Auteur : Gorée Institute
Site de publication : Gorée Institute
Type de publication : Article
Date de publication : Mars 2021
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La Sierra Leone et le Libéria ont connu des formes similaires de transition politique à la lumière des défis politiques passés et actuels, mais n’ont pas réussi à adopter une option transitoire qui semble satisfaisante pour les besoins et les attentes de tous les segments de la société. Cette transition politique insensible aux droits de l’Homme et à la gouvernance pose des défis aux sociétés déjà en proie à des conflits et à la fragmentation politique.
Samuel Huntington, dans sa Troisième vague (1991), a présenté une typologie de transitions en quatre formes (remplacement, transplantation, transformation et intervention) fondées sur la façon de faire face à de telles transitions à la lumière de la nature et des caractéristiques des legs politiques et des défis contemporains. Pour Huntington, il y a inévitablement des frictions et souvent des affrontements amers entre les acteurs politiques, qu’il qualifie en outre d’interaction entre les réformateurs et les non-réformateurs.
À la lumière de l’analyse ci-dessus, on pourrait affirmer que les caractéristiques structurelles des deux États, qui présentent des histoires politiques différentes mais des héritages institutionnels, des déséquilibres et des conditions économiques et des compositions ethniques similaires, ont de graves répercussions sur les résultats transitoires récemment observés qui auront un impact important sur la situation actuelle de la démocratie et des droits humains dans ces deux pays. Puisque l’on a observé le passé politique et l’histoire des luttes de pouvoir entre les principaux acteurs et institutions politiques des deux États, on peut conclure que ces transitions politiques ethno-centrées et déséquilibrées sur le plan régional peuvent être qualifiées de conflictuelles et de transitions insensibles aux droits humains. Par conséquent, l’impact négatif sur les principes de bonne gouvernance démocratique n’a pas été évité, en ce qui concerne l’accès aux services sociaux de base, la transparence et la responsabilité.
À la lumière de la conceptualisation du paradigme transitionnel classique par de nombreux chercheurs qui complètent les typologies de Samuel Huntington, on s’est également rendu compte qu’il existe certaines insuffisances majeures dans les paysages politiques en Sierra Leone et au Libéria. Certains de ces défis sont endémiques, d’autres résultent de la fragilité institutionnelle et d’un manque de volonté politique, en particulier au Libéria, ou de l’indécision des acteurs politiques ainsi que des préjugés ethniques et régionaux en Sierra Leone.
En outre, l’un des autres dangers observés est le clientélisme politique où certains acteurs sont nommés à des postes gouvernementaux stratégiques sur la base de leur loyauté envers les partis politiques et l’exécutif plutôt que sur la base de leurs compétences. Telle a été la réalité constatée dans les deux États. Toutefois, cette situation est encore plus marquée en Sierra Leone, tandis qu’elle a été minime au cours du second mandat du gouvernement Ellen Johnson Sirleaf au Libéria.
Le danger vient maintenant du fait que ces lacunes persistent dans un contexte de vulnérabilité où les carences de la gouvernance démocratique, les violations des droits de l’Homme et le népotisme qui prévaut dans les nominations aux postes sensibles du gouvernement constituent des menaces pour la paix. En l’absence de conceptions politiques inclusives, les transitions politiques ont souvent entraîné des tensions intermittentes entre le parti au pouvoir et l’opposition significative en Sierra Leone et au Libéria.
Certains de ces défis sont endémiques, d’autres résultent de la fragilité institutionnelle et d’un manque de volonté politique, en particulier au Libéria, ou de l’indécision des acteurs politiques ainsi que des préjugés ethniques et régionaux en Sierra Leone
L’analyse ci-dessus montre que la gestion des transitions politiques des anciens régimes autoritaires comme ceux de la Sierra Leone et du Libéria vers la démocratie exige un processus de transformation de la culture politique – un facteur qui n’est pas toujours partagé par tous les acteurs qui se concentrent plutôt sur les résultats et avantages immédiats plutôt que sur un processus de construction démocratique à long terme. Dans la plupart des cas, comme on l’a vu dans de nombreux pays sortant d’un conflit, cela dépend aussi généralement de la quête générale de changement qui met fin au régime d’impunité des acteurs responsables de la violation des droits de l’Homme. Ces questions sont abordées de façon thématique dans les parties ci-dessous.
La transition politique en Sierra Leone
Depuis la victoire du Président Ernest Bai Koroma contre le Parti populaire sierra-léonais en 2007, la Sierra Leone s’est lancée dans un modèle de transition politique. Les deux gouvernements sierra-léonais d’après-conflit ont introduit plusieurs nouvelles lois pour soutenir la transition politique. Comme l’a également souligné Lansana Gberie, « Deux cents (200) professionnels de haut niveau et de niveau intermédiaire des provinces du Sud et de l’Est, pour la plupart des Mende, ont été licenciés un an après l’arrivée au pouvoir de Koroma, de façon arbitraire pour la plupart. Ils ont été remplacés par des gens presque entièrement originaires du nord du pays, en particulier du district de Bombali, fief du président.
Au cours de son premier mandat, de nombreux hauts fonctionnaires n’ont pas été tenus responsables de leurs actes et, par conséquent, le gouvernement n’a pas été sensible aux demandes des citoyens et à la reddition des comptes. Bien qu’une commission anticorruption ait été mise en place au cours du premier gouvernement d’Ahmed Tejan Kabba, à la suite des recommandations de la CVR et des efforts de réforme institutionnelle au lendemain de la guerre, ces initiatives se sont limitées à des enquêtes sans suite, ce qui a permis à de nombreux hauts fonctionnaires d’éviter des poursuites judiciaires en Sierra Leone. De plus, les priorités d’investissement sont constamment perverties en faveur d’une clientèle politique et de mécènes, à qui la plupart de la commande publique est attribuée.
Une étude commanditée récemment par Action Aid Sierra Leone a confirmé le rapport de Lansana Gberie selon lequel l’exploitation et la responsabilité sociétale des sociétés minières demeurent très discutables en raison du non- respect de la réglementation minière par le gouvernement. Cela s’est traduit par la souffrance, la misère et une pauvreté endémique chez les résidents des zones minières. Jusqu’à présent, la lutte pour la survie provoque des tensions croissantes entre les habitants des zones minières, les entreprises et les travailleurs des mines.
En outre, la haine qui a marqué l’histoire des relations entre les principaux acteurs politiques rivaux depuis l’indépendance a survécu à la transition politique. Ces relations sont pleines de tensions, de menaces, de récriminations et de suspicion mutuelle – parfois avec des crises de confiance profondément enracinées pendant chaque transition politique. Les défis sont maintenant liés à la manière de faire face à de telles menaces pour renforcer la démocratie fragile, en particulier lorsque l’affiliation politique en Sierra Leone dépend largement d’alliances personnelles selon les appartenances ethniques et régionales.
La liberté d’information et d’expression
Dans une démocratie, le peuple a le droit d’accès à l’information en tout temps sur les politiques, décisions et actions de son gouvernement et sur la gestion des affaires publiques en général. Ce droit est garanti par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP). Les États sont tenus de se conformer à ces normes internationales qu’ils ont ratifiées et intégrées dans leur législation interne. Cependant, dans la plupart des cas, le droit du public à l’information n’est pas respecté, même si la loi prévoit un accès sans entrave à l’information. Souvent, les agents de l’Etat se réfugient derrière les motifs de sécurité nationale pour refuser de fournir des informations.
Cela s’est traduit par la souffrance, la misère et une pauvreté endémique chez les résidents des zones minières. Jusqu’à présent, la lutte pour la survie provoque des tensions croissantes entre les habitants des zones minières, les entreprises et les travailleurs des mines
Malheureusement, tout au long de la période coloniale et post-indépendance des deux pays, les journalistes ont été victimes de la répression de l’Etat et d’autres acteurs non-étatiques. Le harcèlement, l’intimidation, la pression politique et la violence ont tous contribué à la détérioration des conditions dans lesquelles les médias opèrent.
Dans le même ordre d’idées, la loi sur l’accès à l’information vise à éliminer le secret inutile et déraisonnable dans le fonctionnement des gouvernements. Une analyse critique de Tiawan Saye Gongloe montre qu’un « gouvernement qui promeut un degré élevé de secret dans le processus de gouvernance, sans le savoir et sans le vouloir, jette le doute et la suspicion sur ses politiques, plans, programmes, décisions et actions ». Il soutient en outre qu’un plus grand secret dans le processus de gouvernance mine la confiance du public dans le gouvernement.
Liberté d’information et d’expression en Sierra Leone
Les médias en Sierra Leone ont énormément contribué à ouvrir la voie à une transformation sociopolitique, après l’histoire mouvementée du pays. Toutefois, le maintien de la cinquième partie de la loi de 1965 sur l’ordre public dans le cadre des lois de la Sierra Leone constitue un obstacle à la liberté de la presse. La cinquième partie de la loi criminalise la diffamation et la sédition, qui peuvent être commises par des professionnels des médias, de manière délibérée ou par inadvertance. Pour les médias sierra-léonais, cette loi intimidante est liberticide, car elle maintient les journalistes dans la crainte perpétuelle d’être persécutés.
Par exemple, une émission de radio hebdomadaire populaire a été suspendue pendant semaines par la Commission indépendante des médias (CIM) à la suite d’une décision du Cabinet, sans respecter les procédures prévues par la loi sur la Commission indépendante des médias (CIM), selon le Rapport sur l’état des droits de l’Homme de la Sierra Leone (HRCSL, 2014).
En outre, le Code de la fonction publique relatif au secret professionnel, qui interdit aux fonctionnaires de divulguer les informations nécessaires aux journalistes, constitue également un obstacle à la liberté d’expression des journalistes susceptibles de condamnation s’ils diffusent, en premier, une information sans l’avis des sources officielles. Toutefois, l’adoption de la loi sur la liberté d’information en 2013 est un pas dans la bonne direction. Le projet de loi donne aux journalistes et aux autres personnes intéressées l’accès à l’information publique.
Les défis sont maintenant liés à la manière de faire face à de telles menaces pour renforcer la démocratie fragile, en particulier lorsque l’affiliation politique en Sierra Leone dépend largement d’alliances personnelles selon les appartenances ethniques et régionales
La nature partisane des médias du pays est un autre objet de préoccupation. Outre le fait que les médias sierra-léonais s’intéressent, avec passion, aux questions politiques, ils sont aussi profondément alignés sur les deux grands partis politiques du pays, à savoir le All People’s Congress Party (APC) et le Sierra Leone People’s Party (SLPP), même si ces partis ont leurs propres journaux. Les problèmes politiques bénéficient d’une plus grande attention, à l’exclusion des questions relatives aux droits de l’Homme sauf lorsqu’il se passe quelque chose de sensationnel, comme une manifestation qui devient mortelle à la suite d’une action policière.
État de droit en Sierra Leone
Des efforts ont été faits pour améliorer le système judiciaire, comme en témoigne le projet de réforme du secteur de la justice appuyé par plusieurs bailleurs de fonds et en particulier le projet du PNUD en Sierra Leone qui a contribué de manière significative à améliorer la situation en recrutant davantage de magistrats pour servir dans tout le pays. H. A. Kargbo (2015), dans son livre intitulé Governance and the Three Arms of Government in Sierra Leone, a soutenu que le système judiciaire en Sierra Leone a besoin d’améliorations radicales pour que les citoyens puissent jouir des principes d’égalité devant la loi et de soumission égale de toutes les couches sociales à la loi.
Le pouvoir judiciaire en Sierra Leone n’a pas d’autonomie financière. Parmi les autres contraintes du système judiciaire figurent les lenteurs dans le traitement des affaires judiciaires. Certaines affaires sont encore pendantes devant la Haute Cour et la Cour d’appel depuis des décennies. Le système judiciaire est relativement inefficace au niveau du district, de la chefferie et des zones rurales. L’infrastructure judiciaire souffre d’un sous-investissement pour l’hébergement des juges et magistrats visiteurs, le parc automobile et les moyens de transport.
Transparence et responsabilité en Sierra Leone
Le manque de transparence et de responsabilisation a été un problème majeur ces derniers temps en Sierra Leone. Elle a conduit à l’auto-enrichissement de certains fonctionnaires au détriment du développement national. Toutefois, plusieurs efforts et structures ont été mis en place par le gouvernement sierra- léonais d’après-conflit pour résoudre les problèmes de transparence et de responsabilité en matière de gouvernance.
L’idée que les citoyens peuvent demander au gouvernement de rendre compte de l’amélioration du développement et de la prestation des services a vu l’émergence d’institutions et de processus de responsabilisation axés sur la demande en Sierra Leone. Il s’agit notamment de la National Advocacy Coalition on the Extractives et du Budget Advocacy Network. D’autres processus de responsabilisation rassemblent le gouvernement et la société civile pour créer une synergie. Il s’agit notamment des comités de supervision budgétaire de district (DBOC) et des commissions de lutte contre la corruption (ACC), ainsi que des groupes de suivi de la société civile. Dans tous ces cas, les citoyens manifestent maintenant leur volonté de protester contre les manquements à l’obligation de rendre des comptes au public.
La cinquième partie de la loi criminalise la diffamation et la sédition, qui peuvent être commises par des professionnels des médias, de manière délibérée ou par inadvertance. Pour les médias sierra-léonais, cette loi intimidante est liberticide, car elle maintient les journalistes dans la crainte perpétuelle d’être persécutés
Plus important encore, le Gouvernement sierra-léonais a manifesté son adhésion aux idéaux et aux valeurs de l’Open Government Partnership (OGP) et avait déjà créé un secrétariat de l’Open Governement Initiative (OGI) pour réaliser les objectifs de transparence et de bonne gouvernance promus par l’initiative qui a une envergure globale de promotion de la transparence et des principes de bonne gouvernance. Les fonctionnaires sont désormais tenus de gérer des registres corrects et appropriés, car ils seront en mesure de les rendre publics sur demande. Cela doit être soutenu par des mécanismes de renforcement des capacités nécessaires à l’application de la loi.
Cela fait partie de la réponse du gouvernement à l’appel lancé par le public pour améliorer la transparence dans l’ensemble du gouvernement en rendant l’information facilement accessible au public. Le gouvernement a créé la Commission du droit d’accès à l’information afin de prendre une loi en la matière de veiller à l’effectivité de son application.
Conclusion
La situation de la gouvernance démocratique et des droits de l’Homme au Libéria et en Sierra Leone semble similaire, dans les deux pays, à bien des égards. Les processus démocratiques sierra-léonais et libériens dans le contexte de transition sont tous deux des produits d’affrontement à somme nulle entre le gouvernement et les factions rebelles. La réalité est que les deux pays semblent s’être remarquablement bien remis de l’héritage de la guerre civile et du dysfonctionnement profond des secteurs de la sécurité et de la justice que la militarisation antérieure de la politique et la mauvaise gestion économique avaient favorisés.
Des progrès remarquables ont été réalisés, dans les deux pays, dans le domaine de la liberté d’expression, de la liberté d’association et de la participation citoyenne que l’on peut généralement qualifier de « libertés politiques ». Toutefois les privations au plan socio-économique liées au chômage, aux inégalités dans la répartition des revenus et des richesses, à l’insécurité alimentaire et au déficit d’une éducation adéquate continuent de miner leurs processus respectifs de démocratisation.
L’expérience des deux pays a également montré que les promesses électorales sur la démocratie et son impact en faveur des pauvres sont surestimées par les candidats en campagne. Compte tenu de la situation actuelle des droits de l’Homme et du déficit de gouvernance dans les deux pays, l’étude a noté avec préoccupation que la détérioration croissante des conditions de vie d’un grand nombre de citoyens peut avoir de graves conséquences sur les acquis démocratiques. Cela signifie que si l’on veut approfondir la démocratie dans les deux pays, il faut l’ancrer dans une société composée de citoyens dotés d’un capital social, politique et civil qui renforce leur attachement à la démocratie.