Auteur : David BÉNAZÉRAF
Organisation affiliée : IFRI Asie
Type de Publication : Rapport de recherche
Date de publication : Septembre 2014
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La présence chinoise en Afrique inquiétait déjà dans les années 1960 : « Ce livre est un cri d’alarme. Il a pour objet de montrer toute l’ampleur qu’a prise la pénétration communiste chinoise en Afrique en un laps de temps vraiment record, cinq années à peine », écrivait l’ancien magistrat colonial belge Édouard Mendiaux en préface de son ouvrage anticommuniste L’Afrique sera chinoise. Si cet ouvrage s’inscrit dans le contexte particulier de la guerre froide et de ses répercussions en Afrique, il reflète toutefois l’essai d’influence politique de la Chine de Mao dans l’exportation du socialisme en Afrique.
« L’influence européenne en Afrique est aujourd’hui faiblissante et la Chine fait son entrée sur la scène. La place confortable dont bénéficiaient les États-Unis et l’Europe dans le passé est progressivement réduite par la langue, les valeurs, les idées, l’histoire et les produits de la Chine qui sont en train d’être rapidement assimilés en Afrique. »
Le rôle joué par la Chine en Afrique fait l’objet de critiques régulières et d’un nombre croissant de publications, dont certaines mettent en lumière le déploiement d’un soft power chinois sur le continent. Les outils du soft power chinois seraient toutefois plus étendus que ceux définis par Joseph Nye selon qui le soft power consiste à obtenir des autres ce que l’on veut soi-même par l’acceptation plutôt que la coercition. Joseph Nye exclut notamment les outils économiques , alors que les outils généralement reconnus du soft power chinois incluent la réaffirmation d’un discours politique, une retenue sur les questions diplomatiques sensibles, une diplomatie culturelle et d’influence, mais aussi les volets aide et commerce.
Les principes invoqués par Pékin dans sa relation avec les États africains demeurent basés sur ceux établis par l’ancien Premier ministre Zhou Enlai. Entre 1949 et 1976, la Chine reste un acteur marginal en raison de ses faiblesses économiques et difficultés intérieures. Mao Zedong perçoit l’Afrique comme une terre d’exportation de la révolution : les motivations chinoises sont principalement politiques. Le pays entretient toutefois peu de contacts avec l’Afrique avant la conférence de Bandung en 1955. La visite du Premier ministre Zhou Enlai dans dix pays africains entre décembre 1963 et février 1964 pose les principes de l’aide chinoise.
Pour sa stratégie d’image, le ministère chinois des Affaires étrangères dispose également d’un ambassadeur itinérant pour les affaires africaines, comme il en existe pour d’autres zones. Nommé au poste de représentant spécial du gouvernement chinois pour les affaires africaines après avoir été notamment ambassadeur en Afrique du Sud entre 2007 et 2012, S.E. Zhong Jianhua est connu pour ses compétences de négociateur dans les dossiers difficiles, son ouverture et une certaine liberté de ton. Au cours de ses déplacements en Afrique et dans les forums internationaux, cet ancien diplômé de l’Institut des langues étrangères de Pékin s’attache à démystifier la perception de la présence chinoise en Afrique. Soulignant la proximité des destins chinois et africains comme mentionné par l’actuel président Xi Jinping, il insiste notamment sur le fait que la Chine a traversé un long chemin avant de parvenir à son niveau actuel de développement.
Les principes invoqués par Pékin dans sa relation avec les États africains demeurent basés sur ceux établis par l’ancien Premier ministre Zhou Enlai. Entre 1949 et 1976, la Chine reste un acteur marginal en raison de ses faiblesses économiques et difficultés intérieures. Mao Zedong perçoit l’Afrique comme une terre d’exportation de la révolution
La Chine a signé plus de 65 accords culturels avec des pays africains et adopté 150 plans de mise en œuvre. Dans le domaine de la coopération éducative, 19 universités chinoises ont établi des programmes de coopération avec 29 universités africaines dans 23 pays dès 2003. Sous la forme de jumelages, ces coopérations s’inscrivent dans la lignée du discours chinois sur les échanges mutuels. Lors du cinquième Focac en juillet 2012, le gouvernement chinois a annoncé l’octroi de 18 000 bourses pour des étudiants africains. Ces bourses d’études en Chine sont octroyées au nom de la coopération Sud-Sud.
Les Instituts Confucius incarnent une figure du soft power chinois et illustrent la volonté des autorités de développer une influence culturelle , même si leur implantation demeure en théorie à l’initiative des universités étrangères . Tout en constituant une vitrine de la Chine dans les universités hôtes, ils participent à l’internationalisation des 150 universités chinoises partenaires. En Afrique, les Instituts Confucius répondent moins à une demande d’apprendre le mandarin qu’à une volonté d’acquérir de l’expertise sur la Chine : l’intérêt pour la Chine est étroitement lié à la présence d’acteurs économiques chinois.
Dans les années 2000, l’implantation des médias chinois s’est accélérée avec la mise en place de stratégies locales (programmes spécifiques sur l’Afrique et les relations sino-africaines) et la création en 2012 de CCTV Africa, dans le cadre de la stratégie globale d’internationalisation de CCTV.
La relocalisation du bureau régional Afrique de Xinhua de Paris à Nairobi en 2006 marque un tournant symbolique dans la stratégie africaine de la Chine.
Selon Wu Yushan, « la Chine cherche à gagner le cœur et l’esprit des gens ». C’est dans cette mesure que les médias chinois ont entamé le monopole de leurs concurrents occidentaux . L’approche des médias chinois sur les sujets africains et sino-africains diffère radicalement de l’angle adopté par les médias occidentaux. Les médias chinois sont porteurs de l’idée selon laquelle l’Afrique et ses dirigeants, comme la Chine, ont reçu trop de publicité négative de la part des médias occidentaux.
Inspirées du modèle des zones créées au début des réformes d’ouverture sous Deng Xiaoping, les zones économiques spéciales (ZES) sont destinées à accueillir des activités économiques d’entreprises, principalement chinoises. Instruments de promotion économique, ces zones sont censées conduire à la construction d’infrastructures, d’industries, mais aussi de logements, de bureaux et d’infrastructures urbaines.
D’après la version 2010 du Livre blanc de la coopération sino-africaine, 250 millions de dollars sont affectés pour les zones situées en Afrique. Au-delà des avantages fiscaux, le discours chinois présente ces zones comme jouant « un rôle très important dans l’amélioration du niveau de vie de la population locale ». Elles jouent également un rôle productif, étant chacune plus ou moins spécialisée sur un secteur. En réalité, ces zones permettent surtout aux entreprises chinoises de mutualiser les risques et de réaliser des économies d’échelle en bénéficiant d’un cadre propice aux affaires. Les ZES ne sont toutefois pas mentionnées dans la version 2013 du Livre blanc.
Dans les années 2000, l’implantation des médias chinois s’est accélérée avec la mise en place de stratégies locales (programmes spécifiques sur l’Afrique et les relations sino-africaines) et la création en 2012 de CCTV Africa, dans le cadre de la stratégie globale d’internationalisation de CCTV
La promotion de l’expérience chinoise ne se limite pas aux zones économiques spéciales. He Wenping, directrice de l’Institut des études africaines à l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS), résume la position officielle chinoise sur l’exportation de son modèle de développement : la Chine n’essaie pas de vendre son propre modèle ; aucun pays africain ne pourrait le copier, mais la Chine peut constituer une référence.
Conformément aux principes du « développement pacifique » et de non-ingérence, les autorités chinoises ne chercheraient donc pas à imposer leur modèle, mais simplement à le promouvoir, en proposant une alternative au modèle de développement occidental.
Le concept de modèle chinois de développement fait écho à la réussite économique du pays.
La diffusion de ce modèle en Afrique passe par des vecteurs plus diffus que les outils culturels, éducatifs ou médiatiques, mais néanmoins notables. Tout d’abord, si l’aide au développement constitue un élément de pouvoir économique, c’est-à-dire de hard power selon la définition de Nye, elle peut contribuer à améliorer l’image du donateur, et donc son soft power. Merriden Varral montre que l’aide chinoise peut être considérée comme un outil de soft power si elle contribue à l’exportation de valeurs, d’idées et de normes chinoises, et si elle aboutit à une forme de soumission du destinataire aux volontés de la Chine. L’aide chinoise à l’Afrique constitue dans plusieurs cas un outil d’influence indirect : « l’aide de la Chine a aidé le pays à projeter une image positive dans les pays destinataires ».
La diffusion de normes chinoises est conçue en Chine comme un moyen de contourner les puissances occidentales. À travers son assistance technique et les projets des entreprises d’État, la Chine exporte ses normes et pratiques sur le continent. Au Kenya, le gouvernement chinois conduit par exemple un programme d’assistance technique pour la création d’un système informatique de communication intergouvernementale.
Marquée par une certaine proximité héritée du mouvement des non-alignés, l’ouverture de l’Afrique aux pays asiatiques, et notamment à la Chine, s’illustre dans des secteurs variés. En matière d’urbanisation, « les pays africains ont décidé de s’ouvrir à l’expertise asiatique afin de sauvegarder le paysage du continent », écrivait un journaliste sénégalais à l’occasion d’un séminaire international sur le développement urbain en Asie et en Afrique.
Conformément aux principes du « développement pacifique » et de non-ingérence, les autorités chinoises ne chercheraient donc pas à imposer leur modèle, mais simplement à le promouvoir, en proposant une alternative au modèle de développement occidental
Le développement des médias chinois en Afrique, et les interactions entre journalistes qui en découlent, font bouger les lignes en matière de pratiques journalistiques, comme l’indique un journaliste kenyan : « Les journalistes kenyans sont très occidentalisés. Mais le travail avec les Chinois nous amène à repenser les principes du journalisme occidental. »
La séduction opérée par des références alternatives au monde occidental n’altère toutefois pas encore la proximité des élites africaines avec l’Occident. Une grande partie y a fait ses études. L’attirance pour d’autres modèles comme la Chine ne reflète aucune naïveté du côté africain. En 1965, le président du Kenya, Jomo Kenyatta proclamait déjà :
«Il serait naïf de penser qu’il n’y a pas de danger d’impérialisme à l’Est. Dans la politique des puissances, l’Est a plus de prétentions à notre égard que l’Occident et voudrait nous faire servir ses propres intérêts.»
La Chine et ses acteurs demeurent encore dans une phase d’apprentissage en Afrique, tout en faisant évoluer les équilibres et en étant en concurrence avec d’autres pays émergents. Si la Chine se veut porteuse d’une approche alternative aux valeurs universelles occidentales, elle doit encore passer du statut de suiveur à une position de leader en matière d’élaboration de standards et de valeurs.
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