Auteur : Catherine Van Offelen
Site de publication : Conflits.com
Type de publication : Article
Date de publication : Août 2022
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Au Sahel, la Mauritanie est le seul pays à ne pas avoir connu d’attaques djihadistes depuis 2011, alors même que la région connaît une forte dégradation sécuritaire et que son voisin malien subit des attaques répétées. Cette « exception mauritanienne » s’explique par une stratégie à la fois multidimensionnelle et spécifiquement sahélienne, pragmatique et adaptée à la guerre dans le désert.
La Mauritanie, un territoire épargné par les attaques
Au Sahel, la montée en puissance des groupes armés terroristes (GAT) représente un défi majeur à la paix et à la sécurité dans la région. La contagion de la menace semble inexorable, malgré la présence des troupes françaises depuis 2013 et une coopération régionale sécuritaire importante. Si les attaques se concentrent dans le centre du Mali, le nord-est du Burkina Faso et l’ouest du Niger, la menace se propage désormais dans les pays du golfe de Guinée : la Côte d’Ivoire, le Togo ou encore le Bénin font régulièrement état d’incursions djihadistes sur leur territoire.
La Mauritanie, vaste territoire désertique d’environ 4,6 millions d’habitants, fait figure d’exception. Aucune attaque terroriste n’a été recensée sur son sol depuis le 20 décembre 2011, alors même que le pays partage une frontière de 2 200 km avec le Mali, épicentre de la crise au Sahel avec le Burkina Faso. La Mauritanie semble être le premier exemple d’une victoire contre les GAT dans la région, et un exemple édifiant de passage d’une situation de menace terroriste à une phase de stabilisation et d’amélioration de la situation sécuritaire.
Dans la ligne de mire des GAT
Le pays, devenu par ailleurs le théâtre de plusieurs enlèvements d’Occidentaux, semble alors constituer une cible facile pour la branche saharienne du GSPC – rebaptisée Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2007 – qui parvient à se déplacer aisément sur ses vastes étendues de territoires ingouvernés, ainsi qu’à y recruter et y fomenter ses opérations. Le pays passe sous les feux des médias et l’inquiétude grandissante suscitée par l’insécurité conduit les organisateurs du « Paris-Dakar » à annuler la course en janvier 2008 pour la première fois de son histoire.
Une refonte de l’armée
Cette restructuration de l’armée est amorcée par le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Cet ancien chef de la sécurité présidentielle, profitant du contexte troublé, s’empare du pouvoir en 2008 à la faveur d’un coup d’État militaire, avant d’être élu président un an plus tard, puis réélu en 2014. Il développe une stratégie globale pour endiguer la menace et, grâce à une embellie du contexte économique marqué par une augmentation de l’exploitation des ressources minières (or, cuivre et fer notamment), lance les plus importantes réformes de l’histoire mauritanienne à ce jour.
Le processus de modernisation militaire démarre avec une augmentation substantielle du budget militaire, qui passe d’une enveloppe de 123 millions de dollars USD en 2008 à plus de 200 millions en 2020, soit une augmentation de presque 63% en douze ans. Cela représente un effort conséquent pour un pays aussi pauvre (environ 2,5% de son PIB sont ainsi consacrés à la défense), mais les dépenses vont se porter sur des choix stratégiques qui se révéleront particulièrement pertinents, privilégiant les réformes structurelles et l’acquisition de matériel adapté à ses besoins, mais aussi l’amélioration des infrastructures de combat et de la qualité de vie des soldats.
Une stratégie de guérilla, adaptée au champ de bataille
Calquant son modèle opératoire sur celui des GAT qu’elle combat, la Mauritanie se lance dans la création de huit Groupes Spéciaux d’Intervention (GSI), des unités d’élite, légères et mobiles, conçues pour être polyvalentes. Pour favoriser leur cohésion, chaque unité de GSI se limite à environ 200 hommes, bien entraînés et ayant servi ensemble pendant plusieurs années. Solidement équipées en matériels logistiques et en munitions (eau, vivres, véhicules 4 × 4 armés de mitrailleuses lourdes et adaptées à la guerre du désert), ces unités « nomades » peuvent mener des opérations antiterroristes de façon autonome. À l’instar de l’ennemi qu’ils traquent, elles sont ainsi capables de circuler durant plusieurs jours dans le désert sans ravitaillement.
Les frontières, tracées « au cordeau » au moment de l’indépendance, traversent des zones extrêmement arides, mais sont néanmoins zébrées de routes de transhumance séculaires, lieux de passage traditionnel de populations et de marchandises, pour le commerce licite comme pour divers trafics. L’armée mauritanienne a donc pris le parti de placer des postes de contrôle fixes sur ces routes transfrontalières, lesquelles rejoignent en général les points d’eau. Le reste de cette vaste région désertique et inhospitalière de 850 kilomètres sur 250, où nul individu « honnête » n’est supposé circuler est déclarée « zone militaire » en 2008.
Un dialogue entre le gouvernement mauritanien et les groupes armés ?
Les défenseurs de cette thèse invoquent notamment des documents que les États-Unis affirment avoir trouvés en 2011 dans la cache pakistanaise où a été tué l’ancien leader d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden. Ces documents déclassifiés font état d’une tentative de rapprochement entre le groupe et Nouakchott en 2010, révélant que la Mauritanie aurait possiblement versé de 10 à 20 millions d’euros par an pour éviter les enlèvements de touristes.
En outre, la libération répétée de membres de groupes armés, comme celle de Sanda Ould Bouamama en 2015, ancien porte-parole d’Ansar Dine, lié à Al-Qaïda, pourtant détenu dans le cadre d’un mandat d’arrêt international, ou encore le refus, durant l’opération Serval menée en 2013 par la France au Nord-Mali, d’apporter une aide militaire au sol à son allié français, ont contribué à nourrir les suspicions.
Quels enseignements de la stratégie mauritanienne pour le Sahel ?
Les raisons de ce succès sont multiples. Au-delà des investissements consentis dans l’équipement, la formation des soldats et la modernisation structurelle de son armée, c’est surtout une stratégie typiquement sahélienne, pensée et conduite localement, tirant profit des particularités nationales, qui a permis à la Mauritanie de reprendre le contrôle de son espace, au point que ce pays fait aujourd’hui figure d’exemple dans la lutte contre les mouvements djihadistes. Devant ce constat, la question se pose de savoir si la stratégie mauritanienne est « exportable » dans d’autres pays sahéliens, en proie aux mêmes défis.
La Mauritanie présente la particularité d’être une république islamique et le seul parmi les pays du Sahel à n’avoir pas de constitution laïque. Cela constitue un ciment unitaire très fort pour sa population à 100% musulmane, à la différence de ses voisins qui présentent des minorités chrétiennes et animistes, parfois importantes comme au Burkina Faso.