Auteur : Virginie Baudais
Site de publication : pasas – minka
Type de publication : Rapport
Date de publication : Janvier 2024
Lien vers le document original
Introduction
Après l’Algérie, la Mauritanie a été l’un des premiers pays touchés par la menace terroriste (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, GSPC) et la présence de katiba est rapportée dans le pays, y compris à Nouakchott, dès 2005. Pour répondre aux attaques, la Mauritanie a apporté trois types de réponses :
La première visait à renforcer la présence de l’État partant du principe qu’apporter de l’aide aux populations et assurer la présence de services sociaux de base sont essentiels pour décourager l’adhésion aux groupes armés. La seconde a permis de renforcer le dispositif sécuritaire – création d’unités méharistes de groupement nomade chargées de la surveillance et du renseignement et qui se déplacent dans les zones enclavées et militarisation de la frontière avec le Mali– et la surveillance des routes grâce à des moyens aériens et l’installation de postes fixes de sécurité, avec pour ambition de neutraliser la menace djihadiste. Enfin, la troisième réponse est une réponse théologique par l’instauration d’un dialogue politico-théologique entre théologiens et prisonniers.
Côté malien, la chute du régime libyen en 2011, ayant encouragé le retour de combattants d’origine malienne et nigérienne, est avancée comme un facteur important de déstabilisation de la bande sahélienne. Cependant, la rapidité et l’intensité de la contagion au niveau régional réside dans des facteurs structurels – faiblesse de l’État, implantation progressive de groupes armés qui étendent leur influence du Nord Mali à la région du Liptako-Gourma puis au nord des États côtiers. Si la Mauritanie a choisi de s’appuyer sur ses propres forces pour lutter contre le terrorisme, la lutte antiterroriste au Mali « a été déléguée aux États-Unis, à l’Algérie, à la Mauritanie » et à la France jusque très récemment.
La fin de la (non) mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger (2015)
Si la mise en œuvre de l’Accord de paix pour la réconciliation (2015) n’avait connu que peu d’avancées sous les deux mandats d’Ibrahim Keita (2013-2020), les autorités militaires au pouvoir à Bamako depuis 2020 ont une vision plus déterminée de sa (non-)mise en œuvre et une approche territoriale plus centralisée et unitaire. En 2019, le dialogue national inclusif avait recommandé la « relecture intelligente » de cet accord de paix avec pour objectif la refondation de l’État-Nation mais le 14 novembre 2023, la reprise de Kidal par les armes est un acte politique à haute portée symbolique pour le régime militaire, qui marque la volonté de retour de l’État dans cette ville d’où il était absent depuis 2012. La reprise par la force ne suffira cependant pas à « réparer les rapports entre l’État et les communautés ».
Début 2024, la question de l’Accord de paix a continué d’opposer la communauté internationale et le gouvernement malien de transition :les membres du conseil de sécurité ont rappelé « le caractère central de l’Accord de 2015 (…) et ont exhorté toutes les parties signataires à reprendre le dialogue et à s’engager à mettre en œuvre l’accord afin de garantir la paix et la stabilité au Mali » tandis que le comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) proposait « l’abandon pur et simple de cet accord » au profit d’un dialogue inter-malien.
Le 25 janvier 2024, le gouvernement malien a tranché à travers deux communiqués, dénonçant dans le premier la « multiplication d’actes inamicaux, de cas d’hostilité » de la part de la République algérienne et annoncé dans le second la fin de l’Accord pour la paix et la réconciliation « avec effet immédiat ». Quelques jours plus tard, le 26 janvier 2024, le gouvernement malien a annoncé la création d’un comité de pilotage du Dialogue malien pour la Paix et la Réconciliation nationale.
Des économies locales asphyxiées par l’insécurité
La Mauritanie partage avec le Mali une frontière de plus de 2000 km et les populations des régions frontalières subissent fortement le ralentissement des activités commerciales transfrontalières dont la mise en place de nouveaux couloirs de transhumance dans la région du Hodh Chargui, la hausse du prix des denrées et du coût de gardiennage des animaux.
Les violences au Mali ont des répercussions économiques sur les populations maliennes comme des heures et des zones de pêche restreintes par les groupes armés, les agriculteurs qui ne peuvent plus cultiver les champs éloignés à cause de la présence des groupes ou parce que les champs sont brûlés ou des aires de pâturage inaccessibles. Les populations se déplacent en Mauritanie souvent avec leur bétail, ce qui impose une pression très forte sur les communautés hôtes, l’environnement et les ressources de la région, déjà limitées.
Le cycle de transhumance est également perturbé puisque le déplacement du bétail mauritanien subit les contraintes de l’insécurité au Mali. Les autorités mauritaniennes alertent régulièrement les éleveurs sur les risques (assassinats et vol de bétail) auxquels ils s’exposent en traversant la frontière mais la limitation des déplacements pose d’autres risques que ce soit au niveau de la sécurité alimentaire ou des tensions créées (piétinement, épidémies, etc.) dans une des régions les plus pauvres du pays. Le risque environnemental est important dans une zone marquée par les sécheresses ou inondations, l’utilisation du bois de chauffe ou du charbon de bois comme combustible quotidien.
Mbera, seconde ville de Mauritanie
Au 31 octobre 2023, la Mauritanie accueillait 112 021 réfugiés dont 98,5 % sont des Maliens (108 095). Parmi tous ces réfugiés, 51 % sont des femmes et 54 % des enfants (0-17 ans). Les réfugiés maliens arrivent en Mauritanie par la région frontalière du Hodh Chargui qui accueille plus de «110 000 réfugiés maliens sur une population d’accueil estimée à environ 500 000 personnes».
Dans cette région, 86.586 sont enregistrés dans le camp de Mbera, 1.313 sont enregistrés en dehors du camp et 10.553 sont en attente d’enregistrement et 1.268 sont enregistrés dans la ville de Néma (chef-lieu de la région) et 5.732 sont autour de Néma.29 Les réfugiés qui arrivent par le sud de la Mauritanie sont en majorités des populations peulhes et ceux qui arrivent par le sud-est sont en majorité des populations touarègues et arabes, avec quelques populations peulhs.
Conséquences politiques et positionnement du gouvernement mauritanien dans la gestion des flux de réfugiés
Le HCR et la GIZ ont recensé 153000 réfugiés maliens mais la réalité se situerait autour de deux à trois fois ce chiffre en Mauritanie, ce qui représenterait entre 3 et 9 % de la population mauritanienne. Des points de passage existent mais le problème aujourd’hui est un « afflux massif désorganisé (…) les réfugiés entrent partout ». Les réfugiés sont présents dans tout le Hodh Chargui et selon la cellule de développement de la région « les habitants de Fassala ont été multipliés par 4, ceux de Megve par 3 tandis que Mbera est aujourd’hui la deuxième plus grande ville en Mauritanie après la capitale Nouakchott ».
C’est un sujet de préoccupation majeure parce que la Mauritanie n’a jamais fait face à autant d’arrivée de réfugiés, même en 2012-2013. Le camp de Mbera est saturé et le Japon a fourni une aide de 2 millions de USD en 2023 via le Programme alimentaire mondial ce qui a permis de fournir une aide alimentaire à 65.000 réfugiés maliens entre juillet et novembre. Le HCR a réclamé 32 millions pour pouvoir mener ses opérations mais seuls 12 millions ont été apportés. L’Union européenne a également apporté une aide additionnelle de 500 000 euros en fonds humanitaires pour soutenir les réfugiés maliens à travers Action Contre la Faim.
Conséquences sociales : préserver la cohabitation pacifique entre réfugiés et communautés hôtes
Selon Kadari Traoré et Adinla Saye, s’il est « souvent affirmé qu’il n’existe aucun problème entre les réfugiés maliens et mauritaniens (…) la poursuite des entretiens conduit souvent à contrarier ces premières affirmations ». C’est également ce qui est ressorti de nos discussions avec des populations hôtes qui disent « ne pas gagner grand-chose » à cette situation et qu’ils en paient le prix à cause de la rareté des pâturages, de la dégradation de l’environnement ou de la concurrence sur le marché du travail.
La nécessité de préserver la cohabitation pacifique entre les deux communautés est constamment rappelée et celle-ci est d’autant plus importante que les conditions de retour volontaire ne sont pas réunies du fait de la dégradation continue de la situation sécuritaire au Mali. Ainsi, la présence prolongée de réfugiés, dont le flux ne tarit pas, au contraire, commande des actions spécifiques, en particulier dans la région du Hodh Chargui.
Il existe un risque de bouleversement démographique : la Mauritanie a principalement accueilli des populations arabes et touarègues, mais de plus en plus de populations peulhes arrivent en Mauritanie, venant du centre du Mali, en passant par la région de Koulikoro. Ces nouveaux arrivants ne s’installent pas à Mbera mais dans les localités du Hodh Chargui. L’arrivée de populations peulhes fait craindre des problèmes de cohésion sociale et rend cette question très sensible.
Les interlocuteurs ont présenté les populations peulhs comme extrêmement pauvres et cette pauvreté (groupe de femmes et enfants qui mendient) contraste avec les populations touaregs et arabes qui « conduisent des Land Cruiser ». La rareté des ressources, la pression sur les services sociaux et les ressources mais aussi la concurrence de la main-d’œuvre malienne sont considérées comme des menaces à la paix sociale.