Auteur : Sadjina Nadjiadoum, Thomas Foin, Florence Chatot
Organisations affiliées : Groupe URD, Agence française de développement, Care Tchad
Type de publication : Rapport de recherche opérationnelle
Date de publication : Février 2023
Enjeux légaux et politiques relatifs à la santé reproductive au Tchad : état des lieux
Violences basées sur le genre :
- 1 femme sur 3 a été victime de violence physique au moins une fois depuis ses 15 ans.
- La prévalence du mariage d’enfants est parmi les plus élevées du monde (1 femme sur 4 est mariée avant 15 ans).
- 89 % des femmes et 64 % des hommes pensent qu’il est justifié qu’un homme batte sa femme pour certaines raisons.
Même après 20 ans de discussions, le Tchad n’a toujours pas adopté un Code de la famille conforme aux standards internationaux. La Loi n° 029/PR/2015 sur l’interdiction du mariage des enfants a été signée et promulguée. L’inceste, le viol conjugal et le harcèlement sexuel ne sont pas punis dans le nouveau Code pénal promulgué en mai 2017.
Santé reproductive :
- Le taux de mortalité maternelle est actuellement estimé à 860 décès pour 100 000 naissances vivantes.
- Forte prévalence des grossesses précoces due au taux élevé de mariage des mineures.
- Le taux d’utilisation de la contraception par les femmes en âge reproductif est très bas (8 à 9 %).
- Le taux de prévalence du VIH chez les adultes est de 1,2 % (contre 3,3 % en 2005), mais les taux de séropositivité sont toujours plus élevés chez les femmes que chez les hommes, surtout chez les adolescentes.
Malgré sa révision, le Code pénal tchadien conditionne l’accès à l’avortement médicalisé à l’obtention d’une autorisation délivrée par le ministère public et punit d’une peine d’emprisonnement et d’une amende une femme qui se fait avorter et ceux qui contribuent directement ou indirectement à l’acte.
1 femme sur 3 a été victime de violence physique au moins une fois depuis ses 15 ans
Contraintes sociales influençant l’accès à la santé reproductive chez les adolescent.e.s
Le contrôle de la procréation étant au cœur des rapports sociaux de sexe, l’autorité des hommes en matière de reproduction est prédominante.
Globalement, le taux d’utilisation de la contraception par les femmes à l’âge reproductif est très bas (8 % pour les femmes mariées et 9 % pour celles non mariées). La pratique varie selon le milieu avec une prévalence contraceptive moderne plus élevée en milieu urbain (15 %) qu’en milieu rural (6 %) et selon le niveau d’instruction, soit 25 % parmi les femmes ayant un niveau d’études supérieures, 9 % parmi celles ayant un niveau primaire et 5 % parmi celles sans instruction.
Les contraintes d’accès aux soins de santé reproductive pour les adolescent·e·s sont multiformes. Tout d’abord, la vétusté des centres de santé (CS) et leur emplacement dans les villages n’incitent pas les jeunes à s’y rendre. Certaines pièces censément dédiées au planning familial ne le sont pas exclusivement, ou selon un calendrier parfois complexe.
Les adolescentes fréquentent en effet rarement les services de santé reproductive car leur présence dans les centres de santé fait toujours l’objet de suspicion. D’une part, on les suspecte de vouloir accéder aux méthodes de contraception afin de vivre une vie sexuelle sans grossesse avant le mariage ; d’autre part, on les suspecte de chercher un moyen médical sûr pour interrompre une grossesse non désirée.
Le taux de prévalence du VIH chez les adultes est de 1,2 % (contre 3,3 % en 2005), mais les taux de séropositivité sont toujours plus élevés chez les femmes que chez les hommes, surtout chez les adolescentes
Disponibilité, connaissance et utilisation des services de santé reproductive
Le préservatif, qui est davantage considéré comme un moyen contraceptif «masculin», fait l’objet de beaucoup moins d’interprétations négatives et de rumeurs que les contraceptifs contrôlés par les femmes. La grande majorité des adolescents et des adolescentes interrogés durant l’étude savaient que le préservatif protégeait contre les infections sexuellement transmissibles (IST) alors que la contraception prévient seulement les grossesses.
Pour autant, son utilisation se heurte à d’autres déterminants sur lesquels les adolescentes n’ont que peu de contrôle. En effet, nombreux sont les jeunes hommes qui refusent le préservatif : pour des raisons i) d’incommodité, ii) de manque de plaisir et, en moindre proportion, iii) financières. En revanche, la moitié des adolescents reconnaît que les problèmes d’accessibilité sont minoritaires puisque les préservatifs sont disponibles sur tous les marchés, dans toutes les pharmacies et dans certaines boutiques, ainsi qu’accessibles gratuitement dans certains CS et à certaines périodes.
Pour la majorité des adolescentes, la honte est le facteur majeur qui entrave l’utilisation de préservatifs, l’achat de préservatifs par les femmes étant souvent associé aux pratiques «sexuelles tarifées». La crainte d’être considérée comme « des femmes aux mœurs légères » est souvent plus importante dans les perceptions des jeunes femmes que le risque relatif aux IST.
La contraception est donc chargée de représentations populaires et de stéréotypes en tout genre. Leur prise en compte doit pouvoir permettre aux agents en charge de la sensibilisation de déconstruire les idées reçues et de rassurer les usagères sur les effets secondaires réels des différentes méthodes.
Les pratiques à risques chez les adolescent.e.s
Si le risque biologique consécutif aux mariages et aux grossesses précoces est un problème toujours très présent au Tchad, les conséquences sociales et sanitaires de la sexualité prémaritale sont également importantes. En effet, le risque de contamination au VIH, la multiplication des avortements clandestins, l’abandon scolaire consécutif aux grossesses non désirées, les rejets familiaux et la prise en charge des enfants issus de grossesses non désirées sont autant d’enjeux liés à la santé reproductive chez les jeunes.
Les discussions de groupes mixtes avec les adolescentes et adolescents ont mis en évidence, par ordre d’ampleur, les pratiques à risques suivantes comme les plus répandues : 1) La consommation d’alcool ; 2) Les rapports sexuels non protégés ; 3) La consommation du tabac, des stupéfiants et autres produits hallucinogènes ; 4) Les abus sexuels ; 5) Les avortements clandestins.
Violences basées sur le genre dans l’espace domestique, public et communautaire
La violence à l’égard des femmes et des filles se définit comme « tout acte de violence basée sur le genre entraînant, ou pouvant entraîner, des souffrances ou des troubles physiques, sexuels ou mentaux ». Cette définition inclut la menace de tels actes, la coercition ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée. De même, la violence à l’égard des femmes et des filles englobe, sans s’y limiter, la violence physique, sexuelle et psychologique intrafamiliale ou au sein de la communauté en général, et qui est perpétrée ou tolérée par l’État ».
En effet, le risque de contamination au VIH, la multiplication des avortements clandestins, l’abandon scolaire consécutif aux grossesses non désirées, les rejets familiaux et la prise en charge des enfants issus de grossesses non désirées sont autant d’enjeux liés à la santé reproductive chez les jeunes
D’après les discussions avec les adolescents et adolescentes, les formes de violence les plus répandues à l’égard des jeunes filles sont par ordre d’importance : le bafouement du droit à l’éducation, les violences physiques, les dénis de ressources et les violences psychologiques. Les adolescentes et adolescents sont unanimes pour affirmer que ces pratiques sont quotidiennes. Les jeunes filles en parlent très peu, préférant garder le silence de peur d’être à nouveau victimes de violence si les auteurs l’apprennent.
Les avortements illégaux : une pratique lourde de conséquences
Les avortements clandestins interviennent essentiellement dans le cadre de relations sexuelles non-consenties et de relations sexuelles survenues avant le mariage ou hors mariage.
Parmi les risques pour la santé physique associés à l’avortement non sécurisé figurent notamment :
– Une évacuation incomplète (les tissus et produits de la grossesse n’ont pas été complètement retirés ou expulsés de l’utérus) ;
– Les hémorragies (saignements abondants) ;
– Les infections ;
– Les perforations de l’utérus (lorsque l’utérus a été perforé par un objet pointu ou tranchant) ; et
– Les lésions de l’appareil génital et des organes internes par insertion d’objets dangereux dans le vagin.
À ce titre, si la grande majorité des femmes qui ont recours aux avortements illégaux sont des adolescentes non mariées, certaines interlocutrices attestent de la pratique parmi les femmes mariés (pour espacer les naissances) ou encore en cas de grossesse survenue en situation d’adultère. Rappelons que l’accès à la contraception pour les femmes mariées se heurte également à de nombreux obstacles, dont celui qui conditionne l’utilisation des méthodes à l’accord du mari. Comme nous l’avons vu précédemment, même s’il ne s’agit plus d’une condition légale, certains prestataires continuent d’exiger la présence du mari pour la délivrance de contraceptifs.
Les avortements clandestins interviennent essentiellement dans le cadre de relations sexuelles non-consenties et de relations sexuelles survenues avant le mariage ou hors mariage
Pour les autorités religieuses, toutes confessions confondues, l’avortement est considéré comme une violation des préceptes religieux et une négation du droit à la vie humaine. Selon l’un de nos informateurs, dans la religion chrétienne, lorsqu’une femme est accusée d’avoir eu recours à l’avortement (en dehors des raisons fixées par la loi), elle est excommuniée jusqu’à ce que « la situation se régularise » par le paiement de la dote ou le mariage par exemple. La période de repentance et de réparation à l’issue de laquelle elles peuvent être « réhabilitées » par l’église peut durer de nombreuses années.
La prostitution chez les jeunes et les trajectoires de vie des travailleuses du sexe
La prostitution est illégale au Tchad, mais relativement courante, essentiellement dans les villes et le sud du pays. En 2016, l’ONUSIDA dénombrait 1200 prostituées dans le pays. Beaucoup d’entre elles viennent du Cameroun voisin.
Le Tchad est un pays d’origine, de transit et de destination des enfants et des adolescent·e·s victimes de trafic sexuel.
Outre l’esclavage domestique déjà abordé plus haut, une forme de proxénétisme est également pratiquée à l’égard des filles (et en moindre proposition des garçons), aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. C’est le cas par exemple dans certains bars et maquis, c’est-à-dire des lieux confidentialisés fréquentés par des hommes d’un certain milieu social. Dans ces cas, il peut arriver que la tutrice encourage tacitement des relations entre les jeunes serveuses et les clients.
Conclusion
S’il est important de relever les enjeux auxquels sont confrontés les jeunes, il l’est tout autant d’identifier les comportements qu’ils développent pour y faire face. Car si les normes sociales conditionnent en grande partie l’entrée dans la vie adulte en attribuant aux différents comportements des adolescents et des adolescentes une nature soit « déviante » soit « observante », il convient de garder à l’esprit que ces normes ne sont pas immuables.