La situation actuelle des droits humains en Afrique La situation est mitigée. Il y a beaucoup d’avancées. L’Afrique de l’Ouest est quand même une des zones qui a connu beaucoup d’avancées notamment avec des élections relativement apaisées, avec des alternances politiques et un certain pluralisme politique. Nous pouvons noter aussi un pluralisme médiatique avec l’avènement depuis les années 1980 jusqu’à maintenant de la libéralisation des ondes et de la libéralisation du secteur des médias en général. Au niveau aussi des associations, nous avons vu que c’est une région qui est très dynamique, très vivante sur beaucoup de choses. Maintenant, nous avons de plus en plus des inquiétudes: des pays qui étaient connus pour leur stabilité commencent à devenir fragiles. Par exemple, c’est le cas du Sénégal. On a vu durant les dernières élections la tension, on a vu de plus en plus l’espace civique se rétrécir avec les interdictions systématiques de marches des opposants et de la société civile, des arrestations arbitraires et l’utilisation de lois fourre-tout. Il faut des synergies régionales pour essayer de trouver des remèdes à ce problème lancinant de la protection des droits humains. C’est un problème qui est grave pour toute l’Afrique La Commission africaine y travaille, des mécanismes régionaux sont en discussion et il faut des synergies régionales pour essayer de trouver des remèdes à ce problème qui est lancinant. C’est un problème qui est grave pour toute l’Afrique. Mais, pour notre sous-région, étant donné que cela est lié au terrorisme et à la démographie avec la jeunesse de la population, les gens s’agitent de plus en plus. Je pense que c’est important vraiment qu’il y ait des concertations régionales sérieuses sur la gestion des ressources naturelles, sur la gestion du terrorisme et en relation avec la démographie mais aussi en relation avec la gouvernance en général. Les mécanismes de protection des droits humains Je pense que nous avons pas mal de cadres pour la protection. Maintenant, il faut plus de volonté politique. Au final, ce sont les États qui mettent en œuvre les décisions de ces institutions. Elles ne valent que ce que les États en font. Si les États décident de ne pas appliquer des directives, cela crée un bras de fer et souvent ces dispositions n’ont pas un caractère contraignant pour les Etats. Lorsque la Commission africaine des droits de l’homme décide de condamner un État pour violation des droits humains, elle fait sa déclaration, elle donne des recommandations et maintenant c’est à l’État de montrer sa bonne volonté, de montrer son engagement et son respect des dispositions. Ces mécanismes sont crées par les pays africains, ce ne sont pas des mécanismes de la société civile. Ce sont les Africains, les États avec leurs experts qui ont négocié pendant des années pour se mettre d’accord sur tel ou tel instrument. Maintenant, une fois que ces instruments sont mis en place, il faut un minimum de respect. Il faut que la société civile soit beaucoup plus active et beaucoup plus experte sur les mécanismes de protection des droits humains Je pense qu’il ne faut pas laisser ces mécanismes à la seule disposition des États. Il faut que la société civile soit beaucoup plus active, beaucoup plus experte et connaisse aussi les rouages, comment utiliser ces mécanismes de bout en bout pour pouvoir faire la différence. Il n’y a pas assez d’acteurs africains autour de ces mécanismes. Le dernier acteur à prendre en compte, c’est les médias et notamment les journalistes. On ne voit pas assez de média autour des travaux de la Commission africaine, lorsque des décisions sont prises, lorsque les rapports des États sont examinés. Rarement, on voit les journalistes des pays venir couvrir ces événements et en parler au niveau national. L’indépendance des mécanismes Beaucoup d’États ne prennent pas au sérieux la question des droits humains. Ce n’est pas une priorité. Lorsqu’il y a des violations qui sont notées, la plupart du temps, on ressent un bras de fer. Ce rapport de force sur les questions de droits humains, tant qu’il existe, c’est difficile qu’il y ait un dialogue constructif entre les différents acteurs pour qu’il y ait un progrès. L’autre aspect, c’est par rapport aux financements. Il y a beaucoup de doublons sur le continent. La plupart de ces mécanismes sont aussi mises en place mais il n’y a pas d’engagements fermes de nos pays pour faire en sorte de financer leurs propres mécanismes. Vous ne pouvez pas mettre en place vos dispositions pour la protection des droits humains et les laisser à d’autres le soin de les financer. C’est l’un des deux grands problèmes auquel l’Afrique est confrontée. Beaucoup de mécanismes dépendent de l’aide au développement ou du financement des partenaires étrangers pour une bonne partie des activités. On sent une agression des États contre l’indépendance des mécanismes qu’ils ont mis en place eux-mêmes Si les citoyens ne constituent pas des bouclier pour soutenir ces mécanismes, on risque de retourner en arrière. On sent une agression des États contre l’indépendance des mécanismes qu’ils ont mis en place eux-mêmes. Le dernier obstacle, c’est qu’il n’y a pas de relève générationnelle. Connaissance des droits humains Je pense que c’est important pour les Africains de manière générale de maitriser le système africain des droits humains. Ce système a permis par le passé d’avoir un certain nombre de recours notamment lorsque les systèmes nationaux ont failli dans beaucoup de pays. Il faut d’abord qu’on maîtrise les contextes, connaître mieux son pays, son continent et aussi connaître les mécanismes. Qu’est-ce qu’ils peuvent faire? Qu’est-ce qu’ils ne peuvent pas faire? Quelles sont les obligations des États? Le savoir est important. Si vous n’avez cette connaissance, vous ne pouvez pas convaincre. Il faut une assise. Toute personne qui travaille sur ces questions délicates, ces questions controversées, notamment sur les droits humains en Afrique, doit tout maîtriser. Si on est au niveau national, on doit maitriser le national. Si on est au niveau régional, c’est la même chose. Il nous faut aussi partager ce savoir sur la protection des droits humains avec les autres et créer des réseaux. La Charte africaine mérite d’être mieux connue parce qu’elle est quand même un des instruments historiques, elle est également un des instruments de protection des droits humains qui offre beaucoup d’opportunités aux citoyens africains C’est ensemble qu’on peut faire la différence. Le travail individuel ne peut pas nous mener loin parce que c’est en travaillant ensemble, en partageant, qu’on montre notre force. C’est de cette manière que nous pourrons soulever des montagnes parce qu’il y a des blocages au niveau du respect des règles. Les États sont ensemble. Ce sont eux qui mettent en place ces mécanismes, mais aussi il faut noter qu’ils les discréditent quand cela les arrange. Il faut trouver des États alliés car ils ne sont tous contre le respect des règles. En Afrique, on n’a pas assez développé ces énergies avec nos États. Ce qui est souvent difficile parce que nos États ne s’ouvrent pas à la société civile dans le sens d’un véritable partenariat. Je pense que la Charte africaine mérite d’être mieux connue parce que c’est quand même un des instruments historiques, elle est également un des instruments de protection des droits humains, qui offre beaucoup d’opportunités aux citoyens africains. Elle doit être davantage protégée par les dirigeants mais aussi elle doit faire l’objet d’une appropriation par les citoyens. Les défis à relever Les organisations de la société civile doivent avoir la possibilité de mettre la pression si elle est nécessaire et de s’allier avec tous les autres acteurs pour qu’il ait un changement durable. Cela se fera dans la durée. L’Afrique a beaucoup progressé. Il y a beaucoup de menaces sur notre chemin. Il faut tout faire surtout avec les jeunes pour qu’ils se focalisent sur l’essentiel c’est-à-dire leur avenir et celui de leurs pays. Je trouve que l’avenir du continent mérite qu’on réfléchisse sur le rôle des jeunes, sur ce qu’ils doivent faire pour favoriser le changement et ne pas rester à la merci d’acteurs qui pourraient être contre tout progrès. Il faut qu’il ait des cadres d’échanges autour de la question des droits humains pour que nul ne se sente ignorer et ne sente également exclu J’observe de plus en plus que plus on est jeune plus on est conservateur. On doit se questionner sur cette attitude ? Est-ce qu’il y a un lien avec le fait que nos sociétés ne sont pas inclusives, le fait qu’il y a cette vulnérabilité par rapport à l’emploi, etc. Il s’agit de questions à se poser et des défis à relever pour nous mais aussi pour nos États. Maintenant, il faut qu’il y ait des cadres d’échanges autour de cela pour que nul ne se sente ignoré et ne sente aussi exclu parce que l’exclusion est une violation des droits humains.
Fatou Jagne Senghor est la directrice régionale d’Article 19 Afrique de l’Ouest. Cette organisation est une association britannique des droits de l’Homme qui se concentre sur la défense et la promotion de la liberté d’expression et de la liberté d’information dans le monde entier.