La participation politique des femmes au Sénégal « On devrait davantage parler de la représentation politique des femmes, parce que, pour parler de participation politique, il faut une analyse approfondie. Au Sénégal, par exemple, on peut considérer que le but de la participation politique des femmes devrait être, d’une part, le fait d’adresser les questions qui intéressent les femmes. Si on a une participation politique des femmes accrue, cela voudrait dire que toutes les questions de violences faites aux femmes, d’éducation des filles doivent être adressées dans les instances de prise de décision. Je ne pense pas qu’à ce stade précis qu’on puisse dire que ces questions sont effectivement adressées. Au-delà de la prise en compte des questions de femmes et de filles, spécifiquement quand on vise la participation politique des femmes, c’est parce qu’on voit de manière générale que la femme est la personne qui pense avant tout à la communauté. Elle pense à ses enfants, elle pense à son époux, elle pense à sa famille. Donc, toutes les questions sociales devraient être mieux adressées par les femmes. Et à ce stade, on n’a pas d’études approfondies qui nous prouvent qu’effectivement, aujourd’hui, en 2021, on a une prise en charge accrue de ces questions. Si on a une participation politique des femmes accrue, cela voudrait dire que toutes les questions de violences faites aux femmes, d’éducation des filles doivent être adressées dans les instances de prise de décision Mais on peut quand même noter qu’on a une amélioration de la représentation des femmes dans les différentes instances de prise de décision électives et semi électives. Cette amélioration nous est due par la Loi sur la parité qui nous permet aujourd’hui d’avoir une représentation de 42% des femmes à l’Assemblée nationale. Je considère malgré tout ce qui se dit derrière que cette loi est bonne, sans cette loi sur la parité, c’est clair qu’aujourd’hui, on ne serait pas à ce niveau de représentation des femmes à l’Assemblée nationale. On a une représentation aussi élevée des femmes dans les instances locales, notamment dans les collectivités locales, en tant que conseillères. Mais ici aussi, la même question revient, à savoir quel est le rôle exact que ces femmes sont en train de jouer dans ces instances locales? » Les défis pour une meilleure participation politique des femmes « Le défi principal concerne les stéréotypes de genre. Je me souviens quand on était à l’Institut Panos, on avait fait une production Média pour demander aux Sénégalais, de manière générale, est ce qu’ils sont prêts à avoir une présidente de la République? J’ai été surprise de constater que ce sont les femmes elles-mêmes qui disaient qu’elles n’étaient pas prêtes pour avoir une présidente de la République. Ces stéréotypes de genre font qu’on ne voit pas la femme dans l’espace public de manière générale, mais surtout dans les postes de responsabilités les plus élevés. Il y a aussi le défi pour les femmes d’oser adresser la politique. Les femmes ont peur d’être au-devant de la scène. Dans les partis politiques, peu de femmes sont chef de parti. Les femmes qui sont dans les partis politiques, quels sont les postes qu’elles occupent? Et il faut le dire quand même, dès qu’on parle de femme et de politique, on pense à la mobilisation. Donc, c’est leur premier rôle dans la conscience populaire et malheureusement, les femmes, s’y plaisent bien. Elles acceptent de jouer ce rôle de mobilisation pour leurs frères, leurs amis, leurs voisins, sans pour autant penser que pourtant, il y a une femme à côté. Elles auraient pu accepter de jouer ce rôle pour une femme comme elle. Aussi, les femmes qui ont les connaissances, les compétences pour être en politique, la plupart du temps, refusent de s’impliquer dans la politique. Quoi qu’on puisse dire, il faut qu’elles y soient pour pouvoir influer sur les décisions qui sont prises. Pour faire de la politique, il faut avoir les moyens financiers et la plupart des femmes n’ont pas ces moyens financiers. Même si elles les ont, elles ne pensent pas à les utiliser comme cela se fait actuellement. Une femme en politique doit penser au long terme au lieu de distribuer des 10.000 francs ou des tissus à des femmes, elles doivent essayer de construire un programme solide. Une fois élues, elles pourront mettre des moyens beaucoup plus conséquents pour que les différents groupes de femmes puissent mener des activités génératrices de revenus qui peuvent leur apporter une autonomie sur le long terme. L’autre problème, c’est que souvent, au niveau du Sénégal, quand on parle de politique, on ne vote pas pour un programme ou une vision. On vote plus par affinité. Ces représentations sont à prendre en compte. Le fait que les femmes rejoignent la politique un peu plus tard, fait qu’elles n’ont pas cette historique dans la conscience collective. » Les limites de la loi sur la parité « Cette loi est reconnue aujourd’hui au niveau africain et au niveau mondial. La place de la représentation politique des femmes au Sénégal est citée partout dans le monde. Je pense que c’est un acquis de taille. L’expérience nous a montré quand même, que pour avoir une réelle participation politique des femmes, on ne peut pas se limiter aux instances électives et semi électives. Dans les bureaux, au niveau de l’Assemblée nationale comme dans les collectivités locales, on peine à avoir cette parité parce que pour certains, le texte ne précise pas que le bureau est inclus. L’expérience nous a montré quand même, que pour avoir une réelle participation politique des femmes, on ne peut pas se limiter aux instances électives et semi électives Je pense qu’en dix ans quand même, il y a eu même des études qui ont évalué cette loi, il y a des points clairs sur lesquels les organisations doivent aussi faire le plaidoyer pour qu’on puisse l’améliorer. Donc revoir non seulement la limitation et l’étendre aux instances nominatives, mais aussi adresser les différents points, notamment préciser l’exercice de la parité au niveau des bureaux et des différentes commissions. » La conciliation entre la vie privée et la vie publique « J’ai été dans une rencontre avec des femmes élues et j’ai été surprise d’entendre une leader femme qui est très suivie, dire aux jeunes femmes de ne pas entrer en politique très tôt. Selon elle, pour faire de la politique, il fallait avoir du temps. Une fille, par exemple, qui vient d’être mariée, qui a des enfants en bas âge, ne peut pas faire la politique. La deuxième chose, c’est que pour faire de la politique, il faut avoir de l’argent. Quand on doit payer les études de ses enfants, on a des dépenses à assurer, on n’a pas les moyens pour faire de la politique. J’ai été découragée quand elle a fait cette assertion parce que pour moi, il fallait justement pousser les jeunes femmes à intégrer la politique. Il ne faut pas attendre l’âge adulte, sinon il y a des préoccupations des plus jeunes qui ne seront jamais prises en compte. Mais en y réfléchissant, les arguments qu’elle a avancés sont valables. Je pense qu’il y a un travail à faire à différents niveaux pour qu’une femme, quel que soit le temps qu’elle a, puisse se consacrer aux activités professionnelles, aux activités familiales, mais également aux activités communautaires auxquelles elle s’est engagée Le travail à faire serait de considérer la politique autrement. Cela permettrait aux femmes, de s’organiser afin de mener une vie professionnelle, de mener une vie familiale, mais également de mener une vie sociale, de faire de la politique. Cela fait fait partie des engagements communautaires que toute personne devrait pouvoir prendre. Pour ce faire, il faut un accompagnement au niveau familial. Donc, les charges de travail qui pèsent sur la femme doivent être diminuées. Au niveau des partis politiques aussi, il faut revoir l’heure des réunions. Je pense qu’il y a un travail à faire à différents niveaux pour qu’une femme, quel que soit le temps qu’elle a, puisse se consacrer aux activités professionnelles, aux activités familiales, mais également aux activités communautaires auxquelles elle s’est engagée. » La question de la qualité de la représentation des femmes « Parfois, je refuse d’adresser cette question parce que je me dis avant qu’on ait autant de femmes au niveau des instances de décision, personne ne posait la question sur la capacité des hommes. Et aujourd’hui en regardant l’Assemblée nationale de façon générale et les députés que je connais, les hommes ne sont pas plus compétents que les femmes. Si on adresse la question des compétences, on doit le faire autant pour les hommes que pour les femmes. Parce que quand même, on a beaucoup d’hommes députés qui ne se présentent jamais dans les sessions à l’Assemblée nationale. En plus, si vous avez regardé ce qui se passe à l’Assemblée nationale aujourd’hui, c’est pas les femmes qui se bagarrent, ce sont plutôt les hommes. Donc moi, je suis tout à fait d’accord pour qu’on adresse la question des compétences, si on élit une personne, c’est pour qu’elle puisse remplir son rôle, mais ne la limitons pas seulement aux femmes. Les femmes sont même avantagées, parce qu’à l’approche des élections et juste après, il y a beaucoup de programmes de renforcement des capacités des femmes parlementaires et des femmes élues de manière générale aujourd’hui dans différentes collectivités locales et à l’Assemblée. Les femmes connaissent leur rôle, elles sont formées pour connaître leur rôle. » L’importance d’avoir des femmes dans les instances de prise de décision locales « Les études qui ont analysé la perception de la femme de la société, nous disent que dès qu’une femme a une amélioration de ses revenus, elle a plus tendance à les consacrer dans l’éducation de ses enfants, dans la nutrition, dans les questions de santé. On a aussi vu comment est-ce que la socialisation a en partie fait en sorte que la femme pense à la famille avant tout, la femme a plus tendance à penser global. Quand on est femme, on pense à sa situation d’épouse, de mère de famille… Donc elle a beaucoup plus tendance à prendre en compte les préoccupations de toutes les personnes de la famille de manière générale, et donc de la société. Partant de ce constat, on considère que la femme, quand elle est dans les instances de décision, ne peut pas juste être là pour elle. Mais elle va penser à son frère qui est à la maison qui n’a pas de travail, donc à un programme de création d’emploi pour les jeunes. Elle va penser à sa fille qui a du mal à aller à l’école, à un programme d’éducation, ainsi de suite. Cette responsabilité sociale qu’elles ont, elles ont tendance à le reproduire, quand elles ont les possibilités de faire des choses beaucoup plus conséquentes à un niveau plus élevé. »