Auteur: Jean-Raphaël CHAPONNIÈRE
Revue: Afrique contemporaine
Type de Publication: Article
Date de publication: 2008
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C’est au premier sommet afro-asiatique de Bandung, en 1955, que Zhou Enlai rencontre les dirigeants africains (Égypte, Libye, Éthiopie, Ghana, Libéria, Soudan). Cinq ans plus tard, selon Pradet, le ministère des Affaires étrangères chinois se dote d’une section Afrique et, en 1961, la toute nouvelle Association de l’amitié des peuples de Chine et d’Afrique visite l’Afrique de l’Ouest et prépare la visite de Zhou Enlai. Comme le fait remarquer Kwesi Kwaa Prah (2007), s’il s’exprime alors en termes idéologiques, l’engagement chinois de l’époque n’a pas moins une composante économique.
Aujourd’hui comme depuis les années 1960, les relations commerciales entre la Chine et l’Afrique a globalement l’architecture des échanges Nord-Sud: la Chine exporte ses biens manufacturés vers l’Afrique et importe des matières premières depuis le continent africain. Auto-suffisante en pétrole à la fin des années 1950, la Chine importait d’Afrique le cobalt indispensable à son programme nucléaire et la moitié de sa consommation de cuivre. La Chine était également en quête de débouchés pour son industrie.
L’Afrique absorbe ainsi 6 % des exportations chinoises dans les années 1960, soit deux fois plus qu’en 2005
En 1963, Zhou Enlai commence sa tournée par l’Égypte, mise au ban par l’Europe pour avoir nationalisé le canal de Suez, et visite ensuite la Guinée et le Mali, qui ont alors refusé de rallier la Communauté des États africains proposée par le général de Gaulle. Trente ans plus tard, la Chine saisit les occasions créées par les mises à l’écart du Soudan et du Zimbabwe. Enfin, on est tenté de rapprocher son engagement massif en République démocratique du Congo à une citation attribuée par Larkin (1971) à Mao Zedong: «Si nous prenons le Congo, nous pouvons avoir toute l’Afrique.»
Prononcé à Accra en 1964, le discours de Zhou Enlai est considéré par Larkin comme le moment le plus important de son périple africain. À cette occasion, il énonce «huit principes» qui régissent encore aujourd’hui l’aide chinoise, même si leur interprétation a changé au cours du temps: l’égalité entre les partenaires, les bénéfices mutuels, le respect de la souveraineté, l’utilisation de dons ou de prêts sans intérêt et l’allégement des charges, le renforcement du bénéficiaire, le respect des obligations, l’égalité de traitement entre exports chinois et locaux.
À l’époque, la Chine ne cache pas ses faiblesses à ses invités africains et ne les accueille pas dans des «villages Potemkine», ce qui conduit les dirigeants africains à découvrir une Chine marquée par la pauvreté. Cette aide est un sacrifice pour les Chinois.
Les autorités chinoises font preuve d’une étonnante continuité dans leur discours lorsqu’elles présentent l’efficacité de leurs entreprises. En janvier 1964, lorsque Zhou Enlai visite l’Algérie et le Mali, il vante auprès de ses interlocuteurs le savoir-faire des entreprises chinoises qui viennent d’achever une route dans le désert du Xinjiang et propose, sans succès, qu’elles construisent une route transsaharienne . Au même moment, en Afrique de l’Est, la Zambie cherche une solution de rechange au transit par le Mozambique (colonie portugaise) et l’Afrique du Sud pour exporter son cuivre. Le président zambien demande à la Banque mondiale et à l’aide britannique de financer la construction d’une voie ferrée entre Lusaka et Dar Es Salam.
La priorité donnée aux infrastructures ne doit pas faire oublier que la Chine a mené depuis les années 1960 une politique de coopération qui a évolué des actions humanitaires aux actions culturelles. Dans les années 1960, la Chine a privilégié l’envoi de missions médicales et d’experts. Aujourd’hui, les slogans célébrant la solidarité ont cédé la place aux annonces vantant les stratégies «gagnant-gagnant» de la Chine en Afrique, la Chine préférant mettre davantage l’accent sur l’influence culturelle, plutôt que d’envoyer des «médecins aux pieds nus». Selon Xu, les relations sino-africaines ne se limitant plus à des rencontres entre dirigeants, la Chine doit promouvoir une connaissance des Chinois par les Africains et vice versa pour surmonter les a priori.
Prononcé à Accra en 1964, le discours de Zhou Enlai est considéré par Larkin comme le moment le plus important de son périple africain
Au-delà des principes énoncés, la stratégie chinoise comporte une dose suffisante d’opportunisme, faisant de la non-ingérence un principe caduc au besoin.
Bien que la puissance du commerce sino-africain illustre la vigueur des échanges Sud-Sud, sa structure Nord-Sud est depuis longtemps critiquée par les auteurs africains et occidentaux. La Chine exporte des produits manu- facturiers vers l’Afrique d’où elle importe des matières premières. Or, on ne peut pas attribuer à la Chine la spécialisation de l’Afrique dans les matières premières et la structure de ses importations d’Afrique ne diffère pas de cel- le des États-Unis ou de l’UE.
On reproche à la Chine d’exporter de la main-d’oeuvre dans des pays où le sous-emploi est déjà considérable.
L’irruption de milliers de migrants chinois est parfois vécue comme une menace en Afrique où l’on évoque parfois le «péril jaune». Ironiquement, ce sont les administrations coloniales européennes qui ont organisé la première vague de migrations chinoises en Afrique: elle était composée de travailleurs chinois (les coolies) amenés pour «ouvrir l’Afrique» au monde et de façon plus prosaïque pour travailler dans les mines et construire les chemins de fer en Afrique du Sud, au Congo belge et à Madagascar.
La seconde vague a été précipitée par la victoire maoïste en 1949 et le départ de Chinois vers Hong Kong et les colonies britanniques. Des invasions mongoles au «péril jaune» décrit par le Kaiser Guillaume II en 1901, les migrations chinoises ont depuis longtemps nourri les frayeurs européennes. Elles inquiètent également les Africains. Dans les années 1960, Pradet (1963) a évoqué la méfiance des Africains vis-à-vis de la Chine et du Japon, accusés de vouloir exporter leurs idéologies et leurs hommes.
Selon Richer (2007), une large portion du contingent de Chinois en Afrique est formée de ceux qui ont émigré par leurs propres moyens. S’appuyant sur les réseaux de la diaspora, ils ont créé des milliers de petites entreprises ignorées des statistiques. Le gouvernement chinois s’appuie sur cette diaspora en leur promettant parfois des récompenses. L’Afrique est devenue le Far West, voire l’Eldorado de nombreux Chinois qui ont parfois fait fortune en saisissant les opportunités de restructurations: «Ils redressent des affaires qui étaient en faillite, les équipent de machines chinoises moins chères et mieux adaptées».
De leur côté, les étudiants africains ne sont guère séduits par le modèle chinois. Si elle n’a pas toujours été perçue comme un modèle politique, la Chine s’est par contre rapidement imposée comme une référence des stratégies de développement.
La priorité donnée aux infrastructures ne doit pas faire oublier que la Chine a mené depuis les années 1960 une politique de coopération qui a évolué des actions humanitaires aux actions culturelles
Ne devant rien aux conseils des institutions financières internationales, le développement chinois se présente comme un modèle hétérodoxe.
Ce n’est pas un Chinois mais un Américain, Joshua Cooper Ramos, qui est à l’origine du concept de «consensus de Pékin», un concept qui poursuivrait les mêmes objectifs que le consensus de Washington en les déclinant selon un ordre différent: le premier donne la priorité à la stabilité et au développement, alors que le second fait des réformes un préalable au développement et à la stabilité.
Conçu en dehors de la Chine, ce concept s’est vu approprié par les intellectuels chinois. Selon Leonard (2008), il constitue la plus grande menace idéologique que l’Occident ait connue depuis la fin de la Guerre froide. Alors que le consensus de Washington va subir les conséquences de la crise de 2008, le consensus de Pékin pourrait séduire un nombre croissant de gouvernements africains.
La séduction exercée par le modèle chinois disparaît lorsque l’on sort de l’économie et que l’on s’intéresse à l’environnement. Car si les grandes entreprises chinoises affichent des objectifs de responsabilité sociale et environnementale, en Afrique comme en Chine, elles ont des pratiques parfois très éloignées des principes.
Si elle ne peut pas être considérée comme un modèle, l’expérience chinoise n’en a pas moins rappelé les «fondamentaux» des succès asiatiques, à savoir la priorité à l’agriculture et à la formation et le rôle de chef d’orchestre d’un Etat stratège.
La Chine étant sur le point de devenir le premier exportateur mondial, il n’est pas étonnant de la découvrir aux premiers rangs des fournisseurs de l’Afrique. L’essor de cette nouvelle grande puissance, qui éveille des craintes en Europe
Alors que les Européens perçoivent la présence chinoise comme une nouveauté, les Chinois insistent auprès des Africains sur son ancienneté. Ils rappellent les contacts établis au XVe siècle par l’amiral Zheng He qui avait précédé les Portugais de quelques décennies en Afrique de l’Est. À cette occasion, ils n’hésitent d’ailleurs pas à réécrire l’histoire, en attribuant l’interruption de ces voyages à l’intervention européenne. La Chine étant sur le point de devenir le premier exportateur mondial, il n’est pas étonnant de la découvrir aux premiers rangs des fournisseurs de l’Afrique. L’essor de cette nouvelle grande puissance, qui éveille des craintes en Europe.
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