Nounawon Kekere Djidjoho Hermann
Au-delà de tous les reproches ou actes ignobles dont sont responsables les terroristes, il y a un goût de vengeance sociale dans leur comportement déguisé en action pour Dieu. Ils se vengent de leurs frères et sœurs qui les ont abandonnés dans le sable du désert pour les boulevards de la ville. Ils se vengent de leurs frères et sœurs qui ont détruit leurs régions.
Je ne fais aucunement l’apologie du terrorisme mais, à y regarder de près, ce qui arrive au Bénin, au Burkina Faso, au Mali, au Niger, et au Nigeria, n’est que le résultat des errements des leaders politiques depuis 1960. Les territoires où surgissent des terroristes sont des cimetières de projets, des lieux de désespoir ou la confiance en la République est morte depuis longtemps. Comme le dit si bien le professeur béninois Simon Narcisse Tomety, « il n’y a de terrorisme que de territoires mal traités par des traites sur la base de traités de pollutions de valeurs ».
Le paradoxe est que ces régions ne connaissent d’effervescence qu’en période électorale. A ce moment, tous les politiciens, même les présidents de la République, y passent des nuits afin de solliciter les voix des populations. Une fois les élections finies, chacun retourne dans son palais. Les leaders retournent dans leurs châteaux brillants, les laissés-pour- compte dans leurs logements sombres et secoués par le sable du désert.
Dans un autre registre, regardons de près le comportement des responsables et leaders politiques de ces différents pays estampillés en zone rouge par la France. Un dirigeant africain peut gagner deux, voire même dix fois le salaire du président de la République française à qui il va demander de l’aide. Après avoir créé des armées mono-ethniques, après avoir distribué les projets de développement en fonction des régions qui ont massivement voté pour lui, le leader politique ouest-africain court chez les Français pour les supplier de sauver son régime des rebelles issus des régions abandonnées.
Si les avions français n’étaient pas intervenus en janvier 2013, le Mali serait un pays dirigé par les rebelles des régions du Nord, essentiellement contrôlés par des leaders religieux islamistes. Aujourd’hui, les Maliens accusent la France d’avoir laissé les djihadistes se réfugier dans leurs sanctuaires à Kidal et plus au nord. Si c’était si facile à faire, pourquoi l’armée malienne a-t-elle fui devant ces djihadistes ?
Il est temps que les peuples africains cessent de confondre les combats et se posent les vraies questions. Si les pays africains, plus précisément les populations ouest-africaines, ne souhaitent plus la présence militaire française, il leur suffirait d’élire des leaders politiques capables d’unir les fils et filles de leurs pays. Les néo-populistes panafricanistes n’épouseront certainement pas cette analyse.
Après avoir créé des armées mono-ethniques, après avoir distribué les projets de développement en fonction des régions qui ont massivement voté pour lui, le leader politique ouest-africain court chez les Français pour les supplier de sauver son régime
Dire cela n’empêche pas de reconnaître que la France porte plusieurs casquettes en Afrique. Elle peut être considérée comme un pays prédateur et pilleur des ressources africaines. C’est elle que les opposants appellent au secours lorsqu’ils ne peuvent pas renverser les dictatures dans leur pays. C’est chez elle que les opposants coupables se réfugient assez facilement pour éviter d’être tués. La France est également considérée comme une référence comparée aux pays africains en manque de ressources. C’est ainsi que le Président du Bénin, fraîchement élu, dit devant le Président français que son pays « est un désert de compétences ».
C’est encore la France qui aide à élaborer les plans de développement des pays africains francophones et ce sont ses experts qui accompagnent et forment l’élite civile et militaire de ces pays. Avez-vous déjà entendu une seule fois dans l’histoire de l’Afrique qu’une communauté assure la formation de l’armée de son adversaire? En observant de près les armées occidentales, on constate que les officiers français ne sont pas formés aux USA ou en Allemagne. Il y a des échanges et de la coopération mais pas aussi loin pour que les officiers soient intégralement formés par une armée étrangère.
En Afrique, même les programmes de formation en ligne sont fortement financés par des puissances étrangères. L’opération Barkhane qui a remplacé l’opération Serval compte aujourd’hui 4500 militaires français pour un budget annuel de 700 millions d’euros soit environs 460 milliards de francs CFA. Pourquoi dix pays africains ne sont-ils pas capables de réunir une telle somme pour sécuriser leurs populations, mener des projets de développement local, fédérer la République et bâtir une nation? Selon certaines indiscrétions des cours et palais présidentiels, les fonds de souveraineté des présidents de ces dix pays avoisinent 50 milliards (FCFA) chacun. D’autres indiscrétions évoquent des fortunes personnelles de chacun de ces présidents à plus de 500 milliards (FCFA). Il revient à chacun de se faire sa propre opinion.
Je partage l’avis ci-après de Gilles Yabi du think thank WATHI qui dit qu’«il n’y a pas de solution à court terme à ces problèmes de fond. Ce n’est pas demain que l’État Malien ou celui du Burkina Faso aura transformé ses forces de défense et de sécurité en forces solidement formées, efficaces et bienveillantes pour les populations civiles quelles que soient leurs affiliations ethniques. Ce n’est pas après-demain qu’on réussira à mettre un terme à la prolifération des armes de guerre dans ces zones. Ce n’est pas pour bientôt la neutralisation complète des groupes terroristes par les forces maliennes et burkinabè épaulées par les soldats et les avions français de l’opération Barkhane ». Cette citation résume toute la problématique du tout sécuritaire; la solution n’est pas que militaire.
Pourquoi dix pays africains ne sont-ils pas capables de réunir une telle somme pour sécuriser leurs populations, mener des projets de développement local, fédérer la République et bâtir une nation
Que faire?
Il y a une solution immédiate. Elle commence par le dialogue avec ceux qui sont désignés comme les responsables des groupes djihadistes. La solution dans le Sahel passe par un dialogue direct avec les leaders des groupes désignés comme terroristes, avec une participation de l’Algérie et de la Mauritanie. Il est impérieux pour le Mali de reconnaître que la solution passe par la Mauritanie et l’Algérie.
La solution militaire appauvrit les pays car les vendeurs d’armes sont les seuls gagnants. Ceux qui attaquent le Mali et le Burkina Faso sont majoritairement des Maliens, des Burkinabè et des Nigériens. Il est temps de s’asseoir à la même table et de trouver une solution médiane. Il faut s’asseoir avec les leaders des groupes terroristes. Le choix de ces rencontres doit se faire dans un cadre formel car ces groupes, classés comme marginaux, veulent aussi leur place dans la République. Ils veulent être reconnus et ils veulent bénéficier du traitement dû à leurs ambitions politiques.
Acheter les armes pour combattre le terrorisme revient à dédier à cette question l’argent qui aurait pu permettre de construire des routes, des centres de santé, des écoles et des points d’eau. Il faut s’asseoir avec les communautés pour discuter de la gestion du pouvoir politique. Il ne serait pas mauvais d’attribuer les postes importants du pays en suivant une rotation régionale pour une durée de 50 ans afin de faire revenir dans la République tous ces fils. Cette solution peut être renforcée par la mise en place d’un mandat unique pour la fonction de président de la République et au sommet des institutions les plus importantes. Ainsi, par un tirage au sort, toutes les régions passeront au pouvoir pour un mandat unique appuyé par les rotations régionales.
La solution dans le Sahel passe par un dialogue direct avec les leaders des groupes désignés comme terroristes
Lorsque la réflexion aura permis de mettre en place un dispositif institutionnel qui rassemble les fils et filles des pays en crise, il faudra instaurer la fin de l’impunité pour tous les crimes et massacres. Dans le combat contre ses massacres, les hommes politiques ne doivent entretenir aucune ambiguïté. Il est évident que la lutte contre impunité pose la question des moyens. Les États ont été totalement absents de ces localités depuis des lustres. Il serait très difficile à la justice de disposer des compétences humaines, matérielles et financières pour mener des enquêtes judiciaires approfondies.
Nounawon Kekere Djidjoho Hermann est un conseiller sur les questions de droits de l’Homme. Il est président du Groupe d’action pour le progrès et la paix (GAPP Afrique).