Auteur : Sophie DOUCE
Site de Publication : Le Monde
Type de Publication : Article
Date de publication : 5 Novembre 2018
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Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Dans tout le pays, il existerait plus de 600 établissements « pirates » comme celui-ci, selon le dernier recensement du ministère burkinabé de l’éducation nationale, mené en juillet et en août. Locaux insalubres, personnel non qualifié, élèves en sureffectif, ces structures privées non reconnues par l’Etat ne respectent pas la réglementation. « Vous voyez, les murs sont délabrés ; si ça tombe, ça peut blesser quelqu’un et il n’y a pas d’électricité », montre le directeur, d’abord méfiant, mais qui accepte finalement de nous ouvrir les portes de son école, située près des zones dites « non loties », dans la périphérie de la capitale burkinabée. Une centaine d’enfants étudient ici, du CP à la cinquième, dans des petits locaux en banco aux fenêtres sans vitres.
« Ces structures clandestines dispensent un enseignement au rabais, dénonce Souleymane Badiel, secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche. L’autre problème, c’est que ces enfants n’existent pas pour le système scolaire légal. Alors, pour qu’ils puissent passer les examens, leurs professeurs doivent la plupart du temps payer les établissements ou que leurs élèves se présentent en candidats libres. »
Au sein de l’école clandestine, rares sont les enseignants qui acceptent de témoigner à visage découvert sur leurs conditions de travail. A la sortie des classes, l’un d’eux glisse : « Ça fait deux ans que je n’ai pas reçu de salaire ; pour l’instant, on me paie juste le carburant pour venir jusqu’ici. Si je reste, c’est pour les enfants et parce que je garde espoir d’être payé un jour. »
Ces structures clandestines dispensent un enseignement au rabais, dénonce Souleymane Badiel, secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche
« Nous étions environ huit à ne pas être payés, c’était toujours la même chanson : le directeur nous promettait de nous payer le mois suivant, se souvient un ancien enseignant, qui a préféré partir il y a quelques années après plusieurs mois de bras de fer avec la direction. Il m’avait promis un salaire de 60 000 francs CFA par mois, je n’ai jamais reçu ce montant. »
« Certains m’ont convoqué à l’inspection parce que je leur dois de l’argent. Mon établissement a des problèmes de budget. J’ai pris un crédit de 10 millions de francs CFA il y a cinq ans. Depuis l’échéance, en 2016, je n’ai toujours pas pu rembourser. » Avec des frais de scolarité deux fois moins élevés que ceux pratiqués en moyenne dans les structures privées légales, impossible, selon lui, de payer le personnel, la quittance nécessaire pour légaliser son école et encore moins les travaux de réfection, estimés à « plusieurs millions de francs ».
Du côté des parents, le phénomène inquiète. « C’est devenu un business, qui prospère sur le manque d’établissements publics dans certaines zones. C’est un danger pour nos enfants », dénonce Souleymane Nignan, porte-parole des parents d’élèves au sein de la commission pour l’enseignement privé (CEP).
Certains m’ont convoqué à l’inspection parce que je leur dois de l’argent. Mon établissement a des problèmes de budget. J’ai pris un crédit de 10 millions de francs CFA il y a cinq ans. Depuis l’échéance, en 2016, je n’ai toujours pas pu rembourser
Mais ces structures, souvent cachées, installées sous des paillotes, dans des petites cours communes ou au domicile même de leur dirigeant, restent difficiles à repérer et prolifèrent dans l’ombre au Burkina Faso, où plus de 60 % de la population est analphabète. Contactés, les propriétaires de plusieurs établissements suspendus par le ministère, selon une liste publiée le 31 août, reconnaissent poursuivre leurs activités aujourd’hui.
« Il y a eu un manque de contrôles rigoureux, c’est vrai, regrette Karim Kaboré.
Le directeur de l’enseignement général privé promet un « changement de stratégie avec des contrôles spontanés en milieu d’année scolaire » dès 2019. Pour rappel, le président Roch Marc Christian Kaboré s’était engagé, pendant sa campagne électorale victorieuse de 2015, à « résorber les salles de classe sous abris précaires » d’ici à 2020.