Auteur: Shola Lawal
Site de publication: Equal times
Type de publication: Article
Date de publication: 9 septembre 2019
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Le Sierra Leone, petit pays d’Afrique de l’Ouest d’environ 7,5 millions d’habitants, détient un des taux les plus élevés au monde de grossesses chez les adolescentes : le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) estime que 28 % des filles de 15 à 19 ans ont été enceintes ou ont accouché au moins une fois.
Au Sierra Leone, le nombre d’adolescentes enceintes a explosé suite à la crise d’Ébola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest en 2014 et qui a coûté la vie à plus de 11.000 personnes dans la région, dont près de 4.000 au Sierra Leone. De nombreuses jeunes filles se sont ainsi retrouvées orphelines, ce qui les a rendues vulnérables à l’exploitation et aux violences sexuelles commises par des membres de leur famille et, parfois, par leurs propres enseignants.
D’après l’UNFPA, environ 14.000 jeunes filles sont tombées enceintes pendant la crise d’Ébola, pour certaines dans le cadre de relations sexuelles tarifées, mais pour de nombreuses autres à la suite d’un viol. Les femmes et les filles sierra-léonaises sont confrontées à des niveaux de violence sexuelle extrêmement élevés – un héritage de la sanglante guerre civile (1991-2002), durant laquelle le viol était utilisé comme arme de guerre. Certaines jeunes filles ont même épousé leur violeur, la grossesse hors mariage étant toujours un énorme tabou au Sierra Leone.
Près de 4.000 cas de viols ont été signalés en 2017, d’après l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Rainbo Initiative, qui soigne gratuitement les survivantes des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre. L’année dernière, ce chiffre a doublé, précise le directeur de Rainbo Initiative, Daniel Kettor, en grande partie du fait que de plus en plus de femmes et de filles signalent les agressions dont elles font l’objet. Daniel Kettor attribue ce phénomène à l’impact de la sensibilisation des ONG sur cette question, et aussi à la confiance des citoyens à l’égard du gouvernement du président Bio.
Comment l’interdiction scolaire porte-t-elle préjudice aux filles ?
Le Sierra Leone n’est pas le seul pays africain à interdire aux adolescentes enceintes d’aller à l’école. Pour Anita Koroma, la directrice nationale du Girl Child Network, l’interdiction est non seulement discriminatoire, mais également inutile : « Les jeunes filles éprouvent déjà trop de honte et de découragement pour retourner à l’école dans leur état », note-t-elle.
La pénurie de personnels de santé qualifiés, associée à de mauvaises infrastructures de santé, ne fait qu’aggraver un taux de mortalité maternelle déjà élevé. Que l’école leur soit interdite ou non, la vie est terriblement difficile pour les jeunes filles enceintes.
Cela reste discriminatoire parce qu’en n’autorisant pas les filles à être avec leurs camarades, c’est comme si on leur disait qu’elles sont les brebis galeuses de la société, qu’il n’est pas convenable qu’elles aillent où vont les élèves normaux », s’indigne Mariatu Kalokoh, une jeune femme qui a dû arrêter l’école après être tombée enceinte
Certains militants demandent des solutions pratiques, en tenant compte du fait qu’au Sierra Leone, la grossesse des adolescentes est perçue comme l’expression la plus grave de l’immoralité des jeunes filles. L’idée qu’une jeune fille enceinte puisse être à l’école est choquante pour de nombreuses personnes, comme l’indique la militante des droits des femmes Alimatu Dimonekene à Equal Times. Elle ajoute qu’elle finance personnellement l’éducation de plusieurs mères adolescentes mais elle reconnaît qu’il faudra du temps pour que la plupart des gens acceptent la présence de filles enceintes en classe.
Centres spéciaux pour jeunes filles enceintes
L’équilibre que propose le gouvernement du Sierra Leone se présente sous la forme de centres spéciaux à temps partiel pour les jeunes filles enceintes. Le programme de retour à l’école pour les mères adolescentes a vu le jour en 2015 et bénéficie du soutien du Département du développement international du gouvernement britannique, des Nations Unies et du ministère de l’éducation du Sierra Leone. Le programme de ces établissements spéciaux prévoit un encadrement personnel et une période d’enseignement de deux heures, trois fois par semaine.
Toutefois, certaines personnes pensent que ces centres ne donnent pas aux jeunes mères une éducation suffisante : « Cela reste discriminatoire parce qu’en n’autorisant pas les filles à être avec leurs camarades, c’est comme si on leur disait qu’elles sont les brebis galeuses de la société, qu’il n’est pas convenable qu’elles aillent où vont les élèves normaux », s’indigne Mariatu Kalokoh, une jeune femme qui a dû arrêter l’école après être tombée enceinte.
Elle ajoute que les horaires sont inadaptés et que les filles ne peuvent toujours pas passer les examens nationaux. Et même si elles sont libres de quitter les centres et de reprendre leur scolarité après leur accouchement, d’après les travailleurs sociaux, elles le font rarement.
Le tribunal de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devrait se prononcer sur la plainte déposée contre le gouvernement du Sierra Leone en novembre. Naitore Nyamu, d’Equality Now, est optimiste quant à la levée de l’interdiction scolaire. Mais elle sait aussi que le combat ne s’arrête pas là. « Nous avons une stratégie pour répondre à ce litige, quelle que soit la décision du tribunal. Nous continuerons à militer pour les droits des filles, pour leur éducation et pour qu’elles y aient toutes accès. »