé des mahadras couplé à l’obligation de la part des cheikhs et parents d’inscrire les enfants qui y résident ;
- De renforcer le lien entre l’enseignement originel et le marché de l’emploi pour permettre aux enfants d’intégrer la société mauritanienne ou leurs sociétés au retour dans le pays d’origine ;
- De faire des campagnes de sensibilisation sur le travail et l’exploitation des enfants, ciblant les parents, les enfants mêmes et le voisinage.