La présence des femmes dans les instances locales grâce à la loi sur la parité « Les instances locales comme nationales sont soumises à la même loi. De ce fait, aujourd’hui, comme on l’a vu lors les dernières élections locales, celles de 2014, toute liste qui n’était pas paritaire dans sa conception n’a pas pu être acceptée, à une exception près qui est celle de Touba, mais qui est un cas particulier. Sur toute l’étendue du territoire, sur les collectivités locales que compte le Sénégal, une seule n’a pas respecté cette loi. De mon point de vue, c’est une grande avancée. Toutes les autres listes qui ont été présentées ont été paritaires. Cela a permis une plus grande présence des femmes dans ces lieux de discussion, d’échange et de prise de décision. Mais, les problèmes restent les mêmes. Quand on parle de développement local et que vous allez à l’intérieur du pays, vous allez voir que ce sont ces femmes qui tiennent le développement à bout de bras, à travers leur modèle d’organisation, à travers leurs activités Au niveau local, s’il y a un constat qui est fait dans nos pays, au Sénégal en particulier, c’est que les femmes ont un impact beaucoup plus important que les hommes. Ce sont elles qui échangent avec les populations. Elles ont des programmes qui répondent aux attentes réelles des populations. Quand on parle de développement local et que vous allez à l’intérieur du pays, vous allez voir que ce sont ces femmes qui tiennent le développement à bout de bras, à travers leur modèle d’organisation, à travers leurs activités. Même au-delà, quand on regarde le domaine agricole, on les voit le plus souvent au-devant de la scène. C’est une réalité au niveau local, elles ont un impact et elles font entendre leur voix. Elles n’ont peut-être pas cherché à une certaine époque à être présentes dans les instances de prise de décision, à savoir en particulier les collectivités. Mais la loi sur la parité leur a permis aujourd’hui de porter leur voix à ce niveau. La parité a réglé un problème, c’est celui du nombre, de la représentativité. Elles y sont de manière numéraire. Mais aujourd’hui, avoir un réel impact sur le fonctionnement du conseil municipal, sur les décisions du maire, c’est un autre combat. On n’a pas encore réussi à le gagner. » L’influence des femmes élues sur le processus de prise de décision « Qu’on soit femme ou homme, ce n’est pas une question de genre, c’est une question du mode de fonctionnement des collectivités. C’est comme à l’Assemblée nationale, c’est une “majorité mécanique”. Aujourd’hui, vous avez choisi une tête de file, c’est l’édile de la collectivité, elle fait fonctionner la “majorité mécanique”. Toutes les personnes élues sur sa liste votent le programme “à la tête du client” et non pas aux intérêts des populations. C’est un souci qui est global, qui n’est pas un souci local, que l’on rencontre à toutes les instances, même au niveau supérieur, à l’Assemblée nationale. Ce qui fait cela, c’est que les personnes élues n’ont pas forcément conscience de l’impact des lois ou de l’impact des décisions qu’elles prennent. Ceci ramène à un problème d’éducation, à un problème de prise de conscience de l’impact ou du poids même de cette voix, en votant oui, non ou en s’abstenant. Je pense que si on renforce les capacités des élus à un niveau local et que ces derniers sont plus reconnaissants envers les populations qui les ont élus plutôt qu’envers l’édile de la commune, les décisions prises seraient plus à l’attention même des populations qu’à celui de satisfaire les politiques ou encore le chef de l’État. Parce que souvent, cela va au-delà. Qu’on soit femme ou homme, ce n’est pas une question de genre, c’est une question du mode de fonctionnement des collectivités On vote pour un programme parce que ce programme est porté par un maire qui est de la mouvance présidentielle, etc. Quand on voit à ce niveau où c’est vraiment une distribution à la tête du « client politique », on a peur de léser ces populations, si on prend une position qui va à l’encontre de la décision de l’Autorité. Tant que cette crainte n’est pas combattue, on en aura toujours des votes automatiques où la loi du nombre et de la majorité continuera à diriger les décisions qui seront prises au niveau local. Selon moi, après 10 ans d’exercice, le mode de fonctionnement des collectivités locales, en tout du conseil municipal ne laisse pas une grande liberté aux conseillers. Quand on est un conseiller simple, on est toujours soumis à l’autorité du chef, qui est l’édile, le maire qui, à un moment ou à un autre, peut prendre les décisions sans pour autant que le conseil ne puisse impacter sur le mode de fonctionnement. » La question de la qualité de la représentation des femmes : réalité ou stigmatisation ? « C’est bien beau de vouloir stigmatiser les femmes en disant, c’est parce qu’elles sont présentes qu’il y a une majorité automatique sans débat où les lois sont votées, mais c’était le cas depuis les indépendances, depuis que les collectivités locales existent, alors que c’étaient les hommes qui étaient dans ces instances. La loi de la majorité a toujours fait loi, quelle que soit la représentativité hommes-femmes qu’il y a eu dans les conseils. Vouloir stigmatiser cela à la seule présence des femmes, ce serait vraiment une discrimination qui est, à mon avis, inappropriée. On nous dit qu’il n y’a pas de débat à l’Assemblée nationale parce qu’il y a beaucoup de femmes et elles n’ont pas le niveau. Mais, quand vous regardez notre représentativité aujourd’hui à l’hémicycle et que vous regardez le background des femmes, vous constatez qu’elles sont beaucoup plus qualifiées que la plupart des hommes qui y sont. Et pourtant, les gens n’en parlent pas. Cette question du niveau du débat devrait être une question globale. Que l’on soit homme ou femme, c’est une question qu’on doit poser aujourd’hui. » La prise de conscience des femmes de l’importance de leur rôle au niveau local « Au niveau local, les femmes ont la majorité. Aujourd’hui, les hommes, au-delà des navétanes (tournois de football durant les grandes vacances scolaires), il n’y a aucune association qui a réussi à les regrouper au niveau local. Alors que les femmes, elles sont dans les tontines, dans les calebasses, elles ont plein d’entités qui leur permettent de se retrouver. Donc, elles ont la base. Elles connaissent les populations, ce sont elles qui fréquentent les gens… Et c’est cela la politique ! Être auprès de ses populations, connaître les besoins, être en mesure de trouver des solutions aux problèmes. Donc, elles sont aux côtés des populations et vivent au quotidien à leurs cotés et que cela soit dans la zone rurale ou urbaine. C’est le mode de fonctionnement des femmes sénégalaises pour la plupart. Cette masse, elles l’ont mais elles l’ont toujours mis au profit de quelqu’un d’autre. Le jour où elles comprendront que cette masse, elles peuvent l’utiliser à leur propre profit, les choses vont commencer à bouger. Quand elles comprendront qu’elles ne doivent pas être que des figurantes et elles le comprennent de plus en plus, elles seront au-devant. On verra de plus en plus de femmes émerger. Si aujourd’hui, leur volonté est de diriger avec une candidature portée par le groupe, les moyens de s’organiser et de mettre en place cela, les femmes les maîtrisent mieux que quiconque. »
Sociologue de formation, Fanta Diallo a plus de 10 ans d’expérience au niveau des collectivités locales. Elle est élue au niveau de la commune de Fann Amitié Point E depuis 2009. De 2009 à 2014, elle a été maire adjointe et de 2014 à aujourd’hui, elle est conseillère municipale de ladite commune. Elle est actuellement directrice des sports, de la jeunesse et de la vie associative au niveau de la ville de Dakar et présidente de Jeader, un “Do Tank” entièrement dédié aux jeunes entrepreneurs africains œuvrant pour le développement économique régional.