Auteur (s): Nicolas Klingelschmitt
Organisation affiliée: Institut Afrique Monde
Type de publication: Article
Date de publication: 11 Octobre 2018
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Parmi les maux qui frappent l’écosystème mondial et auxquels l’environnement Africain n’échappe pas, viennent tout de suite à l’esprit la surexploitation des ressources menant à la déforestation, la pollution des rivières, de l’air et des sols, le tout accompagné de la disparition rapide et à grande échelle de la faune par la destruction de son habitat naturel.
Ce n’est toutefois pas sur ces aspects des maux écosystémiques que nous nous pencherons au sein de cet article. Notre objectif est plutôt de se concentrer sur des phénomènes de pollution particulièrement visibles au quotidien, touchant en particulier les villes, nouveaux visages de l’Afrique et désormais domiciles de la majorité des Africains, attirant toujours plus d’habitants.
Des maux visibles, évidents, desquels chacun détourne pourtant le regard, feignant souvent en ignorer l’existence et l’ampleur tout en les enjambant le long des trottoirs. On peut identifier deux facteurs de pollution majeure dans les villes Africaines : d’une part, la pollution de l’air liée principalement aux gaz d’échappement des véhicules qui en arpentent les artères surchargées, et d’autres part les déchets matériels qui bien souvent jonchent ces mêmes artères, faute d’un système de traitement des ordures adéquat.
C’est sur le traitement de ces déchets que nous allons ici jeter un regard attentif ; comment les poubelles des ménages Africains sont-elles vidées ? Les villes du monde ont généré en 2012 1,3 milliards de tonnes de déchets selon les chiffres de la Banque Mondiale, et compte tenu du phénomène d’urbanisation massive qui accompagne l’explosion démographique, ce chiffre est estimé à 2,2 milliards en 2025, comme s’en faisait écho la grande série estivale d’articles du journal Le Monde qui mettait en lumière et décrivait ce phénomène à travers le continent tout comme le dossier « Urbanisme : des racines et des villes » de Jeune Afrique qui axait quant à lui principalement sur le Maghreb.
Des politiques urbaines environnementales insuffisantes
Alors que de nombreuses études mettent en garde contre les effets dramatiques de l’omniprésence de déchets sur la santé de la population dans les zones urbaines, l’accumulation de détritus en pleine rue demeure un phénomène récurrent particulièrement en Afrique subsaharienne, et ce depuis plusieurs décennies.
On peut identifier deux facteurs de pollution majeure dans les villes Africaines : d’une part, la pollution de l’air liée principalement aux gaz d’échappement des véhicules qui en arpentent les artères surchargées, et d’autres part les déchets matériels qui bien souvent jonchent ces mêmes artères, faute d’un système de traitement des ordures adéquat
On peut l’observer aussi bien à Conakry qu’à Abidjan, Douala ou encore Kinshasa. Il traduit à la fois une réelle faiblesse des politiques d’hygiène et un manque de sensibilisation des populations aux problématiques d’environnement et de salubrité. Faute de collecte des ordures ménagères et de zones dédiées à leur traitement ou même leur simple stockage, les poubelles s’entassent à même le sol dans les rues des villes africaines, et sont brulées dans l’anarchie la plus totale lorsque le volume, l’odeur et la présence d’animaux qu’elles attirent deviennent insupportables pour les riverains.
Les études menées sur le comportement des habitants de différentes villes africaines démontrent des habitudes néfastes à l’environnement et à la salubrité, révélant un cruel manque de sensibilisation des populations quant aux dangers que ces usages entraînent.Les résultats de ces études montrent que la majorité des individus déposent leurs ordures dans des décharges à ciel ouvert, les brûlent, ou encore les jettent dans des caniveaux. Le principe du compost n’arrive quant à lui qu’en 5e position parmi les méthodes employées.
Ce manque de sensibilisation des populations combiné à la faiblesse des pouvoirs publics dans la gestion des déchets urbains est tel que des accidents mortels surviennent parfois, comme ce fut le cas en 2016 à Cotonou (Bénin) où une importante explosion avait tué une vingtaine de personnes dans une décharge à ciel ouvert manifestement insuffisamment réglementée. Encore plus récemment, en Mars 2017, un éboulement a eu lieu dans la décharge saturée de Koshe, à Addis-Abeba en Éthiopie, entraînant un bilan extrêmement lourd de 130 morts, dont des familles entières qui vivaient au cœur même de cette montagne de déchets.
Ces événements, s’ajoutant aux conséquences premières de la présence d’ordures sur la santé de leurs citoyens, jettent une lumière crue sur les dramatiques manquements dont font preuve les autorités face à leur devoir de faire respecter les trois composantes fondamentales de l’ordre public que sont la sécurité, la tranquillité et la salubrité, vis-à-vis des citoyens.
Les études menées sur le comportement des habitants de différentes villes africaines démontrent des habitudes néfastes à l’environnement et à la salubrité, révélant un cruel manque de sensibilisation des populations quant aux dangers que ces usages entraînent
La première cause de ce phénomène est l’absence fréquente d’un système public adapté de traitement des déchets à l’échelle des villes. Les flottes de véhicules publics destinés à la collecte des ordures ménagères sont souvent insuffisantes et parfois obsolètes ou inadaptées, tandis que les infrastructures d’enfouissement, de recyclage ou d’incinération cumulent bien souvent au moins deux de ces trois défauts, lorsqu’elles ont au moins le mérite d’exister.
Le plastique, ennemi de l’environnement et chiendent des villes
Alors que les Etats Européens font des efforts dans l’usage du plastique en mettant progressivement en place des législations limitant les emballages et l’utilisation des sacs plastiques dans les supermarchés, les positions africaines évoluent également dans ce domaine. Dans la lutte contre les plastiques non recyclables, le Rwanda fait office de précurseur, notamment grâce aux politiques de propreté mises en place par Paul Kagamé et qui ont porté leurs fruits. En effet, depuis 2008, l’importation, l’usage et le commerce de sacs en matières plastiques non biodégradables et non réutilisables est formellement interdit par la loi et toute entrave à celle-ci peut entrainer une peine de prison.
La politique environnementale est poussée à tel point que les sacs en plastique des entrants sur le sol Rwandais par la voie des airs sont confisqués à l’arrivée à l’aéroport et échangés contre des sacs en papier et des contenants réutilisables. Depuis août 2017, le Kenya a emboité le pas du Rwanda, déjà imité par l’Afrique du Sud, le Sénégal et la Côte d’Ivoire notamment. Le Burundi voisin, quant à lui, s’est récemment engagé à interdire les sacs plastiques non biodégradables d’ici à 2020, tout comme le Bénin depuis le 27 Juin 2018.
Ce manque de sensibilisation des populations combiné à la faiblesse des pouvoirs publics dans la gestion des déchets urbains est tel que des accidents mortels surviennent parfois, comme ce fut le cas en 2016 à Cotonou (Bénin) où une importante explosion avait tué une vingtaine de personnes dans une décharge à ciel ouvert manifestement insuffisamment réglementée
Autre mesure phare du plan gouvernemental rwandais qui se veut pionnier dans ce domaine, de lourdes amendes sont administrées à quiconque jettera ses ordures dans les rues. Si ce système mis en place depuis maintenant 10 ans peut paraître symbolique, force est de constater qu’il est efficace, puisque la capitale rwandaise est depuis quelques années considérée comme la plus propre d’Afrique.
Changer en mine d’or des montagnes d’ordures : le défi de la revalorisation des déchets porté par les cris d’alarme de la société civile
Le principe de la revalorisation des déchets, lucratif, apparait comme une solution envisageable face aux flots de déchets noyant les artères des aires urbaines Africaines, malgré de (trop) rares exceptions comme Kigali. Ce principe représente également un nouveau domaine d’investissement pour des fonds privés et ouvre une nouvelle vague d’activités atypiques mais florissantes, sur lesquelles surfent déjà certaines entreprises.
En effet, alors que les États africains ne peuvent bien souvent se permettre des investissements massifs de fonds publics dans la mise en place de nouvelles infrastructures, compte tenu des difficultés économiques chroniques auxquelles font face nombre d’entre eux, les investisseurs et entrepreneurs peuvent plus facilement mobiliser des capitaux pour développer ce secteur d’activité qu’est la revalorisation des déchets, c’est-à-dire leur traitement et leur transformation en matériau, objets divers ou encore en énergie pour en tirer bénéfice, suivant le célèbre adage de Lavoisier ; « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
La première cause de ce phénomène est l’absence fréquente d’un système public adapté de traitement des déchets à l’échelle des villes
Le gouvernement Ghanéen a ainsi lancé un appel à investissement en 2017 dans le domaine de la gestion et du traitement des déchets dans une optique d’amélioration de l’état sanitaire du pays à la suite d’un cri d’alarme lancé par une coalition d’ONG, toutes spécialisées dans la promotion de l’hygiène et la lutte contre la pollution des sols et de l’eau.
Au Nigeria, en périphérie de la ville de Calabar, pour éviter au gouvernement un investissement direct massif, le modèle désormais répandu du partenariat public-privé a été privilégié dans le cadre de la construction d’un centre de recyclage des déchets. Celui-ci, signé entre le gouvernement Nigérian et la firme Italienne Management Environmental Finance, devrait générer directement et indirectement plus de 2000 emplois. L’entreprise prend à sa charge la construction de l’ensemble de l’infrastructure ainsi que son fonctionnement, en supportant les coûts et en récoltant les bénéfices, l’État se contentant de mettre à disposition le terrain où celle-ci est implantée.
Il faut saluer ici l’importance de la voix des organismes et des individus issus de la société civile comme lanceurs d’alerte et vecteurs d’élaboration de nouvelles politiques publiques répondant à des besoins urgents. A l’image du travail de plaidoyer effectué par ces organisations non gouvernementales auprès des autorités, en 2015, alors que le magazine Forbes plaçait 16 villes africaines parmi les 25 villes les plus sales du monde, des appels scandalisés avaient également été lancés depuis les réseaux sociaux pour dénoncer cette insalubrité récurrente, et sont toujours utilisés, notamment à travers le hashtag #Selfiedechets sur Twitter relayé par nombre d’activistes de l’écologie comme Chérif Fatoumata, récemment à l’affiche d’un reportage de France 24 consacré à ce sujet.
Le principe de la revalorisation des déchets, lucratif, apparait comme une solution envisageable face aux flots de déchets noyant les artères des aires urbaines Africaines, malgré de (trop) rares exceptions comme Kigali
Des start-ups écologiques : l’économie verte comme tremplin entrepreneurial
En dehors de ces projets de taille industrielle et au budget conséquent, des initiatives plus modestes mais au moins aussi prometteuses ont vu le jour dans la ville la plus peuplée du géant démographique Nigérian, à Lagos, où seulement 40% des déchets produits sont récoltés. Bilikiss Adebiyi-Abiola, jeune ingénieure de 36 ans issue de la diaspora Nigériane aux Etats-Unis a ainsi créé une start-up en pleine expansion, Wecyclers, comptant 120 salariés qui arpentent les rues de Lagos en vélo à remorque pour récupérer des déchets auprès des particuliers, à leur demande, qu’ils trient, décontaminent et compactent.
Les riverains peuvent faire appel à leurs services en s’inscrivant simplement par internet ou via sms et se voient ainsi débarrassés de leurs ordures gratuitement, Wecyclers réalisant ses bénéfices en revendant comme matériaux les déchets recyclés. D’autres initiatives intéressantes ont pu être observées au cœur d’un Etat voisin du Nigéria, le Cameroun. C’est notamment le cas de l’œuvre de Pierre Kassouloum, entrepreneur local s’étant entouré de jeunes travailleurs en réinsertion- d’anciens enfants des rues-, qui a mis en place un procédé qu’il a peaufiné au fil des années avant de créer son entreprise, CAREDD.
Le plastique que CAREDD récupère est trié de manière à ne conserver que des matériaux ne rejetant pas d’émanations toxiques lorsqu’il est fondu. Lors de la fonte, il est mélangé à du sable pour lui donner plus de consistance et de solidité ; le mélange est ensuite versé dans des moules en forme de pavés.
Au Nigeria, en périphérie de la ville de Calabar, pour éviter au gouvernement un investissement direct massif, le modèle désormais répandu du partenariat public-privé a été privilégié dans le cadre de la construction d’un centre de recyclage des déchets
Les pavés de 5cm d’épaisseur alors crées sont ensuite revendus à 3500 francs CFA (là où un pavé de ciment classique se négocie à 5000 francs CFA), posant une véritable alternative écologique dans l’économie du BTP Camerounais si le projet venait à prendre de l’ampleur. CAREDD emploie 15 salariés depuis sa création en 2008 et forme une vingtaine de jeunes depuis 2015 grâce au soutien de l’association Cœur Afrique, du célébrissime footballeur international Camerounais Roger Milla. Le concept des pavés en plastique recyclé pourrait donc autant marquer les esprits que l’ancien avant-centre qui les soutient désormais, joignant l’essor social à l’effort écoresponsable.
Un avenir plus vert pour l’Afrique
Les exemples de start-ups tout comme d’entreprises à l’échelle industrielle se multiplient à la fois dans les Etats Africains francophones et anglophones, dont les politiques tendent à s’harmoniser peu à peu. Celles-ci combinées à des politiques environnementales drastiques comme on peut en retrouver au Rwanda et progressivement dans l’ensemble de l’Afrique laissent espérer un avenir plus vert pour les villes du continent. L’Afrique de demain pourrait devenir un véritable pionnier dans le domaine de la revalorisation des déchets, constituant un poumon économique et écologique si les efforts et les investissements venaient à se poursuivre.
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