Auteurs : Hoinathy Remadji, Allah-Kauis Neneck, Valerio Colosio et Santiago Ripoll.
Organisations affiliées : Tackling Deadly Diseases in Africa Program (TDDAP), Institute of Development studies.
Type de publication : Rapport.
Date de publication : 14 septembre 2021.
Synthèse et principales implications
Le manque de capacités des services de santé fournis par l’État, notamment la mauvaise gouvernance, restreint considérablement la capacité du pays à lutter contre les maladies. La charge de morbidité liée aux maladies transmissibles est élevée et celle liée aux maladies non transmissibles est en augmentation. Les acteurs de la santé et les acteurs humanitaires ne partagent pas les données de santé, et les indicateurs produits par les autorités gouvernementales sont parfois peu fiables.
- Il est nécessaire d’améliorer les mécanismes de responsabilisation, de coordination et de partage des informations entre le système de santé et l’ensemble des secteurs, en particulier entre les acteurs de la santé et les acteurs humanitaires.
- Il est nécessaire de soutenir la production d’informations de sciences sociales, médicales et épidémiologiques fiables et de qualité.
- La communication et les messages doivent être adaptés aux cultures, et donc utiliser les langues locales, les terminologies locales et les cadres locaux d’étude des maladies, afin de favoriser les comportements de recherche de traitement.
Le manque d’accès physique et économique et la mauvaise qualité des soins dispensés dans les cliniques publiques impliquent que seuls les habitants des zones rurales et les habitants les plus démunis des zones urbaines cherchent à s’y faire soigner. Cette tendance est exacerbée par le fait que les soins de santé dispensés par l’État ne sont pas gratuits.
- Les systèmes de santé fournis par l’État doivent être renforcés, en développant les capacités des agents de santé, en garantissant leurs moyens de subsistance et en les reconnaissant.
- Afin de renforcer la confiance, la prestation de services de santé doit être adaptée aux coutumes et besoins locaux.
- La prestation de services de santé dans les situations d’urgence épidémique devra être adaptée aux différentes populations du pays, et notamment à leurs préférences culturelles et leurs moyens de subsistance. Par exemple, les communautés nomades du Tchad ont demandé à disposer de cliniques mobiles et de programmes de vaccination associant santé humaine et santé animale. Les communautés doivent être impliquées dans la conception de ces services.
De nombreux facteurs de risque de maladie au Tchad sont davantage liés au manque de services basiques (par exemple l’eau et l’assainissement) et de filets de sécurité qu’aux « comportements à risque ».
- Les causes structurelles de la vulnérabilité aux épidémies peuvent être résolues par la coopération des différents secteurs (WASH, protection sociale, égalité entre les sexes et développement, etc.).
Une importante part de la population se sent privée de ses droits et ne fait pas confiance au gouvernement.
- L’implication d’acteurs reconnus (personnel de santé, organisations de la société civile et autorités locales) dans la riposte aux épidémies peut atténuer la réticence de certaines communautés et alimenter la riposte en perspectives nouvelles et précieuses.
- Les docteurs et les infirmières sont les interlocuteurs privilégiés par la population tchadienne, il est nécessaire de les engager dans les activités de riposte.
Introduction
Malgré l’augmentation des revenus pétroliers des gouvernements pendant presque deux décennies, le système de santé du Tchad est toujours insuffisamment financé et ses capacités en termes d’infrastructure et de ressources humaines demeurent limitées. Cela entrave sa capacité à riposter efficacement aux épidémies et à relever d’autres défis sanitaires. Les épidémies se déclarent dans un contexte complexe et interdépendant de crise humanitaire, notamment en cas de conflits, de déplacements forcés, de catastrophes écologiques (sécheresses, inondations, etc.) et d’insécurité alimentaire.
Système de santé
- Charge de morbidité
Au Tchad, l’espérance de vie à la naissance est de 53 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est de 113,8 pour 1 000 naissances vivantes. Le Tchad affiche l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde à 6,7 %, soit 1 femme sur 15 qui meurt en couche. Les maladies diarrhéiques, les infections des voies respiratoires inférieures, les maladies néonatales, le paludisme et la tuberculose sont les principales causes de mortalité chez les Tchadiens. Les maladies non transmissibles sont de plus en plus importantes.
- Système de santé publique
La gouvernance de l’actuelle infrastructure de santé est dérivée du modèle colonial français, qui était descendant et centralisé. Ce modèle a des conséquences sur la gestion des catastrophes naturelles et des pandémies à grande échelle, car le pouvoir décisionnel centralisé crée des goulots d’étranglement.
Les financements et le personnel qualifié font cruellement défaut au système de santé. On compte seulement 3,7 médecins ainsi que 2,1 infirmières et sages-femmes pour 100 000 habitants, et ceux-ci sont principalement concentrés dans la région de N’Djamena. Il y a 40 lits d’hôpital pour 100 000 habitants.
D’une manière générale, très peu de personnes ont accès au système de santé au Tchad. La prestation de soins biomédicaux reste très limitée et il n’y a pas d’accès gratuit à l’ensemble des services de santé fournis par l’État.
La gratuité des soins a été introduite par la loi pour les services de soins maternels, le soutien aux enfants de moins de 5 ans, les urgences et le traitement de la tuberculose et du VIH/sida. Cependant, un grand nombre de ces services demeurent payants en l’absence de financements adéquats.
Le taux de fréquentation des centres de santé dans les zones rurales figure parmi les plus faibles du monde. Les inégalités de revenus et le coût élevé des soins de santé et des transports signifient que seules les personnes aisées des zones urbaines peuvent se passer des cliniques publiques, qui dispensent des soins de mauvaise qualité. Les ménages plus pauvres des zones urbaines et les habitants des zones rurales sont contraints à des soins de santé de mauvaise qualité.
Prestataires alternatifs de soins de santé
Les personnes choisissent leurs prestataires en fonction de leurs affiliations communautaires et religieuses. Les patients musulmans ont tendance à davantage recourir aux traitements prodigués par le marabout, un chef spirituel également chargé de dispenser des soins de santé de base dans les communautés rurales, tandis que les patients chrétiens ou les patients adeptes de religions traditionnelles préfèrent généralement se tourner vers les guérisseurs traditionnels, dont le nom et la fonction varient selon la communauté locale concernée.
Cette préférence initiale pour les prestataires alternatifs de soins de santé est accentuée par le manque de confiance dans les cliniques publiques et leur coût excessif. Quand il en existe dans leur région, les personnes démunies préfèrent se tourner vers des ONG ou des cliniques religieuses plutôt que vers les établissements de santé publics. En effet, ces derniers dispensent des soins moins coûteux.
Prestation de services, expérience des soins et pratiques d’exclusion
En 2016, un ancien ministre de la Santé publique a reconnu que le système de santé peinait à répondre aux besoins des personnes démunies, des indigents et des populations rurales. Depuis l’époque coloniale, l’État concentre l’infrastructure dans les grandes villes, négligeant les zones rurales. Par conséquent, les services de santé publique n’atteignent pas les régions reculées.
Mené en 2012, un sondage indiquait que 9,4 % des personnes interrogées se sont heurtées à une discrimination pour accéder aux services de santé, en raison de leur origine ethnique, de leur confession, ou de leur situation socio-économique.
Épidémies de maladies infectieuses, riposte et préparation
Risque de maladie et vulnérabilité
- Maladies endémiques et urgence saisonnière
Au Tchad, les épidémies de maladies telles que le choléra et le paludisme sont fréquentes. La rougeole et d’autres maladies évitables par la vaccination sont répandues dans ce pays. Les zoonoses sont courantes et ont un impact sur la sécurité économique des gardiens de troupeau et sur leurs résultats médicaux. La fièvre de la vallée du Rift est répandue dans le pays, tout comme la fièvre Q (associée à l’élevage de dromadaires), la brucellose et les trypanosomiases.
- Populations vulnérables
Les populations vulnérables varient en fonction de l’épidémie, mais celles qui présentent de potentielles comorbidités extrêmement répandues dans le pays, telles que le VIH/SIDA, les infections parasitaires, la malnutrition et les taux élevés de malaria, sont plus susceptibles d’être touchées.
Les populations vulnérables incluent les personnes dont l’infrastructure WASH (eau, assainissement et hygiène pour tous) est insuffisante, les populations rurales, les pasteurs nomades, les populations urbaines démunies, les habitants des camps de déplacés, les pêcheurs, les enfants des rues et les femmes.
- Importance des mouvements de populations
Le caractère poreux et arbitraire des frontières du Tchad (fruit de son histoire coloniale) implique l’existence de liens ethniques, de parenté et économiques de part et d’autre de la frontière. En outre, les mouvements transfrontaliers sont fréquents, à cause de la migration internationale de travailleurs, de la mobilité saisonnière du bétail, des visites aux proches pendant les fêtes, etc. Parmi les autres facteurs ayant une influence sur la mobilité figurent les conflits et les phénomènes extrêmes : ces dix dernières années, les troubles au Soudan (par exemple le conflit du Darfour) et leurs répercussions à la frontière orientale ont entraîné des déplacements transfrontaliers et internes de population dans l’est du pays.
Gouvernance et principaux acteurs
- Autorités gouvernementales
Seulement 18 % des Tchadiens interrogés dans le cadre d’un sondage Gallup de 2014 déclaraient avoir confiance en l’honnêteté des élections. Le pouvoir politique et militaire de l’État est dominé par des élites originaires du nord du Tchad, et les postes importants dans les entreprises et en politique sont dominés par le groupe ethnique des Zaghawas et les réseaux familiaux du Président. Par conséquent, les autres groupes ethniques et les chrétiens originaires du sud du pays se sentent exclus. Cela pourrait expliquer la méfiance de la population à l’égard des conseils sanitaires prodigués par le gouvernement.
La majorité de la population a confiance dans les recommandations sanitaires émises par les docteurs et les infirmières. Les sages-femmes et les infirmières sont reconnues et respectées dans les zones rurales, c’est pourquoi les ONG les recrutent souvent pour sensibiliser sur le sujet des femmes dans les projets de développement.
En cas d’épidémie, les autorités sanitaires s’appuient généralement sur une diversité d’acteurs tels que les chefs traditionnels, les associations de jeunes et de femmes, les comédiens, les conteurs (troubadours et griots) et les journalistes pour assurer une communication efficace.
Défis actuels et recommandations
Le Tchad n’est « pas prêt » pour une épidémie, et que si celle-ci venait à se déclarer, elle entraînerait des pertes en vies humaines et un bouleversement politique et économique. La préparation et la riposte aux épidémies sont également entravées par des urgences humanitaires complexes dans diverses régions du pays, où urgences sanitaires, crises de sécurité alimentaire, urgences environnementales et conflits se superposent, entraînant des effets multiplicateurs. Par exemple, en pleine pandémie de COVID-19, les acteurs gouvernementaux et humanitaires ont dû faire face à des épidémies de paludisme et de chikungunya, à des inondations catastrophiques, à des pertes de récolte et aux problèmes de sécurité alimentaire en résultant, ainsi qu’à des conflits localisés.