Auteurs : Pierre Kamdem, Abdel Hakim Tahir Arim
Organisation affiliée : The Conversation
Type de publication : Article
Date de publication : Août 2023
Le Tchad à l’épreuve d’un nouvel afflux de réfugiés soudanais
Depuis le 15 avril 2023, au Soudan, de violents affrontements opposent les forces de l’armée régulière, dirigées par le chef de la junte, le général Abdel-Fattah Al-Burhan, aux Forces de Soutien Rapide (FSR), anciennes milices paramilitaires arabes Janjawids (ou Janjaouids) commandées par le général Mahamat Hamdan Dagalo, alias Hemetti.
Les FSR ayant fait du Darfour leur base arrière, les forces de l’armée régulière ont entrepris d’y armer les communautés noires. En effet, au Darfour, les FSR terrorisent les populations noires locales ; celles-ci sont à leur tour armées par Khartoum pour affronter les FSR. Ce contexte incite de nombreux habitants du Darfour à fuir vers le Tchad voisin.
Or il y a vingt ans, des dizaines, voire des centaines de milliers de réfugiés avaient déjà rejoint le Tchad ; ces gens s’y trouvent encore à ce jour. L’afflux actuel de migrants propulse cette longue crise quasi oubliée dans une nouvelle catastrophe, alors que les besoins des « anciens réfugiés » restent loin d’être couverts. L’épuisement des maigres ressources locales aggrave la vulnérabilité quotidienne de la communauté hôte et accroît le risque d’embrasement de ce conflit.
Le Tchad, première victime du conflit soudanais
Partageant avec le Soudan une frontière de 1 360 km, le Tchad connaît une exacerbation de la crise humanitaire dans l’Est du pays, où douze camps de réfugiés sont installés depuis 2003. Les conséquences de cette crise sont d’ordre sécuritaire, économique, environnemental et politique.
Sur le plan sécuritaire, le Tchad doit sécuriser sa longue frontière avec le Soudan. En matière économique, les échanges commerciaux se sont estompés, entrainant une flambée des prix, ce qui accélère l’extrême fragilité des communautés hôtes. L’environnement subit des pressions, à l’instar du bois de chauffe, qui reste la seule source d’énergie disponible. Et sur le plan politique, le Tchad, en transition politique, redoute un potentiel transfert du conflit soudanais sur son territoire.
L’afflux actuel de migrants propulse cette longue crise quasi oubliée dans une nouvelle catastrophe, alors que les besoins des « anciens réfugiés » restent loin d’être couverts. L’épuisement des maigres ressources locales aggrave la vulnérabilité quotidienne de la communauté hôte et accroît le risque d’embrasement de ce conflit
Une crise tchado-soudanaise plus sévère que celle de 2003
Par rapport à 2003, la crise actuelle a des répercussions économiques inattendues sur le Tchad. La première crise n’avait pas empêché les échanges commerciaux entre les deux pays, l’Est du Tchad dépendant beaucoup du Soudan en termes d’approvisionnement en produits de première nécessité. La livre soudanaise y est privilégiée dans les transactions commerciales.
En six semaines de conflit, en date du 19 juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) avait dénombré 115 980 personnes déplacées, majoritairement des femmes et des enfants. À cette date, le nombre de réfugiés estimés par l’organisation dépassait les 150 000. La porosité de la frontière complique la tâche des différents acteurs de l’humanitaire, confrontés aux difficultés liées à la saison des pluies, qui risquent d’épuiser les moyens de subsistance des populations.
Dans ce contexte, le danger de famine au sein de cette population, déjà très fortement affectée par la malnutrition infantile aiguë, nécessite une mobilisation accrue de tous les acteurs.
L’urgente nécessité d’une aide humanitaire
Le défi majeur pour mettre en place une aide humanitaire efficace est de mobiliser la communauté internationale autour de la crise. Pour rappel, le Tchad accueille déjà plus de 400 000 réfugiés soudanais ; or leurs besoins ne sont pas financés à hauteur de ce qu’ils devraient être, loin de là. Seuls 20 % des financements attendus pour le Tchad en 2022 dans le Plan de Réponse Humanitaire mis en œuvre par l’ONU avaient été mobilisés.
En termes de mobilisation, un engagement financier des donateurs est très attendu. Sur le plan de la protection, il convient, d’une part, de mettre à l’abri des violences les personnes ayant franchi la frontière et d’installer des abris d’urgence pour héberger les réfugiés qui se trouvent en pleine nature, vulnérables face aux intempéries ; d’autre part, de protéger les acteurs humanitaires.
En six semaines de conflit, en date du 19 juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) avait dénombré 115 980 personnes déplacées, majoritairement des femmes et des enfants. À cette date, le nombre de réfugiés estimés par l’organisation dépassait les 150 000
Quatre hypothèses
Quatre hypothèses se dégagent aujourd’hui : 1) la poursuite de la confrontation actuelle, ce qui impliquera une accélération des diverses exactions ; 2) une victoire des forces armées soudanaises, qui se traduirait par un repli des FSR sur le Darfour, dont les forces de Burhan, avant tout préoccupées par la sécurisation de Khartoum et de ses environs, leur abandonneraient le contrôle ; 3) une situation où les FSR prendraient le dessus – les Darfouris ne pourraient alors aucunement compter sur la protection du nouveau gouvernement central ; 4) La quatrième hypothèse, moins dramatique pour ces populations, repose sur une éventuelle intervention de la communauté internationale, option qui semble pour l’heure lointaine malgré la récente venue au Tchad de la secrétaire adjointe de l’ONU.
Sur le plan logistique, les différents mécanismes d’urgence doivent être rapidement mis en action afin de mobiliser les fonds nécessaires pour garantir l’assistance humanitaire. Sur le plan judiciaire, et à l’instar de l’actuelle initiative de la CPI, les juridictions pénales internationales doivent se saisir de la question face aux violations des conventions du droit international humanitaire.