Auteur : Croissant Rouge Mauritanien
Site de publication : Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC)
Type de publication : Rapport
Date de publication : Février 2020
Résumé exécutif
Un déficit pluviométrique en 2019/2020 au niveau de plusieurs régions de Mauritanie, caractérisé par une mauvaise répartition spatio-temporelle des pluies, la eu comme conséquence une faible production agricole, la rareté des pâturages, la perte de moyens d’existence, réduction de revenus et de pouvoir d’achat des ménages et une migration accrue vers les grandes villes. Le Croissant Rouge Mauritanien (CRM) a mené une évaluation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les départements de Modjéria, Barkeol, Mbout et Ould Yenge du 06 au 16 février 2020. Cette évaluation a permis de constater l’impact négatif sur les activités principales des moyens d’existence et une dépendance accrue des ménages envers les marchés pour l’achat des denrées alimentaires. Ainsi, les priorités des ménages affectés résident dans la couverture des besoins alimentaires, les besoins en eau potable et la nécessité de protéger les actifs productifs à travers l’aliment bétail.
Contexte
La Mauritanie fait face à un cycle récurrent de déficit pluviométrique depuis quelques années, en 2019 le déficit pluviométrique s’est caractérisé par une mauvaise répartition spacio-temporelle des pluies. A certains endroits, les populations ont dû faire face à de fortes inondations alors qu’à d’autres on enregistre des anomalies de disponibilité immédiate en eau et d’importants déficits en eau de surface. La situation projetée pour juin-septembre 2020 indique que 20 Moughataa seront en phase sous pression et 23 en phase de crise, avec 609 180 personnes en insécurité alimentaire sévère. Les départements les plus touchés incluent Tagant, Brakna, Guidimagha, Gorgol, Assaba et les deux Hodh.
Objectifs de l’évaluation
L’évaluation vise à évaluer la situation alimentaire et nutritionnelle et les moyens d’existence des ménages les plus vulnérables dans les départements de Moudjéria, Barkéol, Mbout et Ould Yenge. Les objectifs spécifiques incluent l’évaluation de l’impact de la campagne agricole 2019/2020, l’évaluation de la situation des marchés locaux, l’identification des stratégies d’adaptation des populations, et la formulation de recommandations pour une stratégie de résilience à moyen et long terme.
Méthodologie de la mission
La méthodologie repose sur l’analyse de la Sécurité Économique des Ménages (HES). Le processus inclut la collecte d’informations secondaires, la participation aux réunions thématiques, et la coordination avec les acteurs humanitaires. Quatre équipes ont été déployées dans les départements ciblés pour mener des enquêtes ménages, des focus groups, et des entretiens avec des acteurs clés. Les outils de collecte de données incluent des questionnaires sur KOBO, des fiches d’observation, et des entretiens avec les acteurs clés.
Profil des moyens d’existence
Les départements de Moudjéria, Barkeol et Mbout appartiennent à la zone agropastorale MR07, où les activités sont concentrées autour de l’agriculture et de l’élevage. Le département de Ould Yenje, dans la région de Guidimagha, fait partie de la zone MR09 où l’agriculture pluviale domine. Les revenus des communautés agropastorales proviennent principalement de la vente du bétail, de la production agricole, et de la migration saisonnière. Le climat est marqué par une alternance de saisons de pluie et de sécheresse. Les principales cultures incluent le maïs, le niébé, et la pastèque graine. L’élevage est principalement transhumant.
Chocs et structures d’appui
Les agriculteurs et éleveurs sont confrontés aux aléas climatiques, tels que les sécheresses, et à des chocs limitants comme les ennemis des cultures. Différents plans nationaux soutiennent les populations agropastorales, mais leur couverture est limitée dans les zones les plus reculées. Les marchés dans la zone agropastorale ont une couverture relativement bonne, mais les villages plus retirés dépendent des détaillants des grands et moyens villages.
Impact de la sécheresse sur la sécurité économique des ménages
Impact sur les capitaux de moyens d’existence
L’analyse révèle les impacts négatifs suivants :
- Capital humain: Augmentation de la malnutrition chez les enfants dépendant du lait de bétail, transhumance précoce créant un manque de lait, migration accrue et manque de main d’œuvre dans les zones rurales.
- Capital physique: Récoltes très mauvaises ou inexistantes, stocks des producteurs pratiquement inexistants, recours aux achats de denrées alimentaires, diminution du cheptel, manque de semences et/ou vente des outils agricoles, augmentation des prix des aliments pour bétail.
- Capital naturel: Manque de pluies affectant les terres cultivables, faible remplissage des barrages, réduction de la biomasse et des pâturages, transhumance précoce vers des pâturages éloignés, parfois hors du pays.
- Capital social: Arrêt des activités des coopératives agricoles féminines, migration de membres de familles, certaines villages abritant seulement des femmes, enfants et anciens.
- Capital financier: Augmentation des dettes des ménages auprès des boutiquiers, faible source de revenus générée par l’emploi ou la vente de la production agricole et animale.
Impact de la sécheresse sur les sources d’alimentation et de revenu des ménages
Sources d’alimentation
Les ménages dépendent de leur propre production de sorgho, mil et maïs, mais cette année, la faible production oblige les ménages à se tourner vers des denrées alimentaires importées (riz et blé). 87.8% des aliments consommés sont achetés sur les marchés, souvent à crédit pour les ménages pauvres. La consommation des produits locaux a diminué, et les ménages sont endettés.
Stocks alimentaires des ménages
En 2016, 75% des ménages disposaient de stocks alimentaires pour couvrir leurs besoins jusqu’à mars/avril. En février 2020, 60% des ménages n’ont plus de stocks, et 9% auront épuisé leurs stocks à la fin du mois. Les ménages plus nantis pourront tenir environ 2 mois.
Sources de revenu
Les principales sources de revenus dans les villages visités étaient la vente de récoltes agricoles et d’animaux. Cependant, certains villages dépendent davantage de l’élevage que de l’agriculture, sans pour autant réduire leur vulnérabilité aux crises alimentaires car les petits éleveurs utilisent les produits agricoles comme aliments pour le bétail. Avec la rareté des pâturages ces dernières années, les revenus actuels des ménages proviennent principalement de l’emprunt, de la vente d’animaux, de la petite production agricole et maraîchère et du travail journalier (31 %).
Dépenses des ménages
En février 2020, 70 % des ménages déclarent acheter plus d’aliments que d’habitude, consacrant en moyenne 76 % de leurs revenus à cette fin. Les dépenses pour l’alimentation de base restent la principale préoccupation, mais les dépenses pour l’achat d’aliments pour bétail ont augmenté de 5 % en 2016 à 15 % en 2020, dues à la diminution des pâturages.
Consommation et diversité alimentaire
La diversité alimentaire est bonne pour 75 % des ménages, mais la quantité et la qualité sont faibles. En février 2020, les ménages consomment moins de produits locaux en raison de la faible production agricole de 2019. Le score de consommation alimentaire montre que 45 % des ménages ont une alimentation insuffisante en quantité et en qualité, avec des résultats particulièrement préoccupants pour Guidimagha où 83 % des ménages ont un score de consommation limite ou pauvre.
Stratégies d’adaptation
Les ménages adoptent des stratégies de survie négatives telles que manger des aliments moins appréciés, emprunter ou acheter à crédit, réduire les portions et le nombre de repas quotidiens.
Impact sur la nutrition
La situation nutritionnelle est préoccupante. À Mbout, les responsables des centres de santé signalent que les effets de la sécheresse ne sont pas encore perceptibles, mais les perspectives sont inquiétantes.
Marché de denrées alimentaires
Les marchés sont bien approvisionnés, mais les produits locaux sont rares. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 10 à 25 % par rapport à 2019, notamment dans le Gorgol et le Guidimagha. L’accès aux marchés est difficile en raison de l’enclavement et de l’état des routes.
Marché de bétail
Les marchés de bétail sont peu approvisionnés en raison de la transhumance précoce et de la faible demande locale. Les prix des animaux gras ont augmenté de 10 à 25 %, tandis que les animaux moins gras voient leurs prix baisser.
Seuil de survie
La plupart des ménages ne disposent pas de stocks alimentaires et doivent vendre leurs animaux pour acheter de la nourriture. Cette situation les empêche de couvrir leurs besoins essentiels, notamment en aliments pour bétail. Si aucune intervention n’est mise en place, leur situation alimentaire et nutritionnelle se dégradera davantage.
Quels sont les besoins d’assistance
Les communautés ont identifié plusieurs actions prioritaires pour limiter les impacts négatifs de la situation :
- Assistance alimentaire urgente pour combler les besoins en nourriture des ménages vulnérables.
- Distribution d’aliments pour bétail dès mars 2020.
- Amélioration de l’accès à l’eau potable, notamment pour les villages éloignés.
- Fourniture d’intrants et réhabilitation des digues pour les agriculteurs.
- Diversification des moyens d’existence pour réduire la dépendance au climat.
Intervention du gouvernement et des acteurs humanitaires
Le gouvernement surveille la situation et met en œuvre des actions d’urgence à moyen et long terme. Le commissariat à la sécurité alimentaire (CSA) distribue des vivres aux ménages vulnérables. Le programme EMEL continue cette année avec des limites, telles que des ruptures d’approvisionnement et une couverture partielle du territoire.
Assistance alimentaire
Le CSA coordonne la planification des besoins en assistance alimentaire. Les partenaires présents couvrent les besoins alimentaires par des distributions en espèces pour la soudure de juin à septembre 2020.
Assistance pour les moyens d’existence
Le sous-groupe national travaille sur les outils d’évaluation des besoins en moyens d’existence et a validé une matrice pour les types d’assistance :
- Distribution de chèvres laitières et d’aliments pour bétail.
- Distribution de kits vétérinaires et de semences fourragères.
- Équipement des puits pastoraux et formation sur les cultures fourragères
- Distribution de semences vivrières et maraîchères.
Analyse des alternatives pour une intervention
Points saillants de l’évaluation
La situation de sécurité alimentaire et nutritionnelle est alarmante dans les quatre départements évalués, affectés par le déficit pluviométrique récurrent depuis 2017. Les détails varient d’un village à l’autre, mais les impacts négatifs incluent la faible production agricole et l’épuisement des pâturages, entraînant une migration accrue et des ventes massives d’animaux à bas prix. La diminution des revenus et la dépendance accrue aux emprunts augmentent la vulnérabilité des ménages.
Priorités de la population
Les priorités incluent l’assistance alimentaire urgente, la distribution d’aliments pour bétail, l’amélioration de l’accès à l’eau potable, et le soutien aux agriculteurs et aux femmes productrices de légumes.
Axes d’intervention possibles
Pour répondre aux besoins urgents à court terme, il est proposé de fournir une assistance alimentaire et nutritionnelle, de distribuer des aliments pour bétail et de soutenir la préparation de la prochaine campagne agricole. À moyen et long terme, les activités de relèvement et de résilience comprennent l’amélioration de l’accès à l’eau potable et l’eau pour les animaux, le restockage des animaux, la promotion de cultures fourragères, le soutien aux agriculteurs pour la protection des cultures, la réhabilitation des digues, et l’appui aux coopératives féminines pour la production maraîchère.
Recommandation pour une intervention
L’intervention est recommandée à deux niveaux : à court terme pour réduire les risques d’insécurité alimentaire en répondant aux besoins alimentaires et nutritionnels de 68 447 personnes dans les quatre départements ciblés et en protégeant le petit cheptel des ménages très pauvres. À moyen et long terme, l’intervention devrait s’inscrire dans un programme de résilience communautaire focalisé sur la diversification et la protection des moyens d’existence, le renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles des communautés, et l’amélioration des capacités stratégiques et opérationnelles du CRM pour mieux répondre aux crises alimentaires et de résilience. L’intervention doit être en synergie avec le plan national de réponse élaboré par le gouvernement et les partenaires, en évitant les duplications d’activités.