Auteur : Hassane Koné
Site de publication : ISS
Type de publication : Article
Date de publication : Mars 2022
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Au Sahel, dix années d’interventionnisme militaire n’ont pas résolu une crise sécuritaire aux conséquences politiques, sociales, économiques et humanitaires désastreuses. De nombreuses voix s’élèvent donc pour demander une réponse politique qui inclurait également des formes de dialogue avec les groupes extrémistes violents. Cette option n’est pas nouvelle. Mais avec le recul de l’influence de certains partenaires occidentaux, notamment la France longtemps opposée à cette possibilité, elle est de moins en moins taboue.
Le 25 février, le président nigérien Mohamed Bazoum annonçait avoir libéré neuf « terroristes » en vue d’ouvrir le dialogue avec leurs groupes. Avant lui, les anciens président et Premier ministre maliens, feu Ibrahim Boubacar Keita et Moctar Ouane, avaient abordé cette piste, de même que l’ancien Premier ministre burkinabè, Christophe Dabiré.
Au Mali, des débats nationaux successifs ont dégagé un relatif consensus, au moins depuis 2017, sur la nécessité d’ouvrir un dialogue avec les djihadistes maliens. En décembre 2021, des pourparlers avaient été annoncés, puis démentis. Quelques mois plus tôt, de discrètes négociations avaient provisoirement desserré l’étau sur la ville de Djibo, au Burkina Faso.
De nombreuses voix demandent une réponse politique incluant le dialogue avec les groupes extrémistes
Fin 2009, après plusieurs années d’attaques djihadistes meurtrières et face aux limites de la réponse militaire, les autorités mauritaniennes ont décidé d’entreprendre une démarche politique visant à prendre en compte les causes de la radicalisation religieuse. Elles ont ainsi engagé un dialogue idéologique avec 70 détenus djihadistes, afin de détricoter les ressorts de leur radicalisation et de les réinsérer. Leur exemple devrait dissuader d’autres ralliements aux groupes extrémistes violents.
Le débat doctrinal ne suffira pas, il devra s’inscrire dans une stratégie de dialogue plus large
Tout d’abord, si le dialogue circonscrit à des individus incarcérés a étouffé une crise naissante en Mauritanie, il risque de s’avérer insuffisant dans un Sahel central affecté par une multiplicité de groupes et des niveaux de violences largement supérieurs. Pour être efficace dans ce contexte, le dialogue devra s’étendre à la fois aux dirigeants, aux combattants actifs et aux personnes associées aux groupes extrémistes violents, hommes comme femmes.
Ensuite, si le dialogue doctrinal peut déradicaliser les djihadistes motivés par un référentiel religieux, son efficacité pourrait s’avérer limitée face à d’autres types d’incitations. Or, les recherches de l’Institut d’études de sécurité montrent que la conviction religieuse n’est pas la seule cause d’enrôlement dans les groupes djihadistes au Sahel.
Si le débat doctrinal peut donc être utile, il doit néanmoins s’inscrire dans une stratégie de dialogue plus large, mieux à même d’aborder les causes profondes des ralliements aux groupes djihadistes qui sont entre autres de nature sociale, sécuritaire, économique et politique.
La Mauritanie a mis l’accent sur l’accompagnement du retour à la vie civile. Ainsi, pour consolider les avancées acquises à travers le dialogue, les actes doivent suivre la parole afin d’offrir aux personnes démobilisées des perspectives viables de retour à une vie socio-économique normale. Il importe également d’inscrire cette démarche dans une logique de prévention qui prenne en compte les segments démographiques ciblés par le recrutement dans les groupes extrémistes.
Enfin, le cas des « repentis » mauritaniens ayant repris le djihad signale la nécessité de prendre en compte les effets pervers de la paix négociée, qui peut repousser les récalcitrants dans les territoires voisins. Cela signifie, pour les États du Sahel, que tout dialogue avec les djihadistes requiert une démarche régionale coordonnée, afin d’éviter un effet de vases communicants qui étendrait l’emprise géographique de ces groupes.