Auteur : Amnesty International
Site de publication : Amnesty International
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2022
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Contexte
Les groupes armés Boko Haram et État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) ont pris en embuscade, blessé et tué de nombreux membres des forces de sécurité nigérianes. Au moins 31 soldats ont été tués par l’EIAO le 26 avril à Mainok, dans l’État de Borno.
Les attaques de bandits et les violences intercommunautaires, le plus souvent entre des éleveurs nomades et des agriculteurs, se sont intensifiées ; elles ont fait plus de 3 494 morts et entraîné le déplacement de milliers de personnes. Plus de 5 290 personnes, dont des étrangers travaillant dans des carrières, ont été enlevées contre rançon par des bandits et d’autres hommes armés. Le 12 juin, l’attaque du village de Kadawa, dans la zone de gouvernement local de Zurmi (État de Zamfara), par des hommes armés a fait plus de 93 morts.
Des hommes armés s’en sont aussi pris à des établissements scolaires, contraignant plusieurs écoles à fermer dans le nord du pays. Au moins 855 élèves ont été enlevés contre rançon lors de 10 attaques distinctes survenues dans sept États. La plupart ont été libérés après le versement d’une rançon, mais certain·e·s ont été tués par leurs ravisseurs et d’autres sont morts dans des tirs croisés pendant les attaques.
Des restrictions liées à la pandémie de COVID-19 sont restées en place dans l’ensemble du pays pendant toute l’année.
Violations du droit international humanitaire
Des groupes armés, dont Boko Haram et l’EIAO, ont cette année encore commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le nord-est du pays, tuant et enlevant des civil·e·s, pillant des biens et perpétrant des viols et d’autres violences sexuelles contre les femmes et les filles. Ils se sont rendus coupables d’au moins 30 attaques, qui ont fait plus de 123 morts parmi la population civile. Le 11 avril, l’ONU a suspendu ses opérations humanitaires à Damasak, dans l’État de Borno, à cause d’attaques contre des humanitaires et leurs installations. Environ 65 000 personnes (membres de la population locale et personnes déplacées à l’intérieur du pays) ont fui Damasak après de nouvelles attaques menées par l’EIAO en avril.
Les forces de sécurité nigérianes ont intensifié leurs opérations anti-insurrectionnelles dans le nord-est du pays. La riposte des forces de sécurité nigérianes face aux menaces que représentaient Boko Haram et l’EIAO a été marquée par des violations flagrantes des droits humains et des crimes de droit international dont des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des détentions au secret. Le 15 septembre, neuf personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par une frappe aérienne militaire sur le village de Buwari, dans la zone de gouvernement local de Yunusari (État de Yobe). L’armée a indiqué avoir touché ce village accidentellement. Le 14 juillet, 1 009 personnes soupçonnées d’appartenir à Boko Haram qui étaient détenues au secret ont été relaxées et remises aux autorités de l’État de Borno dans l’attente de leur réinstallation.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Le 4 juin, les autorités ont suspendu Twitter après que le réseau social eut supprimé un tweet controversé du président Muhammadu Buhari qu’il jugeait contraire à ses règles. Le président y menaçait de s’occuper des fauteurs de troubles au Nigeria en employant « le langage qu’ils comprennent », faisant référence à la guerre civile de 1967-1970 qui a fait des millions de morts dans le pays. Twitter et les autres plateformes de réseaux sociaux ont ensuite reçu l’ordre de s’enregistrer au Nigeria et de se conformer à la réglementation locale pour obtenir l’autorisation d’exercer leurs activités dans le pays.
Le 12 juin, la police a utilisé des gaz lacrymogènes et tiré en l’air à balles réelles pour disperser des manifestants et manifestantes à Lagos et à Abuja. Les militants Larry Emmanuel, Anene Victor Udoka, Samuel Gabriel, Henry Nwodo et Ben Mannaseh ont été arrêtés de façon arbitraire le 4 juillet et détenus pendant 30 jours par le Service de sécurité de l’État (DSS), la police secrète nigériane. Ils avaient été frappés par des agents de sécurité privés dans une église d’Abuja parce qu’ils portaient des tee-shirts sur lesquels était inscrit le slogan #BuhariMustGo (#Buhari doit partir), puis avaient été remis au DSS.
La riposte des forces de sécurité nigérianes face aux menaces que représentaient Boko Haram et l’EIAO a été marquée par des violations flagrantes des droits humains et des crimes de droit international dont des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des détentions au secret
Le 7 juillet, la Commission nationale de régulation des médias a demandé aux stations de radiodiffusion nigérianes de ne pas rendre compte des attaques menées par des bandits ou des insurgés dans le pays. Des médias nigérians ont lancé le 12 juillet une campagne intitulée Information Blackout pour protester contre deux propositions de loi, l’une portant sur le Conseil national de la presse et l’autre visant à modifier l’application de certaines dispositions de la Loi relative à la Commission nationale de régulation des médias, déjà en vigueur. Ces deux textes, qui étaient examinés par l’Assemblée nationale, risquaient de durcir la réglementation et d’entraver l’accès à l’information. Le 28 août, le DSS a convoqué deux animateurs de télévision, Chamberlain Usor et Kayode Okikiolu, pour les interroger au sujet de commentaires formulés par Samuel Ortom, gouverneur de l’État de Benue, pendant une interview en direct sur Channels Television. Les autorités ont affirmé que le gouverneur avait tenu des propos « provocants, sources de division et injustes ».
Arrestations et détentions arbitraires
Au moins 300 manifestant·e·s se trouvaient toujours en détention un an après le mouvement de protestation #EndSARS contre les forces de sécurité nigérianes. Trois réalisateurs israéliens, Rudy Rochman, Noam Leibman et David Benaym, ont été arrêtés et détenus sans jugement dans des conditions inhumaines pendant 20 jours par le DSS, qui les accusait d’être liés à l’organisation interdite Peuples indigènes du Biafra (IPOB).
Torture et autres mauvais traitements
La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient monnaie courante au sein du système pénal. La police, l’armée et le DSS ont cette année encore soumis des personnes détenues à la torture et à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Kubiat Akpan est mort sous la torture dans les heures qui ont suivi son arrestation par la police le 29 août à Uyo, dans l’État d’Akwa Ibom.
Disparitions forcées
Amnesty International a reçu durant l’année des informations dignes de foi indiquant que des organes des forces de sécurité, notamment la police et le DSS, avaient procédé à des arrestations arbitraires et maintenu des personnes en détention au secret. On restait sans nouvelles d’au moins 200 personnes présumées victimes de disparition forcée pendant l’année ; figuraient parmi elles d’anciens militants de la région du delta du Niger, des membres de l’IPOB, des manifestant·e·s du mouvement #EndSARS et des personnes soupçonnées d’atteintes à la sécurité.
Recours excessif et inutile à la force
Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations et des rassemblements pacifiques. Le 20 septembre, dans la zone de gouvernement locale de Barkin Ladi, Davou Bulus Bashi a été abattu par des agents des forces de l’ordre alors qu’il manifestait pacifiquement, avec d’autres étudiantes et étudiants de l’École polytechnique de l’État du Plateau, contre le report de leurs examens. Le 13 février, la police a arrêté une vingtaine de manifestants à la barrière de péage de Lekki, à Lagos. Des militant·e·s s’y étaient rassemblés pour protester contre sa réouverture après la mort de manifestant·e·s tués à cet endroit en octobre 2020.
Exécutions extrajudiciaires
Les forces de sécurité nigérianes ont tué au moins 115 personnes et commis beaucoup d’autres violations des droits humains et crimes de droit international en réaction à la montée de la violence et aux homicides de membres de ces forces dans le sud-est du pays. Dans le cadre de leur campagne de répression, elles ont aussi procédé à des arrestations massives, recouru à la force de façon excessive et illégale, et soumis des personnes détenues à la torture et à d’autres mauvais traitements.
Expulsions forcées
Les expulsions forcées se sont poursuivies sans relâche malgré la pandémie de COVID-19. Les 10 et 13 juillet, plus de 400 habitations du quartier d’Iddo Sarki, à Abuja, ont été détruites par du personnel de l’Office de développement de la capitale fédérale, accompagné de membres de la police, de l’armée et du Corps de sécurité et de défense civile, ainsi que d’autres agents des forces de sécurité. Ceux-ci ont fait usage de gaz lacrymogène contre les habitant·e·s. Ces habitations ont été détruites sans véritable consultation des populations concernées, sans que celles-ci en aient été informées à l’avance par écrit comme il se doit, et sans qu’aucune solution de relogement ne leur ait été proposée.
Droits des travailleuses et travailleurs
Les internes des hôpitaux publics se sont mis en grève pour protester, entre autres, contre l’absence de prise en compte de leur bien-être, la faiblesse de leur rémunération, leurs mauvaises conditions de travail, le manque d’infrastructures et d’équipements médicaux et le non-versement de leurs salaires.
Droit de enfants
Des dizaines de milliers d’enfants n’ont eu qu’un accès limité à l’éducation en raison de l’incapacité persistante des autorités à protéger les écoles contre les attaques des insurgés et des autres groupes armés. De nouveaux enlèvements collectifs d’élèves ont eu lieu : des centaines d’enfants ont ainsi été tués, violés, soumis à des « mariages » forcés ou contraints de rejoindre les rangs de Boko Haram. Des enfants ont été enlevés à Kagara, Jangebe, Afaka, Kasarami, Tegina et dans d’autres localités du nord du pays. En conséquence, des centaines d’écoles ont été fermées, ce qui a eu de graves répercussions pour les jeunes dans cette région déjà confrontée à une insécurité extrême.
Violences faites aux femmes et aux filles
En août, une haute cour fédérale d’Abuja a rendu une décision favorable à des femmes qui avaient été soumises à des violences sexuelles et liées au genre par des agents de l’Administration du territoire de la capitale fédérale, dans le cadre d’opérations appelées « rafles d’Abuja ». Les victimes ont obtenu une indemnisation. La cour a aussi ordonné formellement aux organes de maintien de l’ordre de ne plus commettre d’actes de violence contre les femmes.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le Parlement de l’État de Taraba a adopté la Loi de 2021 relative à l’interdiction de la violence et de la discrimination contre les personnes. Ce texte contenait une disposition prévoyant une peine de prison à perpétuité pour les personnes transgenres.
Personnes déplacées
En octobre, le gouverneur de l’État de Borno a annoncé un plan de fermeture de tous les camps de personnes déplacées pour le 31 décembre. Au cours de l’année, certains camps à Maiduguri ont été fermés de force et des personnes déplacées ont été réinstallées dans des secteurs qui continuaient de subir des attaques de Boko Haram.
Peine de mort
Cette année encore, des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu. En février, le gouverneur de l’État de Jigawa a promulgué une loi autorisant le recours à la peine capitale dans les affaires de viol. La nouvelle Loi relative à l’interdiction de la violence et de la discrimination contre les personnes adoptée dans l’État de Taraba prévoyait la peine de mort pour le viol d’un enfant. En juillet, le ministre de l’Intérieur a appelé les gouverneurs des États à signer les ordres pour procéder à l’exécution des 3 008 prisonniers et prisonnières sous le coup d’une condamnation à mort, dans le cadre de mesures visant à réduire la population carcérale dans le pays.