Auteurs: John Emmanuel Fa, Robert Nasi, Nathalie van Vliet
Site de publication: CAIRN Info
Type de publication: Article
Date de publication: 27 mai 2019
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La viande d’animaux sauvages, communément appelée «viande de brousse» dans le contexte africain, reste une composante importante de l’alimentation, particulièrement en milieu rural. Bien que des espèces aquatiques soient aussi largement consommées, l’expression «viande de brousse» se réfère en général à des animaux terrestres en particulier des mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens. Les insectes constituent également une source de nourriture importante, mais sont exclus de la définition de la viande de brousse telle que proposée par la Convention sur la diversité biologique.
La consommation actuelle d’animaux sauvages dans le contexte africain présente des bénéfices importants en termes de sécurité alimentaire, mais n’est pas sans poser problème en ce qui concerne la surexploitation des espèces sauvages, les effets subséquents sur les écosystèmes, la transmission de maladies entre les animaux sauvages et l’homme ainsi que leurs conséquences sur la santé humaine.
Sécurité alimentaire et nutrition
La viande d’animaux sauvages fait partie du régime alimentaire des populations de forêt depuis des millénaires on a estimé à 5 Mt/an la quantité prélevée actuellement et reste une source primaire de protéines animales, de sels minéraux et de matières grasses. Les consommateurs la considèrent souvent comme une viande saine, étant donné qu’elle provient du milieu naturel et ne contient aucun additif ou produit artificiel. Elle est aussi parfois préférée à cause de son goût, ou tout simplement car elle rappelle les liens culturels et identitaires liés à la vie traditionnelle et participe ainsi au bien-être de ses consommateurs.
De nombreuses études sur le contenu nutritif de la viande de brousse concluent sur l’apport significatif de cette viande à la quantité et à la qualité des nutriments consommés par les communautés dans les zones rurales d’Afrique et d’Amérique latine, notamment en termes de protéines, en particulier d’acides aminés essentiels, et de sels minéraux (fer, potassium, magnésium, zinc…). Dans ces contextes, les familles qui consomment de la viande de brousse jouissent d’une meilleure nutrition, ce qui se traduit par un meilleur état de santé. La disparition de l’apport nutritif de la viande de brousse (soit à cause de la diminution du gibier, ou à cause d’une transition nutritionnelle vers un régime riche en graisses et en glucides) pourrait avoir des conséquences néfastes significatives pour la santé humaine, à moins d’être compensée par une alternative plus saine et nutritive.
De nombreuses études montrent aussi que la consommation de viande de brousse augmente significativement la diversité nutritionnelle du fait de la diversité des espèces consommées. Dans certains milieux ruraux ou urbains où l’accès à d’autres sources carnées est impossible ou reste prohibitif, la viande de brousse représente un aliment primordial pour les familles pauvres. Par exemple, à Kisangani, en République démocratique du Congo, la viande de brousse a permis de maintenir un certain niveau de sécurité alimentaire pour les populations déplacées qui se sont réfugiées en ville pendant le conflit armé, alors que les autres denrées carnées importées étaient devenues rares.
De nombreuses études sur le contenu nutritif de la viande de brousse concluent sur l’apport significatif de cette viande à la quantité et à la qualité des nutriments consommés par les communautés dans les zones rurales d’Afrique et d’Amérique latine, notamment en termes de protéines, en particulier d’acides aminés essentiels, et de sels minéraux (fer, potassium, magnésium, zinc…)
À l’opposé, dans les communautés locales et les villes de forêt où se produit une transition nutritionnelle très rapide du fait de l’accès croissant aux marchés et aux produits d’origine industrielle, la consommation de viande de brousse peut aussi jouer un autre rôle important dans la sécurité alimentaire: celui de maintenir une diversité nutritionnelle face à la surconsommation de poulet industriel et de viandes issues de processus industriels, pour limiter l’incidence de l’obésité, du diabète, des maladies cardiovasculaires et leurs effets néfastes.
Zoonoses et risques
Certains animaux fournissant de la viande de brousse peuvent cependant servir de réservoir à certaines maladies transmissibles de l’animal à l’homme (zoonoses). En effet, plusieurs pathogènes (virus, bactéries, protozoaires et parasites) trouvés dans les diverses espèces de viande de brousse sont transmissibles à l’homme. En Afrique, par exemple, vingt-cinq types de parasites (dont Trichuris sp., Ancylostoma sp., les ascaris, Toxoplasma gondii et Strongyloides fulleborni), neuf types principaux de virus (dont le SIV, le HTLV, le virus de Marburg, le virus de Lassa, le virus Ebola, le virus de Nipah et le virus de l’herpès) et huit types de bactéries (dont Escherichia coli, Salmonella spp. et Campylobacter spp.) sont présents dans la viande de brousse et transmissibles à l’homme.
En réalité, la plupart des zoonoses sont transmises aux humains par l’exposition aux fluides corporels et aux excréments lors de la manipulation et du découpage de la viande de brousse avant la cuisson. Les rongeurs, les chauves-souris, les singes et les petites antilopes (céphalophes et chevrotains) sont les espèces le plus souvent citées dans la transmission de zoonoses à l’homme. Bien que l’attention médiatique se porte le plus souvent sur les zoonoses virales à l’origine des grandes pandémies (VIH et Ebola), les infections bactériennes et parasitaires issues de la viande de brousse constituent néanmoins une cause importante de maladies graves parmi les populations des forêts tropicales et subtropicales. Ces maladies courantes méritent une attention accrue. Elles sont souvent dues à de mauvaises conditions d’hygiène dans les lieux de dépeçage et de cuisson. L’amélioration de l’accès à l’eau potable, l’utilisation de gants et d’outils modernes pour le dépeçage et la cuisson, sont donc parmi les stratégies envisageables pour réduire la transmission de zoonoses.
Les maladies infectieuses émergentes
L’évolution des modes de vie, conjuguée aux transformations de l’environnement et du climat, pose des problèmes sans précédent pour la santé des populations humaines, des animaux et des écosystèmes de la planète. Bien que les relations précises en jeu soient encore mal connues, il est désormais communément admis que la santé des écosystèmes et la santé des humains sont liées.
En effet, plusieurs pathogènes (virus, bactéries, protozoaires et parasites) trouvés dans les diverses espèces de viande de brousse sont transmissibles à l’homme. En Afrique, par exemple, vingt-cinq types de parasites (dont Trichuris sp., Ancylostoma sp., les ascaris, Toxoplasma gondii et Strongyloides fulleborni), neuf types principaux de virus (dont le SIV, le HTLV, le virus de Marburg, le virus de Lassa, le virus Ebola, le virus de Nipah et le virus de l’herpès) et huit types de bactéries (dont Escherichia coli, Salmonella spp. et Campylobacter spp.) sont présents dans la viande de brousse et transmissibles à l’homme
Même si l’on observe une prise de conscience de la menace grandissante que représentent ces maladies pour l’être humain, la compréhension de cette menace et les mesures à prendre comptent parmi les sérieux défis qui pèsent sur l’espèce humaine aujourd’hui. Cependant, le risque engendré par ces maladies infectieuses émergentes n’est pas le même partout puisque 53 % des épidémies constatées dans le monde entre 1996 et 2009 se sont produites en Afrique. Les raisons de la prépondérance du risque de maladie infectieuse émergente en Afrique sont en grande partie inconnues, mais le risque d’agents pathogènes des zoonoses, notamment celles à transmission vectorielle est probablement plus élevé dans les forêts tropicales humides qu’ailleurs [21, 23]. Ce lien n’est pas étonnant puisque c’est dans les forêts tropicales humides qu’on observe le plus fort pourcentage de biodiversité terrestre et donc d’hôtes potentiels pour de nombreux pathogènes.
La perturbation de ces écosystèmes, à travers par exemple une exploitation incontrôlée, pourrait favoriser l’émergence de nouveaux pathogènes. En théorie, c’est en cas de perturbation moyenne que la diversité des espèces est la plus importante et que celle-ci décline si cette perturbation est faible ou forte. En matière de transmission de maladies, la transformation de la biodiversité causée par l’altération récente des paysages du domaine forestier tropical est susceptible de se répercuter à la longue sur le spectre et la situation des espèces vecteurs.
En Afrique de l’Ouest, en raison de l’abattage intensif des arbres qui est pratiqué depuis les années 1960, la ceinture de forêt équatoriale est réduite à sa plus simple expression : il ne reste en effet que 22,8 % des forêts humides, en grande partie dégradées. Les zones boisées sont en général entourées de terres agricoles et de villages. C’est dans ce contexte de dégradation de la biodiversité forestière qu’il est possible d’observer une augmentation du risque des maladies infectieuses chez l’homme et l’animal domestique.
Les facteurs probables de transmission sont l’incursion et les mouvements de populations humaines et de bétail dans des zones auparavant isolées, les flux de commerce de faune vers les centres urbains et périurbains, l’exode rural vers des villes déjà très peuplées de populations menacées de pauvreté et de maladies (malnutrition, sida, malaria et infections chroniques diverses), et une circulation rapide, au niveau mondial, de personnes, d’animaux et de produits d’origine animale. Le principal défi est donc de limiter les facteurs de dégradation des habitats, afin de maintenir la structure et les fonctions d’un écosystème vital pour la qualité de vie des populations et pour la pérennité de la faune, tout en empêchant la transmission d’agents pathogènes entre les animaux sauvages et les humains.
La fièvre hémorragique à virus Ebola et la faune sauvage
L’émergence et la propagation de nouvelles maladies très infectieuses sont à juste titre préoccupantes et une grande attention a été portée récemment aux conséquences dévastatrices de la fièvre hémorragique à virus Ebola (FHVE). Il s’agit d’une zoonose causée par des filovirus du genre Ebolavirus (appelé ci-après virus Ebola), dont quatre espèces sont connues en Afrique : espèce Zaïre, espèce Soudan, espèce Forêt de Taï et espèce Bundibugyo. Ces virus provoquent des fièvres hémorragiques souvent fatales chez les personnes infectées. Dans la plupart des cas, la transmission du virus Ebola par la faune sauvage a été reliée à la manipulation et au dépeçage de viande de brousse. En raison de l’importance de la viande de brousse dans la nutrition en Afrique subsaharienne, il est fondamental de comprendre comment les facteurs relatifs aux espèces hôtes, ainsi que les conditions environnementales et le comportement humain déclenchent les épidémies d’Ebola.
En Afrique de l’Ouest, en raison de l’abattage intensif des arbres qui est pratiqué depuis les années 1960, la ceinture de forêt équatoriale est réduite à sa plus simple expression : il ne reste en effet que 22,8 % des forêts humides, en grande partie dégradées. Les zones boisées sont en général entourées de terres agricoles et de villages. C’est dans ce contexte de dégradation de la biodiversité forestière qu’il est possible d’observer une augmentation du risque des maladies infectieuses chez l’homme et l’animal domestique
La FHVE a été identifiée pour la première fois en 1976 en Afrique et elle a tué depuis, selon les estimations, plus de 13 000 personnes. À cause du taux élevé de mortalité et de la contagion potentielle, cette maladie est considérée comme une menace mondiale. En dépit des progrès faits dans la connaissance de cette zoonose, les facteurs qui déclenchent et alimentent les épidémies restent mal connus. Cette absence d’éléments précis ne permet pas de prévoir de façon fiable et efficace l’apparition d’une épidémie, donc d’améliorer les mécanismes de prévention ou de réponse. Les activités humaines peuvent avoir suscité un contact direct ou indirect entre des personnes et un animal réservoir du virus.
La dernière épidémie de 2014 qui a eu lieu en Guinée a été reliée à un contact avec une colonie de chauves-souris, associée au recul de la forêt. Cependant, le recul de la forêt n’est probablement pas le seul facteur dans l’apparition des épidémies d’Ebola, puisque depuis des siècles les forêts de Haute Guinée constituent une mosaïque dynamique de forêts, de savanes et de terres agricoles et les populations de cette région vivent depuis longtemps en contact avec les espèces réservoirs (comme les chauves-souris) et le reste de la faune sauvage des forêts.
En réalité, la liste des espèces qui interviennent dans la transmission et perpétuation du virus reste contestée. Par exemple, le rôle des chauves-souris comme réservoirs avérés du virus Ebola est toujours en cours de débat, et il est presque certain qu’il existe une importante diffusion du virus parmi des mammifères qui n’avaient pas été envisagés comme hôtes naturels dans un premier temps.
La relation manifeste entre les cas d’Ebola dans des zones où les conditions sont modérément favorables au virus et la présence humaine (c’est-à-dire une certaine densité de population et de routes) laisse penser que la transmission du virus aux humains dans ces zones pourrait être influencée par des facteurs anthropiques. Ainsi, un contact plus fréquent entre les humains et la faune pourrait amplifier le risque d’une transmission du virus Ebola à l’homme, même là où les conditions environnementales et zoogéographiques ne sont pas les plus favorables au virus. Environ la moitié des premiers cas de FHVE signalés dans la région où les conditions sont moyennement favorables se sont produits à la frontière de zones très favorables, où les contacts auraient pu être facilités. Toutefois, certains premiers cas ont été observés loin du domaine forestier. L’introduction du virus par des chauves-souris migratrices peut éventuellement expliquer l’arrivée du virus de l’espèce Zaïre en Afrique de l’Ouest, pendant l’épidémie de 2013 en Guinée, loin de son territoire habituel en Afrique centrale.
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