Auteur : Anouar Boukhars
Site de publication : Africa center
Type de publication : Article
Date de publication : juin 2020
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L’extrémisme violent représente toujours l’un des plus grands défis à la paix et à la sécurité au Sahel. En effet, les groupes islamistes militants font preuve d’une endurance extraordinaire malgré leur déroute militaire dans le nord du Mali en 2013 suite au déploiement de l’opération Serval menée par la France (aujourd’hui l’opération Barkhane). En effet, les groupes extrémistes violents au Sahel sont aujourd’hui plus nombreux, plus importants et plus meurtriers, et ils se concentrent désormais dans le centre du Mali, le nord-est du Burkina Faso et l’ouest du Niger.
Grande absente de cette histoire, la Mauritanie, qui en est largement épargnée. La transformation de la Mauritanie, qui représentait le maillon le plus faible de la chaîne dans cette région en crise et qui en est devenue l’un des plus résilients, est édifiante. Ce pays fut le premier du Sahel à être frappé par des attaques terroristes en 2005. Cependant, depuis 2011, il est parvenu à écarter la menace croissante et diversifiée des groupes islamistes militants.
L’exemple de la Mauritanie est d’autant plus révélateur que les menaces contre la sécurité au Sahel se caractérisent par des niveaux d’intérêts qui s’entrecroisent et s’entrecoupent aux niveaux local, régional et national. Il est important de souligner que le gouvernement a réussi à rétablir son autorité et à reprendre le contrôle sur les régions frontalières, que les groupes islamistes militants du Sahel ont bien souvent exploitées à leur avantage.
Dans la ligne de mire du terrorisme
Dans les années 2000, pour échapper à la pression toujours croissante de l’appareil sécuritaire algérien, les extrémistes algériens ont cherché refuge dans les régions peu peuplées du Sahel au sud de l’Algérie. Cherchant à établir sa présence par la lutte armée, le 4 juin 2005, le Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat (GSPC) attaque une caserne de l’armée à Lemgheity en Mauritanie, près de la frontière malienne et algérienne, faisant 15 morts parmi les soldats mauritaniens. Jusqu’à la fin des années 2000, la Mauritanie enregistre une multiplication des actions terroristes, devenant un point chaud pour l’enlèvement de citoyens occidentaux au Sahel.
Les Mauritaniens représentent alors également un nombre disproportionné d’idéologies extrémistes violentes et d’agents terroristes de haut niveau. Ils sont influents et surreprésentés dans la branche saharienne du GSPC, rebaptisée Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2007. En effet, les Mauritaniens constituent la deuxième source de combattants et d’idéologues pour AQMI, juste derrière les Algériens. L’attentat de 2008 à Tourine, dans le nord du désert mauritanien, où 12 soldats sont enlevés puis décapités, est un sinistre rappel de la menace terroriste que représente AQMI pour le pays.
Refonte de l’armée
Cette refonte militaire commence par des actions à la fois symboliques et fondamentales destinées à renforcer les infrastructures de combat et la qualité de vie des soldats. Les premières interventions, symboliques, portent sur les installations vétustes et le bas moral des troupes, avec la restauration de casernes, la fourniture de nouveaux uniformes et des augmentations des salaires et des soldes pour tous les personnels militaires. Sur le fond, le processus de modernisation militaire prend forme avec d’importantes augmentations du budget militaire, ce qui va permettre d’accélérer la formation militaire, l’acquisition de nouveaux armements et matériel, ainsi que la création de forces spéciales. De toute évidence, outre l’augmentation du budget militaire, multiplié par quatre entre 2008 et 2018 (pour atteindre 160 millions de dollars), des choix stratégiques concernant les priorités des activités d’acquisition et d’approvisionnement militaires étaient indispensables.
Au lieu d’acheter du matériel militaire coûteux dont elle n’avait pas les moyens, la Mauritanie préfère mettre en œuvre des réformes structurelles et acquérir des équipements adaptés à ses besoins. Pour renforcer les capacités aériennes, les autorités portent leur choix sur l’appareil militaire léger EMB-314 Super Tucano brésilien, conçu pour voler à des températures et des conditions d’humidité élevées et sur des terrains accidentés, comme le désert mauritanien.
Parallèlement, pour lutter contre le trafic de drogue et de cigarettes, la marine nationale se procure des navires neufs ou remis à neuf en Espagne, en Chine et dans l’UE pour patrouiller ses 754 kilomètres de côtes. Enfin, les forces terrestres mauritaniennes sont équipées de camionnettes modernes et de matériel de géolocalisation.
Dialoguer avec les extrémistes
Les défenseurs de cette thèse citent notamment des documents datant de 2011 confisqués au moment de la mort d’Oussama Ben Laden et qui faisaient référence aux tentatives de rapprochement entre le gouvernement mauritanien et Al-Qaïda en 2010. Ils avancent également comme élément probant la libération par la Mauritanie en 2015 de Sanda Ould Bouamama, ancien porte-parole d’Ansar Dine, lié à Al-Qaïda, détenu dans le cadre d’un mandat d’arrêt international, ainsi que la curieuse décision de Daesh en 2015 de ne pas inclure la Mauritanie dans sa wilayat (province) d’Afrique de l’Ouest. Le fait que la Mauritanie ait été épargnée par le terrorisme depuis 2011 et que son armée ait, dans une large mesure, évité de s’attaquer à des groupes extrémistes violents alimente les spéculations sur la mise en place d’un pacte de non-agression.
Les Mauritaniens justifient leur position, la qualifiant de défensive et nécessaire. Après tout, l’Algérie, dont l’armée est la plus importante et la mieux équipée de la région, a adopté une stratégie similaire qui consiste à s’abstenir d’attaquer militairement des acteurs armés en dehors de son territoire, tout en amnistiant des extrémistes violents et en dialoguant avec eux. Certains observateurs affirment que l’un des ingrédients du succès de la Mauritanie en matière de sécurité pourrait être l’ouverture de canaux de communication et de contact avec les groupes armés et les trafiquants.
D’autres soutiennent que cette stratégie manque de vision et qu’elle nuit aux efforts régionaux entrepris pour lutter contre les groupes extrémistes violents transnationaux. En tant que membre de l’alliance du G5 Sahel, les promesses de bonne volonté du pays sont parfois remises en question par ses partenaires qui reprochent à Nouakchott de ne pas avoir respecté son engagement de fournir un bataillon à la force conjointe.
Poursuivre la bataille
Les investissements stratégiques du gouvernement mauritanien ont permis d’améliorer les infrastructures frontalières. Ils ont aussi privilégié la capacité du gouvernement à assurer une présence dans des zones longtemps considérées comme éloignées et inaccessibles. Des réformes supplémentaires des services de sécurité mauritaniens ont permis de réorganiser efficacement les forces armées en fournissant aux soldats mauritaniens des équipements modernisés, une formation stratégique et de meilleures conditions de rémunération et de vie.
Même si la Mauritanie reste dirigée par un homme fort militaire, les réformes qu’elle a entreprises ne sont pas une fonction de son système politique fermé. Ces changements offrent en fait des enseignements pertinents pour les autres gouvernements du Sahel confrontés à des groupes extrémistes. Les nombreux critiques mauritaniens du gouvernement ont même reconnu les progrès notables réalisés dans leur pays.