Organisation affiliée : Global Protection Cluster
Type de publication : Rapport
Date de publication : Octobre 2023
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Contexte
Les affrontements entre l’armée soudanaise et les forces de soutien rapide qui ont éclaté le 15 avril 2023 à Khartoum avant de s’étendre à plusieurs localités du pays, ont fait des centaines de morts, des milliers de blessés et contraint des milliers de familles à demander l’asile à l’Est du Tchad, qui figurait déjà parmi les zones les plus démunies du pays et dans d’autres pays frontaliers ou à retourner dans leur pays d’origine. Cette situation qui vient s’ajouter aux différentes crises interconnectées que connaît le Tchad, dont le déplacement forcé, l’insécurité alimentaire, la crise sanitaire et les catastrophes naturelles dont les inondations et défis d’ordre économique et sociopolitique auxquels le pays est confronté, a un impact considérable sur les interventions et de manière spécifique sur celles de la protection.
Environ 418,187 nouveaux réfugiés soudanais et 62,300 retournés sont enregistrés dans la province de l’Est, qui accueillait déjà plus 607,269 réfugiés. Ce nombre augmente au jour le jour, mettant en mal l’offre des services, des capacités et des ressources disponibles. La crise du Soudan affecte au premier chef les populations civiles constituées majoritairement de femmes et d’enfants à environ 85%. Ces personnes ont subi des atrocités dans le pays d’origine et tout au long de la fuite.
Impact sur la protection des civils
La présence des groupes armés non étatique et de certaines milices du fait de la porosité des frontières, à proximité d’un camp de transit de réfugiés et des ouvrages publiques, expose la population civile à des violations potentielles des droits humains notamment les atteintes à la propriété, à l’intégrité physique, les violences sexuelles et pourrait être un frein pour la satisfaction de certains droits fondamentaux.
En ce qui concerne spécifiquement les enfants, ils constituent 65% des réfugiés soudanais récemment afflués à l’est du Tchad. L’on y dénombre un fort taux de malnutrition aigüe sévère et modérée qui entraîne une mortalité infantile exponentielle. Les violences basées sur le genre, font partie des risques de protection majeurs auxquels font face les femmes et les filles au Tchad.
Tous ces facteurs sont autant d’obstacles au développement socioéconomique des femmes et des filles. Les mouvements de populations -enjeu humanitaire majeur au Tchad- augmentent les risques de violences sexuelles basées sur le genre (VSBG). En effet, lors de mouvements forcés de populations, les déplacés deviennent totalement dépendants de l’aide humanitaire pour leur survie, les exposant ainsi aux risques d’exploitation et d’abus sexuels, en particulier à l’endroit des femmes et des filles.
Impact sur la situation démographique et socioéconomique et sur les programmes humanitaires réguliers.
L’afflux de réfugiés et retournés du Soudan affecte considérablement la répartition des ressources naturelles par conséquent impacte sur la jouissance des droits économiques et sociaux de la population d’accueil et celui des réfugiés. Une augmentation démographique d’environ 35% aggrave la limitation des droits fondamentaux et d’accès aux services sociaux de base, au droit à l’alimentation et à un niveau suffisant de vie suffisant et renforce la promiscuité et la consommation des substances psychoactives, mettant en mal la santé mentale des personnes affectées.
Cette situation touche toutes les catégories des populations, réfugiés, retournés et communautés hôtes. Elle est exaspérée par plusieurs facteurs aggravants, notamment, l’utilisation des espaces agricoles pour accueillir les réfugiés, la limitation de mise en œuvre des moyens d’existence, la mendicité infantile, la délinquance et les actes de banditisme, etc.
Depuis le début de l’urgence, il a été observé un chamboulement au niveau des programmes réguliers. Pour répondre à l’urgence et sauver des vies, la quasi-totalité des partenaires par solidarité déploient régulièrement le peu de ressources logistiques, humaines et financières et les assistances pour faire face à cet afflux massif sans précédent à l’Est Tchad. Les trois provinces de l’Est, Ouaddaï, Wadi Fira et le Sila faisaient déjà face à plusieurs défis opérationnels, avant cette nouvelle crise.
Risques de protection
- Séparation forcée des enfants et des familles exacerbent les abus, le travail des enfants et violences physiques et psychologiques.
Tous les acteurs de protection de l’enfance s’accordent sur l’existence des situations de nature à remettre en cause le bien être de plusieurs enfants réfugiés, retournés et même ceux de la communauté hôte à l’Est du Tchad. Avant la nouvelle crise, les enfants de manière générale étaient déjà utilisés à des fins économiques à travers les activités commerciales, minières et pastorales, le mariage d’enfants, la mendicité et le placement des enfants auprès de maitres coraniques.
La plupart des familles de réfugiés et de retournés nouvellement admises au Tchad, sont des familles monoparentales ayant majoritairement à leur tête des femmes avec plusieurs enfants en charge. Cela constitue une source de risques à l’égard des enfants dans un contexte marqué par le surpeuplement dans les zones d’accueil, les défis d’accès aux services sociaux de base et la promiscuité tant dans les camps/sites que dans les communautés familles d’accueil. Les enfants contraints de quitter les parents se livrent à des stratégies de survie néfastes.
- Violence sexuelle et sexiste basée sur le genre.
Entre Mai 23 et Septembre 2023, ce sont env. 348 cas de VBG qui ont été enregistrés à l’Est soit : 17% de cas de viol, 8% de cas d’agression sexuelle, 36% d’agression physique, 24% de violence psychologique, 9% de cas de déni de ressource et 6% de cas de mariage force.
Par ailleurs, selon la Banque Mondiale, environ 67 % des femmes sont mariées avant d’atteindre leurs 18 ans, cette situation déjà alarmante et renforcée par l’afflux massif des réfugiés et des retournés aux effets complexes, pourrait entraîner davantage de disparités et des mécanismes néfastes d’adaptation.
- Discrimination et stigmatisation, refus de ressources, d’opportunités, de services et/ou d’accès à l’aide humanitaire.
L’arrivée massive des réfugiés et retournés à l’Est du Tchad et leur mode d’installation a réduit les espaces cultivables dans certaines localités à forte concentration des personnes victimes du déplacement forcé (réfugié et retournés). Les principales provinces affectées par la crise à l’Est sont marquées par une faiblesse des services sociaux de base, bien que des efforts soient en cours par certains acteurs de protection.
La faiblesse voir le manque des revenus des ménages contraint plusieurs individus à se rabattre sur le peu de ressources naturelles existantes pour combler leurs besoins de base, avec comme corollaire la destruction de l’environnement, notamment la coupure du bois de chauffe à usage domestique. Des cas d’agression physique relevant des cas de violences sur les femmes lors de la collecte de bois. Si des ressources adéquates ne sont pas disponibles, pour répondre à ces besoins et gaps prioritaires, les risques liés aux conflits/tension intercommunautaires, exaspérés par les facteurs ci-dessous sont probants.
Réponses
Dès le début de la crise, des actions d’urgence ont été mises en place pour accueillir les réfugiés, les migrants et les retournés par différents partenaires et sous la conduite du Gouvernement à travers la CNARR, HCR et l’OIM. Les activités ont été mises en œuvre suivant une approche multisectorielle. Ces réponses restent insuffisantes dans ces localités marquées par l’extrême vulnérabilité et la pauvreté.
On note une avancée majeure, avec l’appui technique et financier d’UNICEF, dans le renforcement du système de protection de l’enfant à travers l’adoption de la politique nationale de protection de l’enfant, la mise en place d’un système national harmonisé de gestion de cas; la digitalisation de l’enregistrement des naissances à travers un guichet unique installé dans les centres de santé, la prise de mesures portant interdiction de la mendicité des enfants. Les espaces amis d’enfants ont été mis en place en urgence pour la résilience des enfants affectés par la crise.
Aussi, les réponses déployées jusqu’à présent ne tiennent pas suffisamment en considération les besoins de communauté d’accueil et ciblent principalement les réfugiés et retournés à la suite de l’insuffisance des ressources. Ceci met en péril d’une part le programme les approches holistiques envisagées dans le cadre du Pacte mondial pour les réfugiés visant notamment le lien entre l’humanitaire et le développement (et la paix) ainsi que la prise en compte des réfugiés et des communautés hôtes dans leurs approches et projets.
La communauté humanitaire a mobilisé des ressources mais ces fonds restent insuffisants, d’autant plus que selon la Banque Mondiale, plus de la moitié des Tchadiens sont vulnérables à la pauvreté, notamment 60 % des habitants des zones rurales et 29 % en zones urbaines.
D’un point de vue général, l’insuffisance de financement joue un rôle majeur dans les difficultés à apporter une assistance humanitaire adéquate aux différents groupes de populations vulnérables (réfugiés anciens, réfugiés récents, retournés et populations hôtes) et constitue un facteur qui fragilise la cohésion sociale.
Recommandations
- Le renforcement des mécanismes de protection à base communautaire dans les communautés hôtes et sites des retournés pour la prévention, l’identification et le référencement des enfants victimes et ou à risque vers les services de prise en charge est une nécessité pour rendre plus visible les interventions en leur faveur.
- Renforcer le système de gestion des cas pour assurer une prise en charge individualisée des enfants et de leurs familles et rechercher des solutions durables à leurs préoccupations.
- Fournir et aménager des espaces confidentiels, sûrs pour les femmes/filles pour la fourniture aux survivantes des services intégrés en matière de lutte contre la VBG et les approvisionner en kits post viol et autres Kits SR importants pour les femmes/filles.
- Mobiliser les ressources financières afin de poursuivre le renforcement ou la mise en place des Centres Intégrés de Services Multisectoriels pour renforcer l’offre de services VBG de qualité́.
- Poursuivre les efforts de renforcement du cadre légal à travers l’adoption des lois visant le renforcement des civils et la mise en place des mesures nécessaires à leur mise en œuvre effective, notamment les textes sur le domaine foncier.
- Rechercher des partenariats stratégiques au niveau global, régional et national pour la gestion politique et durable de la crise du Soudan.
- Pour réduire les risques liés aux conflits et les tensions communautaires, les programmes d’appui aux moyens de subsistance et inclusion économique, prendre en compte les besoins des plus vulnérables des communautés d’accueil, afin que toutes les interventions en faveur des retournés et refugiés contribuent à renforcer la coexistence pacifique.