Auteur : Benoît BEUCHER
Organisation affiliée : Centre Thucydide
Type de Publication : Essai
Lien vers le document original
Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
L’actualité récente fait beaucoup parler du Burkina Faso, ancienne Haute-Volta. Impliqué dans le règlement du dossier ivoirien, togolais, guinéen, négociateur auprès d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) afin d’obtenir la libération d’otages, le « petit » Burkina occupe incontestablement un large espace dans le champ des recompositions géopolitiques à l’échelle sous-régionale. Pourtant, cet Etat, enclavé au cœur de l’Afrique de l’Ouest, est l’un des plus pauvres du monde ; sa population est dense, mais relativement peu importante; sa capacité d’intervention militaire est plus que modeste.
Ce pays est néanmoins à l’origine d’une diplomatie active, particulièrement ambitieuse de surcroît. Sans disposer pleinement du leadership régional qu’il convoite, le Burkina n’est pas moins un acteur qui compte dans son environnement géopolitique proche. Hélas, les coups de projecteurs jetés, de façon très ponctuelle, au gré d’une actualité capricieuse, par les médias sur le pays ont tendance à occulter toute analyse des processus de longue ou moyenne durée qui permettrait de rendre compte des lignes de force de sa diplomatie.
Le territoire de Haute-Volta, qui épouse peu ou prou les limites de l’actuel Burkina Faso, est né en 1919 à la suite d’une histoire coloniale mouvementée. A la fin du XIXe siècle, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne entrent en rivalité afin de placer les pays de la Boucle du Niger sous leur influence. Leur objectif vise à faire la conquête de l’hinterland des espaces côtiers conquis, puis de les relier entre eux. Au début des années 1890, la France prend de vitesse ses deux concurrents : entre 1895 et 1898, elle parvient à faire la conquête de la plupart des territoires voltaïques et, en juin 1898, une convention franco-britannique les fait passer définitivement sous domination française.
Cette région est tout d’abord intégrée dans l’espace « soudanais » et forme un territoire militaire administré à partir de Bobo-Dioulasso. En 1904, l’ensemble passe sous le gouvernorat établi à Bamako. Puis, les problèmes administratifs posés par la forte distance séparant le chef-lieu de l’espace voltaïque conduisent les autorités coloniales à créer la colonie de Haute-Volta en 1919.
La délimitation de ce territoire ne va pas de soi. Il regroupe en effet des régions diversement connectées à l’espace sous-régional. A l’Ouest, la région peuplée par les Bobos, dioulas ou sénoufos, se trouve le long d’un axe commercial d’orientation Nord-Sud situé à l’interface entre la savane soudanaise et la zone forestière ivoirienne. Le centre du pays est constitué par le solide espace politique formé par les Mossis historiquement proches du Ghana voisin (ancienne Gold Coast). Le Nord est quant à lui peuplé par des populations (semi-)nomades (notamment les Peuls) fortement liées au Mali ainsi qu’au Niger actuels. Enfin, l’Est est peuplé par des populations gourmantchées apparentées aux Mossis. Cet ensemble disparate est placé sous l’autorité d’un pouvoir centralisé à Ouagadougou.
Le 5 août 1960, la Haute-Volta obtient seule son indépendance.
Cet épisode caractérise assez bien la diplomatie suivie par Yaméogo jusqu’à la fin de sa présidence en 1966 : à géométrie variable, voire erratique, elle oscille sans cesse entre des gestes forts de souveraineté et le réalisme qui la conduit à limiter ses prétentions. En 1961 par exemple, Yaméogo demande et obtient le retrait des troupes françaises de son territoire dans les plus brefs délais. La Haute-Volta est alors au bord de la rupture diplomatique avec son ancienne métropole . Ce geste rappelle par bien des aspects le rejet opposé en 1958 par la Guinée de Sékou Touré au projet gaullien de Communauté. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Haute-Volta se rapproche au même moment de ce pays en froid avec la France et la Côte-d’Ivoire.
Yaméogo entend parallèlement resserrer ses liens avec le Ghana de N’Krumah, autre figure forte des indépendances en Afrique : il s’agit là de menacer le Conseil de l’Entente et de prouver à la Côte d’Ivoire que la Haute-Volta joue à égalité avec elle. Cependant, cette stratégie s’essouffle rapidement. A partir de 1963, les relations entre la Haute-Volta et la Guinée se brouillent. Yaméogo se voit contraint d’opérer un revirement diplomatique radical et va jusqu’à imaginer la création d’une double nationalité ivoiro-voltaïque en 1965 ! Si ce projet est resté sans suite , il n’en demeure pas moins que la Haute-Volta s’est associée à la fondation de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM),appelée de ses vœux par la Côte d’Ivoire.
Dans le même temps, les Voltaïques en sont venus à perdre l’habitude de voir leur Président sur le sol national. En partie déconnecté des affaires intérieures, Yaméogo finit par se consacrer presque exclusivement aux questions internationales et n’est pas en mesure de sentir venir le mécontentement populaire qui est à l’origine de sa démission en 1966.
A ce moment, l’ère du prétorianisme s’ouvre en Haute-Volta. Le nouveau chef de l’Etat, le général Sangoulé Lamizana (1966-1980), exprime son souhait de rompre avec la politique étrangère de son prédécesseur et de mettre fin aux « frasques » de celui qu’il appelle l’« enfant terrible du Conseil de l’Entente ».
Pourtant, Lamizana entend dès le départ normaliser les relations avec ses partenaires stratégiques, notamment la France et la Côte d’Ivoire, et ainsi mettre fin à l’« aventurisme » qui, selon Saye Zerbo, son ministre des Affaires étrangères, aurait caractérisé la politique étrangère de Yaméogo. De plus, Lamizana, qui avait connu Houphouët avant les indépendances, espère bien obtenir bienveillance et conseils auprès du « Vieux » .
Toutefois, les relations entre les deux hommes restent désespérément froides. Tout cela n’empêche pas la Haute-Volta de s’associer en 1973 à la constitution d’une nouvelle organisation régionale francophone souhaitée par le président ivoirien : la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEAO), dont Ouagadougou est devenue le siège. En 1975, la Haute-Volta s’associe à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui, ouverte sur des espaces anglophones ou lusophones, n’a pas entamé la solidarité qui unit ses membres francophones.
A l’étranger, Sankara est l’incarnation même de la Révolution. L’officier au mode de vie ascétique, loin des fastes du pouvoir, a de quoi séduire, notamment une partie de la jeunesse d’Afrique qui ne peut pas en dire autant de ses dirigeants
Malgré sa volonté d’élaborer une politique étrangère apaisée, Lamizana n’entend pas moins réaffirmer la parfaite souveraineté de la Haute-Volta en la matière. La défense des intérêts de son pays le conduit parfois à prendre des décisions risquées. Si les débuts de la CEAO sont difficiles, c’est notamment en raison des tensions qui existent entre la Haute- Volta et le Mali. Le différend porte sur un bout de territoire contesté par les deux parties : la Bande d’Agacher .
Il se solde en 1974 par un conflit de basse intensité, auquel on a donné le nom de « Guerre des pauvres », un sobriquet qui en dit long sur l’image catastrophique donnée alors par ces deux Etats. Ce conflit est l’occasion pour la Côte d’Ivoire de se poser en médiatrice, puisqu’elle permet la signature d’un Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense (ANAD) passé avec sept Etats d’Afrique de l’Ouest francophones en 1977 .
Avec le putsch du 4 août 1983, la Haute-Volta s’ouvre sur la voie de l’expérience révolutionnaire. Conduite par le capitaine Sankara, la Révolution démocratique et populaire (RDP) se présente comme l’« année zéro » de l’histoire du pays, d’ailleurs rebaptisé du nom de « Burkina Faso » ou « Pays des hommes intègres » en 1984. En apparence, la communauté nationale s’imagine par des moyens nouveaux. Puisant son inspiration dans de multiples sources allant du catholicisme social au marxisme en passant par toute une littérature tiers- mondiste, le pouvoir opère une recomposition sociale interne qui bouscule les mentalités .
L’heure est à la construction nationale par le bas, indissociable de l’élaboration d’une diplomatie propre à susciter la fierté des Burkinabés.
Il ne faut pas perdre de vue que le Burkina révolutionnaire, bien qu’affirmant la solidarité avec tous les pays qui combattent le « néo-impérialisme », entend être un modèle unique, un « produit local pour consommation locale » , pour reprendre l’expression de Sankara. A notre sens, cela prouve qu’il n’y a pas de rupture fondamentale avec les principes qui ont guidé la diplomatie burkinabée avant 1983. Si le style change, l’objectif fondamental reste le même : assurer au pays la parfaite maîtrise de ses relations internationales, surmonter ses handicaps afin d’en faire une puissance sous-régionale active et, last but not least, consolider l’unité nationale.
A l’étranger, Sankara est l’incarnation même de la Révolution. L’officier au mode de vie ascétique, loin des fastes du pouvoir, a de quoi séduire, notamment une partie de la jeunesse d’Afrique qui ne peut pas en dire autant de ses dirigeants. De façon générale, Sankara a largement contribué à faire exister le Burkina sur la scène internationale. Selon lui, l’édification de la nation au Pays des hommes intègres impose de suivre un cadre moral qui se base notamment sur une certaine idée de la franchise.
En 1983, l’heure, dit-on alors, n’est plus au cynisme ou à la Realpolitik. Toute vérité devient bonne à dire, peu importe quelles en seront les conséquences. Cette liberté de ton est tout d’abord employée à l’égard de régimes répressifs, à commencer par l’Afrique du Sud de l’apartheid. Elle est aussi l’expression d’une condamnation des Etats « néo-impérialistes » susceptibles de menacer le processus révolutionnaire ou de réduire la marge de manœuvre économique et politique du pays : la Côte-d’Ivoire et la France sont visées.
L’image du Burkina a cependant été écornée par le second conflit qui l’a opposé au Mali. Engagée au cours de l’hiver 1985, cette « guerre de Noël » isole le Burkina. Pis, par application de l’ANAD, elle impose une nouvelle médiation de la Côte-d’Ivoire, laquelle convoque en janvier 1986 un mini-sommet afin d’obtenir la réconciliation entre les deux parties . Comment mieux mettre en lumière les limites d’une diplomatie burkinabé pêchant par ambition ? Cette affaire a eu de graves répercussions intérieures.
A la suite d’un voyage en Côte-d’Ivoire, Blaise Compaoré, ancien bras-droit de Sankara, se convainc de la nécessité de prendre le pouvoir et de dégager une ligne diplomatique plus réaliste : le 15 octobre 1987, il est à l’origine du putsch qui entraîne la mort de Sankara. Le processus de « rectification » de la Révolution commence.
Le coup d’Etat de 1987 ne met pas immédiatement un terme à la Révolution.
Officiellement, le nouveau pouvoir, qui prend le nom de Front populaire (FP), continue d’employer la rhétorique révolutionnaire tout en l’assouplissant. Le Burkina se fait ainsi toujours le chantre du combat contre le « néo-impérialisme », mais le contenu déjà bien flou de cette notion se voit vidé de son sens polémique. L’heure est à l’ouverture à l’égard de pays jusque-là considérés comme hostiles, à commencer par la France et la Côte-d’Ivoire. En 1988, Compaoré fait donc savoir que la « révolution ne signifie pas qu’il faut vivre dans l’hostilité avec tous ceux qui ne partagent pas nos philosophies politique et économique » . Ces propos caractérisent bien le souci de « normalisation » qui anime la diplomatie post-révolutionnaire.
L’image du Burkina a cependant été écornée par le second conflit qui l’a opposé au Mali. Engagée au cours de l’hiver 1985, cette « guerre de Noël » isole le Burkina
Entre 1983 et 2005, le Burkina acquiert une forte visibilité internationale. Cela est d’abord la conséquence des prises de position souvent provocatrices de Sankara. Après lui, Blaise Compaoré joue sur une autre ligne dangereuse, qui ne fait pas moins parler de son pays : elle oscille entre une tactique de déstabilisation de pays en proie à la guerre civile et de résolution de conflits. Nous allons voir que cette politique, qui fait du Burkina un « pompier pyromane », n’a cependant rien de schizophrénique.
Sous la Révolution, les prises de position du Burkina sur la scène internationale ont suivi une ligne éthique rigoureuse, à la limite du manque de réalisme. A partir de 1987, Compaoré adopte un style très différent, qui se veut avant tout « réaliste ». Il s’agit là certainement de la rupture la plus frappante d’avec l’expérience révolutionnaire. Ainsi, entre 1989 et 2005, le Burkina endosse à de nombreux égards les habits propres aux « États voyou » , devenant notamment la plaque tournante de trafics d’armes venues de l’ancien
bloc soviétique et de diamants issus de Sierra Leone. Ouagadougou, tout en accueillant de nombreuses manifestations pacifiques, a bien été une base arrière alimentant les rébellions agitant des États côtiers non limitrophes : le Liberia et la Sierra Leone.
Cependant, l’implication du Burkina dans ces deux guerres civiles s’avère contreproductive. Elle entre effectivement en contradiction avec sa «politique du développement » et renvoie une image confuse du pays à l’étranger. Dans les années 1991- 1992 par exemple, les relations avec les Etats-Unis se tendent : l’ambassadeur du Burkina à Washington est rappelé et réciproquement. Entre 2004 et 2006, l’étau se resserre autour du Burkina à l’occasion de l’ouverture des travaux du Tribunal pénal international (TPI) pour la Sierra Leone. La thèse de son implication dans les guerres civiles en Sierra Leone et au Liberia se précise ; elle est notamment soutenue par l’organisation Human Rights Watch, ainsi que par l’ONU.
En matière de médiation, le Burkina peut d’ailleurs s’appuyer sur une première expérience acquise dans les années 1990. En 1994, le colonel Djibril Bassolé est chargé par Compaoré de traiter la question de la rébellion tamashek qui menace alors le Mali et le Niger. Le président du Faso peut également compter sur les bons offices d’un certain Moustapha Limane Chafi, ressortissant mauritanien proche d’un des chefs de la rébellion des
Tamasheks au Niger, Mano Dayak . Le Burkina devient partie prenante de la préparation d’un accord de paix entre les deux parties en conflit, signé à Ouagadougou en avril 1995.
Rien de surprenant donc si Bassolé, entre-temps ministre de la Sécurité, puis des Affaires étrangères, est de ceux qui suivent de près la crise ivoirienne . En 2002, au plus fort de la guerre civile, Gbagbo accuse ouvertement le Burkina d’avoir soutenu et armé les rebelles du Nord. Le gouvernement burkinabé rétorque aussitôt qu’il ne fait que protéger les intérêts de ses nombreux ressortissants . Le 24 janvier 2003, Compaoré s’impose comme un interlocuteur de choix lors de la négociation des Accords de Marcoussis. Peu de temps après, c’est bien lui que le chef du gouvernement ivoirien Diarra sollicite afin d’obtenir le retour de… ses ministres démissionnaires !
De façon générale, la politique étrangère du Burkina, qui vise essentiellement à donner du pays une bonne image, celle d’un pays « bien gouverné » et « fréquentable », a remporté de notables victoires, lesquelles trouvent leur contrepartie sur le plan économique . L’Union européenne (UE), la France en particulier , mais aussi les Etats-Unis louent unanimement les efforts entrepris par le Président du Faso en matière de médiation dans les conflits évoqués plus haut, mais aussi de négociation auprès d’AQMI.
Ce satisfecit n’est pas seulement verbal : il s’accompagne de mesures financières dans le cadre de l’aide au développement. A titre d’exemple, le Burkina peut s’enorgueillir de bénéficier d’une part non négligeable de l’enveloppe budgétaire globale accordée par l’UE au titre du 10e Fonds européen de développement (FED) pour la période 2008-2013 . Le 14 juillet 2008, le Pays des hommes intègres obtient également, avec l’appui du gouvernement américain, la signature d’un compact ou subvention dans le cadre du Millennium Challenge Account (MCA) .
Peu après 2007, semble avoir été mise en place une répartition des tâches entre le Président et son Premier ministre, Tertius Zongo, qui fait office de « double blanchiment ». En effet, Compaoré entend presque exclusivement se consacrer aux questions internationales ; or, c’est pourtant bien dans ce domaine que son action peut être jugée la plus suspecte. De son côté, Zongo, ancien ambassadeur du Burkina à Washington, a été nommé à ce poste en 2002 après avoir été impliqué dans une affaire de malversations ; son retour au pays à la tête du gouvernement sonne donc comme une réhabilitation et permet à Compaoré de disposer d’un homme volontaire lui laissant les mains libres pour traiter les questions diplomatiques .
A l’approche des élections présidentielles du 21 novembre 2010, les médias pro- gouvernementaux entendent capter les rentes politiques que Compaoré peut tirer de ses succès en matière de médiation. Tandis qu’en 2009 des affiches grand format louent l’action du Président dans ce domaine, des « tanties » manifestement proches du pouvoir organisent un marathon afin de « louer les actions de paix en Afrique et dans le monde du président » .
Cependant, la presse d’opposition se demande qui est dupe : un journaliste du quotidien L’Observateur rappelle ainsi non sans pertinence que « les Burkinabé s’étonnent d’ailleurs que Blaise- la-Colombe expérimente chez les autres des potions électorales, souvent magiques, qu’il n’ose pourtant pas appliquer chez lui »! Hormis une bonne partie de l’opinion, qui semble peu avertie ou intéressée par les faits d’armes du Président à l’étranger, il semble bien que la propagande officielle ne prêche que quelques convertis qui ont tout à attendre du régime.
La mise en perspective historique des relations entre le Burkina et son environnement géopolitique montre à quel point l’évolution de la vie politique interne du pays et ses relations avec les Etats de la sous-région sont étroitement imbriquées
Pis, nous avons pu constater que de nombreux Burkinabés vivant dans la capitale condamnent le surinvestissement du Président à l’étranger au détriment des questions intérieures. Ce reproche n’est d’ailleurs pas très éloigné de celui qui a été formulé contre Yaméogo au milieu des années 1960. Quelques exemples viennent étayer ce sentiment de désertion des affaires domestiques par le Président. Certes, Compaoré, en dehors des périodes électorales, n’a jamais eu la parole facile auprès de ses concitoyens, mais, en 2008, les « émeutes de la faim » qui ont vu les deux principales agglomérations devenir le théâtre d’une forte agitation populaire ont incontestablement contribué à creuser un fossé entre le pouvoir et l’opinion. D’aucuns ont vu dans ces troubles la réédition de ceux survenus au moment de l’Affaire Zongo.
Il existe un lien clair entre la scène politique nationale pré-électorale et les réorientations du champ d’intervention de la diplomatie burkinabée. Celui-là voit en effet son centre de gravité se rapprocher de l’arc sahélien.
La mise en perspective historique des relations entre le Burkina et son environnement géopolitique montre à quel point l’évolution de la vie politique interne du pays et ses relations avec les Etats de la sous-région sont étroitement imbriquées. Certes, on pourrait en dire autant pour bien d’autres pays du monde, mais la simultanéité du processus d’émergence/affirmation de l’Etat-nation et de l’autonomisation de sa diplomatie y est frappante.
La prise en compte de la moyenne durée permet de dégager quelques lignes de force, à commencer par les contraintes qui pèsent sur sa politique étrangère. Pays comptant parmi les plus pauvres du monde, la Haute-Volta/Burkina est un territoire enclavé fortement dépendant de son voisin ivoirien, si bien que, depuis les années 1950, les régimes qui se sont succédé ont eu l’obsession d’offrir au pays une forte visibilité internationale.
L’histoire de sa diplomatie est celle de la recherche de la conversion d’un handicap en atout, du passage d’une situation d’enclavement à celle de carrefour ouest-africain. A bien des égards, les Présidents successifs ont su faire de Ouagadougou un centre sous-régional stratégique, notamment en matière de coopération et d’intégration régionale, de résolution de conflits et de négociation auprès d’organisations rebelles ou terroristes.
Ambitieuse, la diplomatie voltaïque/burkinabée l’est sans conteste, mais a-t-elle les moyens de sa politique ? Sa quête de leadership régional n’est-elle qu’une illusion entretenue par ses élites ? La question est posée depuis près d’un demi-siècle ; toute étude prospective en la matière s’avère délicate. Nous pensons qu’une des clefs du problème est probablement à rechercher sur la scène intérieure.
Certes, le président Compaoré vient d’être largement réélu avec plus de 80 % des suffrages, mais son pouvoir est fragile : de nombreux dossiers l’impliquant dans des affaires compromettantes l’attendent. A n’en pas douter, son prochain mandat (2010-2015) sera celui d’une tentative de sortie du pouvoir par la grande porte, « blanchi » par son rôle d’homme de paix. Un mandat supplémentaire ou, pis encore, la succession de son frère au pouvoir, l’impopulaire François Compaoré, serait certainement facteur de profonds désordres intérieurs et, par contrecoup, d’évolution sensible de l’orientation stratégique du pays.