Pathé Dieye
Même si durant la Guerre Froide, la politique étrangère américaine en Afrique subsaharienne fut basée sur une tactique de « récupération politique », une opération de charme envers les Etats Africains nouvellement indépendants, la stratégie a été réévaluée en 1990 pour faire face aux enjeux économiques et sécuritaires sur le continent.
Le regain d’intérêt s’est manifesté par la multiplication d’initiatives, chacune étant l’empreinte d’une administration précise. Ainsi, l’ère Bill Clinton fut marquée par la mise en place en 1999 de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), sous l’administration Bush, il fut lancé le Plan for Emergency Relief (PEPFAR) en 2004 et avec Obama, le Global Hunger and Food Security Initiative fut établi en 2009. On peut citer aussi Power Africa, un accélérateur d’investissements privés réunissant des entreprises américaines et africaines pour trouver des solutions en matière d’énergies renouvelables et d’autres énergies intelligentes, et l’Initiative pour les jeunes leaders africains (YALI), qui reste un programme financé par le département d’État
Toutefois, au niveau militaire, en raison de la volonté américaine de reléguer l’Afrique dans la périphérie de sa stratégie, et de lui accorder des efforts de second ordre comme le confirme leur stratégie de sécurité nationale de 1998, ce n’est qu’en 2007 qu’on voit la création d’un commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM). Ce déploiment en Afrique était l’expression d’une volonté grandissante de faire face au terrorisme, à la criminalité transfrontalière, à la prolifération des armes pour mieux défendre leurs intérêts stratégiques. Il faut relater le fait que l’Africom n’est pas la première empreinte militaire des Etats-Unis, il y avait déjà d’autres plus légères parmi lesquelles le Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme (TSCTP) créé en 2005 dans le cadre d’un effort multi-institutionnel visant à aider les pays partenaires d’Afrique de l’Ouest et du Nord à faire face aux menaces terroristes intérieures.
La porte d’entrée militaire des Etats-Unis est la corne de l’Afrique où se trouve le Camp Lemonnier qui est la principale base d’opérations de l’U.S. Africa Command. C’est le lieu de mentionner que pour Washington, Djibouti est le Bahreïn de l’Afrique, situé à l’embouchure de la mer rouge, il est un allié stratégique en matière de sécurité, de stabilité régionale et d’efforts humanitaires dans la région.
Un front de plus pour la guerre mondiale contre le terrorisme
Les attentats du 11 septembre ont été un tournant décisif dans la politique sécuritaire américaine dans le monde. Ainsi devint l’Afrique un front de plus et l’aventure débuta au Nord et à l’Est au niveau de la Corne en raison de leur proximité géographique et culturelle avec le Moyen-Orient et le fait que la région est propice à d’autres actions anti américaines.
La mise en place par le Pentagone du quartier général de la Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA) (Corps expéditionnaire conjoint) confirme l’intégration de l’Afrique dans la lutte de Washington contre le terrorisme. Basée à Djibouti et couvrant la Grande Corne de l’Afrique (Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan), elle a pour mission de mener la guerre contre Al-Qaida et ses ramifications.
Le programme qui concerne directement les pays du Sahel sera la Pan-Sahelian Initiative (PSI). Ce programme visait à renforcer les capacités du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger à mieux sécuriser leurs vastes espaces inhabités des menaces terroristes. Donc tous les pays du G5 Sahel y étaient déjà ciblés à l’exception du Burkina Faso. Augurant que le Sahel serait un « nouvel Afghanistan », des forces américaines furent envoyées pour former les troupes locales et renforcer leur dispositif logistique.
Les attentats du 11 septembre ont été un tournant décisif dans la politique sécuritaire américaine dans le monde. Ainsi devint l’Afrique un front de plus et l’aventure débuta au Nord et à l’Est au niveau de la Corne en raison de leur proximité géographique et culturelle avec le Moyen-Orient et le fait que la région est propice à d’autres actions anti américaines
La particularité de la présence militaire américaine est qu’elle est tissée sur des partenariats. C’est un commandement qui se propose le plus souvent en soutien, pas un commandement qui se positionne en première ligne. Par conséquent, dans la lutte contre Al-Shabab, L’Africom appuie la Mission de l’Union Africaine en Somalie (L’AMISOM). Quant à la lutte contre Boko Haram, l’Africom intervient dans le renforcement des capacités de la Force multinationale mixte (Multinational Joint Task Force) composée des forces du Tchad, Bénin, Niger, Nigeria, et Cameroun. Au Sahel, ils agissent au niveau du G5 Sahel.
L’ombre de la France au Sahel
Depuis plus de 10 ans, la Sahel est devenu l’un des théâtres les plus meurtriers de la lutte contre le terrorisme.
Malgré le fait que La MINUSMA dispose du budget annuel le plus élevé de toutes les missions de l’ONU, soit 1,18 milliard de dollars en 2020-21, l’opération Barkhane qui a un coût estimé à 911 millions d’euros en 2020, entre 2017 et 2020 , les attaques contre des civils ont quintuplé, passant de 205 à 1 096 selon le rapport de suivi de la Coalition citoyenne pour le Sahel : Ce qui a changé . En plus, « Près de 2 millions de personnes ont dû fuir leur foyer à cause des violences au Burkina Faso, au Mali et au Niger, dont 60% d’enfants. Environ 13 millions de filles et de garçons sont privés d’éducation. 14,4 millions de personnes ont un besoin d’assistance urgent en 2021 ».
Au procès de l’échec de cette hyper militarisation du Sahel, la France est le pays qui prend en plein camouflet les mitraillettes de la critique et le désamour des populations nourri par les séquelles du souvenir colonial et l’hostilité envers les nouveaux visages de la Françafrique.
Toutefois, la France n’était pas seule. Washington a été aux côtés de Paris depuis 2013 assurant le transport aérien des troupes françaises, en les ravitaillant et en offrant un dispositif incontournable pour le renseignement grâce aux drones. Cet engagement est estimé à hauteur de 45 millions de dollars par an (37 millions d’euros environ).
Toujours est-il que les forces armées américaines sont en nombre considérable et bien armées au Sahel et les Etats-Unis gagnerait à être plus transparent sur l’utilisation de cette force. Réinventer les approches après Barkhane exige de communiquer avec une société civile africaine plus exigeante envers les dirigeants et les puissances étrangères, et plus regardante vis-à-vis de la nature de ces relations
En 2013, la Maison Blanche annonçait qu’ Obama avait déployé 100 soldats au Niger. En 2020, on comptait plus de 800 soldats depuis la base d’Agadez qui est le siège des programmes de drones et de surveillance opérant au Niger, au Mali, en Libye et au-delà.
Avec le retrait des forces de Barkhane du Mali, la France compte redéfinir le déploiement de la mission à partir du Niger. Puisque les Etats-Unis ont déjà un bon ancrage là-bas, il leur est possible de maintenir leur mission de soutien à l’opération Barkhane.
Toutefois, il y a d’autres enjeux stratégiques qui se jouent avec l’arrivée de nouveaux acteurs et une nouvelle reconfiguration de l’échiquier.
L’Afrique est une terre de compétition et la guerre au Sahel est un facteur utilisé par les grandes puissances pour étendre leur influence. De la diplomatie des armes à celle du vaccin, tous les moyens sont bons pour séduire. Les gouvernements étrangers ont ouvert plus de 150 nouvelles ambassades en Afrique depuis 2010, et au moins 65 pays ont augmenté leurs échanges avec la région entre 2010 et 2017. Avec des pays comme la Chine, la Russie avec la Force Wagner, l’Inde, les Etats-Unis devrait avoir un agenda plus ambitieux en Afrique en tirant des leçons des revers de son partenaire français.
Et quoi encore ?
L’administration Biden n’a pas encore montré une feuille de route claire par rapport à l’utilisation de la force militaire au Sahel. Elle semble être plus orientée sur une autre brûlante question de la politique étrangère, notamment la crise russo-ukrainienne. Toujours est-il que les forces armées américaines sont en nombre considérable et bien armées au Sahel et les Etats-Unis gagneraient à être plus transparents sur l’utilisation de cette force. Réinventer les approches après Barkhane exige de communiquer avec une société civile africaine plus exigeante envers les dirigeants et les puissances étrangères, et plus regardante vis-à-vis de la nature de ces relations. Washington a beaucoup rayonné de par son armée dans sa politique étrangère, s’attirant des éloges et des ennemis, mais au Sahel, l’heure est venue de penser à miser sur des mécanismes afin de ramener des enfants à l’école, restaurer les hôpitaux, améliorer l’accès aux ressources de base comme l’eau et l’électricité.
Il faut rappeler qu’on doit cesser de voir en ces puissances des sauveurs. A partir du moment où ce paradigme change, nos Etats parviendraient plus aisément à collaborer avec eux sur le même piédestal.
Source photo : AP News
Pathé Dieye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la gouvernance locale. Il est titulaire d’un Master 2 en Science politique mention relations internationales et Alumni de la Dalberg Talent Academy. Il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi écrivain et son premier roman est intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…”.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Très bonne rédaction de l’article j’ai vraiment aimé la matinée dont les faits ont été présentés