Organisation : Human Rights Watch
Type de publication : Déclaration
Date de publication : Avril 2019
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Il est essentiel de renforcer et non affaiblir le mandat de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. L’Union africaine devrait reconsidérer sa décision de restreindre l’autonomie et le mandat de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
En juin 2018, le Conseil exécutif de l’UA, composé des ministres des Affaires étrangères des États membres de cette organisation, a déclaré que la Commission africaine n’avait qu’une «indépendance de nature fonctionnelle, et non une indépendance vis-à-vis des mêmes organes qui [l’]ont créé[e]». Le Conseil a également décidé que les organes politiques de l’UA réviseraient les critères permettant à la Commission d’accorder le statut d’observateur aux organisations non gouvernementales, conformément aux normes d’accréditation existantes de l’UA, «qui tiennent compte des valeurs et des traditions africaines».
«La décision du Conseil exécutif de l’UA de restreindre le rôle de la Commission africaine risque de rendre caduc et obsolète cet organe d’une importance capitale», a déclaré Carine Kaneza-Nantulya, directrice du plaidoyer au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. «A maintes reprises, la Commission africaine a été le dernier rempart judiciaire pour d’innombrables victimes de gouvernements abusifs.»
Qualifier son indépendance de simplement « fonctionnelle » finirait par rendre la Commission inefficace. En plus de 30 ans d’existence, la CADHP a renforcé les droits humains sur l’ensemble du continent en développant des instruments et des décisions historiques
Créée en 1987 pour interpréter et superviser le principal instrument juridique des droits humains du continent la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission avait été conçue comme un organe indépendant de l’UA. Pendant des décennies, elle a agi en tant qu’organe quasi judiciaire pour contraindre les gouvernements à respecter leurs obligations en matière de droits humains en tant que parties à la Charte africaine et condamné les violations en rendant des décisions au nom des victimes.
Des activistes et organisations non gouvernementales de défense des droits humains en Afrique craignent que la décision du Conseil exécutif ne limite la capacité de la Commission à fonctionner de manière indépendante, sans ingérence politique des Etats membres de l’Union africaine. Achieng Akena, le directeur exécutif du Pan-African Citizens Network, une ONG qui encourage la mise en réseau d’organisations africaines, a déclaré que l’efficacité de la Commission pour responsabiliser les pays vis-à-vis de la Charte africaine d’une part, et garantir la justice pour les victimes d’autre part, est la raison pour laquelle les autorités politiques la considèrent comme une menace à leurs abus de pouvoir.
Pendant des décennies, elle a agi en tant qu’organe quasi judiciaire pour contraindre les gouvernements à respecter leurs obligations en matière de droits humains en tant que parties à la Charte africaine et condamné les violations en rendant des décisions au nom des victimes
Qualifier son indépendance de simplement « fonctionnelle » finirait par rendre la Commission inefficace. En plus de 30 ans d’existence, la CADHP a renforcé les droits humains sur l’ensemble du continent en développant des instruments et des décisions historiques. Elle a examiné plus de 400 communications ou affaires et en 2015, elle a rendu 235 décisions, presque toutes en relation avec des demandes soumises par des particuliers et des organisations non gouvernementales. Bien que ses décisions ne deviennent contraignantes qu’après leur approbation par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, la Commission constitue un important moyen de reconnaître et de trancher, au niveau multinational, les allégations de violations des droits perpétrées contre les citoyens des États membres de l’Union africaine.
Grâce à son protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, la Commission promeut et protège les droits des femmes et l’égalité entre les sexes sur le continent. En août 2003, la Commission s’est prononcée contre les gouvernements du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, estimant que les troupes déployées dans les provinces de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en 1998 s’étaient rendues coupables, entre autres abus, de viols et de mutilations généralisées sur des femmes et des filles.
La Commission a également été l’un des principaux opposants à l’utilisation de la torture sur un continent où plusieurs pays ne disposent pas de mécanismes nationaux en vue de la prévenir. Elle a créé le Comité pour la prévention de la torture en Afrique en 2002. En 2015, par exemple, elle a condamné la torture de défenseurs de droits humains au Soudan et ordonné à Khartoum d’indemniser les victimes conformément à la législation nationale.
La Commission a également été l’un des principaux opposants à l’utilisation de la torture sur un continent où plusieurs pays ne disposent pas de mécanismes nationaux en vue de la prévenir
La Commission a condamné les pratiques abusives des industries minières qui prospèrent dans de nombreux pays africains riches en ressources, y compris la RD Congo. En 2017, la responsabilité du gouvernement congolais a été établie dans une opération militaire menée en 2004, avec l’appui de la compagnie d’extraction de cuivre Anvil Mining, opération qui s’était soldée par l’exécution sommaire de plus de 70 personnes ainsi que par la détention arbitraire et la disparition forcée de dizaines d’autres. La Commission a ordonné à Kinshasa de verser 2,5 millions de dollars de dommages et intérêts aux victimes et à leurs familles, et publiquement réprimandé Anvil Mining.
«La Commission africaine est le seul instrument dont nous disposons à présent pour protéger les droits humains sur le continent», a déclaré Ibrahima Kane, directeur du plaidoyer pour l’Afrique à Open Society Foundations et membre fondateur de Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO). «Si ce système, ce mécanisme, est attaqué, cela signifie que le système des droits humains lui-même est attaqué.»
Trois décennies durant, le continent a eu recours à la Commission pour défendre les droits humains par le biais de la mise en œuvre de la Charte africaine. Une Commission privée d’indépendance aurait de plus en plus de mal à protéger les droits sans l’ingérence d’États membres de l’UA qui ont un bilan de longue date en matière de violations.
«Retirer à la principale institution de défense des droits humains en Afrique l’indépendance qui a fait d’elle un outil efficace de protection des droits des Africains ordinaires, adresserait un message, selon lequel l’UA ne veut pas lutter contre les violations graves perpétrées sur le continent », a conclu Carine Kaneza-Nantulya. « Le mandat de la Commission devrait être renforcé, plutôt que restreint, afin de protéger les droits de tous les citoyens africains.»
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