La présence des femmes dans le domaine de l’entreprenariat ” Si nous prenons une liste de 500 entreprises qui ont accès aux financements ou qui recherchent des financement de manière active, moins de 20 pour cent d’entre elles ont été fondées ou sont dirigées par des femmes. En plus de cela, parmi les entrepreneurs qui sont les plus reconnus au Sénégal, il y a peu de femmes. Cela veut dire que même dans la manière de pousser ou d’amplifier la voix et le succès des femmes entrepreneures, il y a un travail à faire. Ce travail commence au niveau de la communication qui est le premier vecteur capable de faciliter l’accès au financement. Si les structures financières qui sont habilitées à donner les financements ne communiquent pas avec les femmes entrepreneures, n’ont pas une réelle connaissance de leurs demandes et leurs besoins, naturellement, en retour, les femmes auront moins accès à l’information par rapport aux possibilités et donc moins accès aux financements. Aujourd’hui, les femmes sont discriminées quant à l’accès à l’information. Elles ont moins accès à l’information, elles ont moins accès au support technique, elles ont moins de soutien au sein de la société pour se lancer dans des aventures entrepreneuriales.” Les principales difficultés pour les femmes entrepreneures ” Un autre aspect aussi, c’est que les femmes s’auto dénigrent quand il s’agit de leur niveau de préparation et capacité à réaliser un projet. Si une femme qui souhaite soumettre un projet ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour soumettre un business plan ou une demande de financement, elle ne le fera pas. Alors qu’un homme, avec la moitié des informations dont il a besoin pour soumettre le business plan va le soumettre et ensuite, aller chercher le reste de l’information. C’est une différence importante que j’ai observée et cela se traduit aussi par leur manière d’approcher les financiers. Les femmes sont beaucoup plus timides à aller vers les financiers parce qu’elles se posent beaucoup trop de questions. Quand il s’agit d’être entrepreneure, de pouvoir combiner toutes ses activités de femme, de maman, de sœur, la société a beaucoup d’attentes sur la femme et est beaucoup moins tolérante par rapport à ses activités. » Je pense que les femmes doivent être beaucoup plus spontanées, beaucoup moins sévères envers elles-mêmes et beaucoup plus solidaires. L’autre difficulté, c’est que les institutions financières sont malheureusement beaucoup plus exigeantes et regardent beaucoup plus le détail quand il s’agit des femmes. C’est malheureux, mais c’est la réalité. Je pense que c’est pour plusieurs raisons. Il ne faut pas l’oublier, la majorité des personnes qui sont dans ces institutions sont des hommes, donc naturellement ce sont des réactions qui ressortent des acquis culturellement ancrés. Il y a toujours ce préjugé qui consiste à dire que « c’est une femme », « elle est mariée », « est-ce qu’elle pourra faire le projet ? » « est-ce qu’elle va avoir des enfants ? », alors que cela fait partie intégrante de la vie d’une femme. Quand il s’agit d’être entrepreneure, de pouvoir combiner toutes ses activités de femme, de maman, de sœur, la société a beaucoup d’attentes sur la femme et est beaucoup moins tolérante par rapport à ses activités.” Être une femme à la tête d’un fonds d’investissement : expérience personnelle ” L’un des premiers obstacles, c’est le sentiment de supériorité que les hommes ont envers nous, les femmes. Ils questionnent toujours notre capacité à pouvoir faire le même travail. J’ai eu plusieurs fois des questions sur comment je faisais en tant que femme pour effectuer ce travail. Parce que c’est un travail assez contraignant, où nous sommes obligées de travailler les week-ends, de répondre aux mails à toute heure de la journée, de faire des appels à tout moment de la journée et de la semaine. Naturellement, tout le monde assume que ce sont des hommes et que leur rôle premier, c’est de pouvoir travailler et que nous, les femmes, même si nous travaillons, ce n’est pas le rôle le plus important qu’on devrait avoir en tant que femmes. » Les gens me demandent toujours ; “mais comment tu fais ?” Avant la Covid-19, je voyageais souvent, j’allais dans la sous-région et hors de la région au moins une semaine chaque mois. Les hommes me demandaient toujours comment je faisais, comment j’arrivais à gérer mon fils et ma famille. Il y a toujours ces questions qui se posent alors que pour eux, qui ont aussi laissé leurs familles là d’où ils viennent, la question ne se pose pas. Ils ne se posent jamais cette question par rapport à comment ils font pour gérer leur vie de famille, leur rôle de père, leur rôle de mari par rapport au travail qu’ils font. Naturellement, tout le monde assume que ce sont des hommes et que leur rôle premier, c’est de pouvoir travailler et que nous, les femmes, même si nous travaillons, ce n’est pas le rôle le plus important qu’on devrait avoir en tant que femmes.” L’impact de la crise sanitaire sur les activités économiques des femmes “Je pense que cela a impacté beaucoup plus les femmes. Pour la simple raison que si on parle aujourd’hui de petites et moyennes entreprises ou même de très petites entreprises, au bas de l’échelle, c’est là où se trouvent les entreprises dirigées ou fondées par les femmes. Ce sont des entreprises qui sont soumises aux aléas de la vie économique, qui n’ont pas assez de fonds de roulement, des entreprises avec une tension de trésorerie permanente. Donc ce sont des entreprises qui sont vulnérables. Avec cette crise, naturellement, elles sont les plus impactées. Beaucoup d’entreprises, de petites entreprises dirigées par des femmes ont fermé temporairement ou même de manière permanente. L’autre chose aussi qui se pose, c’est que les ressources humaines sont moins tolérantes avec les femmes en cas de difficultés dans la vie de l’entreprise. Je connais beaucoup d’entrepreneurs, hommes, qui sont en train de passer des périodes difficiles durant cette pandémie, mais dont les employés sont encore présents et compréhensifs. Ils le sont moins lorsque l’entreprise appartient à une femme. Les ressources humaines deviennent de plus en plus exigeantes. Durant cette période de crise que nous traversons tous, les femmes sont beaucoup plus exposées aux impacts négatifs.” L’autonomisation des femmes : un avantage pour notre société “Si les femmes sont autonomes, si elles sont épanouies, on aura une société plus épanouie, une société moins stressée, une société où les enfants seront plus épanouis. Aujourd’hui, on vit dans une société où le stress est permanent parce que les femmes sont stressées, les femmes ne sont pas assez appréciées dans leur foyer, dans les entreprises. Elles sont prises entre le marteau et l’enclume. J’ai connu ces trois dernières années beaucoup de femmes qui ont fait une dizaine d’années dans le secteur formel et qui ont décidé d’arrêter de travailler, surtout dans le secteur financier. Elles m’ont dit : « je suis fatiguée de travailler, de me lever tous les jours et d’être au bureau à 7 heures du matin et de rentrer à 17 heures le soir pour m’occuper de ma famille, je suis fatiguée ». Je trouve cela très dommage quand même. Donc, il y a un problème sur notre manière d’apprécier le rôle de la femme dans notre société. D’où le besoin d’inclure plus les femmes et de leur donner plus de courage, plus d’audace. Cela ne peut être que bénéfique pour notre société et nous permettrait de retrouver une société beaucoup plus épanouie, beaucoup plus riche.” Recommandations aux politiques et au secteur privé pour mieux accompagner les femmes “Les politiques doivent aider les femmes dans tout ce qui est éducation financière. On en parle beaucoup, mais je pense que cela ne se fait pas assez. Ils doivent aider dans la formation dans tous les secteurs. Dans tout ce qui est budgétisation, épargne, trésorerie et discipline financière. Par exemple, les banques aujourd’hui ont du mal à sortir les données de manière désagrégée entre les demandes de financement pour les femmes, les demandes de financement pour les hommes et les besoins de financement Les politiques peuvent vraiment aider à former les femmes à avoir cette discipline financière et ne pas seulement être dans le présent. Elles sont toujours dans le présent, où les cérémonies familiales prennent les petites économies qu’elles avaient depuis des années. Le business va en pâtir parce que le budget ou la trésorerie pour faire face aux aléas de l’entreprise sera épuisé par cette cérémonie. Par rapport aux acteurs privés, ils peuvent aider réellement en intégrant l’aspect genre dans leurs activités. Par exemple, les banques aujourd’hui ont du mal à sortir les données de manière désagrégée entre les demandes de financement pour les femmes, les demandes de financement pour les hommes et les besoins de financement. Cela fait qu’il n’y a pas une approche adaptée au financement des femmes. Il n’y a pas une création de produits financiers innovants. Seules les institutions de microfinance font un peu ce travail. Mais je pense aussi que les banques peuvent faire plus en essayant de faire un peu plus d’efforts pour intégrer le genre dans leurs opérations et donc adopter une politique de crédit beaucoup plus adaptée au financement des petites et moyennes entreprises dirigées par les femmes.” Women’s Investment Club Sénégal : un exemple à suivre “Le WIC, effectivement, a été l’un des premiers fonds à œuvrer dans ce sens exclusivement. J’ai fait partie de l’équipe de gestion qui a mis en place le WIC durant ses premiers mois ou années d’existence. Nous avons œuvré pour poser les bases, mais également pour créer la documentation qui a aidé à faire les premières levées de fonds, à aller chercher les subventions, à établir les partenariats pour avoir plus de visibilité avec les agences de l’État, donc avec les politiques, mais aussi avec le secteur privé pour faire connaître cet instrument. Cela a été une aventure passionnante, mais qui nous a aussi fait beaucoup réaliser que le genre était encore mal compris par les politiques et par le secteur privé. Dans nos activités, il y a une focalisation sur l’intervention des femmes dans plusieurs maillons de l’économie et nous les aidons à amplifier leur voix, à avoir plus confiance en elles, à être plus disciplinées financièrement et à être plus audacieuses.” Message aux femmes “Il faut aller vers les décideurs politiques, les décideurs du secteur privé, faire entendre nos voix. Je pense que c’est là où certaines femmes qui sont entrepreneures, qui ont réussi doivent plus porter leurs voix, elles ne le font pas assez. Elles doivent aller plus au-devant, elles doivent plus parler d’elles. Elles doivent faire partie des success stories du Sénégal. Il est impératif pour les femmes qui ont réussi de prendre le temps de partager avec les femmes qui débutent dans l’entreprenariat, les femmes qui travaillent dans le secteur formel, qui se réveillent tous les jours et qui n’ont pas de mentor, qui n’ont pas de support Les femmes doivent être beaucoup plus audacieuses dans leur manière de raconter leur succès. Cela ne doit pas être quelque chose que l’on comprend, que l’on se raconte dans son petit cercle ou dans son petit secteur. Cela doit être quelque chose qui est amplifié partout et dont les gens parlent. Il y a un réel souci de communication. Il n’y a pas assez d’efforts qui sont faits pour amplifier la voix des femmes entrepreneures. Il est impératif pour les femmes qui ont réussi de prendre le temps de partager avec les femmes qui débutent dans l’entreprenariat, les femmes qui travaillent dans le secteur formel, qui se réveillent tous les jours et qui n’ont pas de mentor, qui n’ont pas de support. Le mentorat est absolument nécessaire et nous ne le faisons pas assez. Les femmes doivent prendre le temps de partager leurs contraintes, leurs problèmes, leurs succès et leurs défis avec d’autres femmes.”
Ndeye Thiaw est une des quatre co-fondateurs de Bright More Capital, un fonds d’investissement basé en Afrique de l’Ouest. Après l’obtention de son baccalauréat au Sénégal, elle poursuit ses études universitaires aux USA, où elle obtient un Master en Finance et entrepreneuriat suivi d’un MBA en Finance. Elle rejoint la Banque mondiale pendant 8 ans.
Quelques années plus tard, elle a voulu s’intégrer un peu plus dans le tissu entrepreneurial, elle a donc arrêté son travail pour s’activer dans l’agriculture pendant deux ans. Durant cette période, elle a été impliquée dans l’agriculture non seulement en tant qu’entrepreneure mais aussi aux côtés du gouvernement sénégalais en tant que conseillère pour un programme dédié à ce secteur. Au bout de deux ans, elle revient dans le domaine de la finance. A travers ses contacts qu’elle a pu mettre en place, elle co-fonde le fonds Bright More Capital dont elle est la gérante.