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Type de Publication : Étude
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Les dix dernières années ont vu la situation au Sahel se dégrader fortement, notamment quant à la sécurité. Malgré leurs différences, les zones rurales du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad sont prises dans un piège de pauvreté, cercle vicieux où insécurité et pauvreté s’entretiennent mutuellement. Faute d’action décisive des pouvoirs publics locaux, fortement appuyés par la communauté internationale, ces territoires risquent de sombrer dans un enchaînement de conflits dont ils auront le plus grand mal à s’extraire – à l’image de l’Afghanistan, de la Somalie ou de l’Est de la République démocratique du Congo.
Le coût que représente la chute d’une région dans un état de crise permanente, où la pauvreté, la criminalité et le conflit armé se nourrissent mutuellement est exorbitant. Coût humain pour les populations des régions concernées, qui sont les premières à subir la violence et les différentes formes d’insécurité, alimentaire, économique, juridique.
Coût pour les pays concernés, qui voient leurs perspectives de développement remises en cause et leurs systèmes politiques menacés. Coût pour les pays du voisinage, au Maghreb, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, qui ont subi les premières répercussions de la crise sahélienne. Coût enfin pour l’Europe et le reste de la communauté internationale, exposés aux flux de drogue, de réfugiés jetés sur les routes de l’exil ainsi qu’aux attaques terroristes.
Le coût que représente la chute d’une région dans un état de crise permanente, où la pauvreté, la criminalité et le conflit armé se nourrissent mutuellement est exorbitant
La paix au Sahel, intimement corrélée au développement de ces territoires en cours de peuplement rapide, est un bien public dont l’intérêt déborde le continent africain. Un premier message de cet ouvrage est qu’investir dans ce bien public coûtera bien moins cher – humainement, financièrement, politiquement – que de gérer les répercussions d’une crise qui dure, qui s’enracine et qui s’étend.
Les experts interrogés s’inscrivent en faux par rapport aux thèses pessimistes sur les perspectives de développement du Sahel. La région a un potentiel de croissance, historiquement sous-exploité, aujourd’hui menacé par le développement de l’insécurité et dont la mobilisation est rendu indispensable par une croissance démographique exceptionnelle.
La situation est devenue alarmante. Alors que l’inquiétude est aujourd’hui largement partagée par les experts du Sahel au sein des milieux de la recherche, de la diplomatie, de l’humanitaire, de la sécurité et du développement, ces communautés professionnelles ont trop peu d’occasions de réflexions conjointes. Un deuxième message de cet ouvrage est que, pour bien identifier les réponses, il est nécessaire de croiser les regards des acteurs de la recherche, de la diplomatie, de la défense, de l’humanitaire et du développement.
Un premier message de cet ouvrage est qu’investir dans ce bien public coûtera bien moins cher – humainement, financièrement, politiquement – que de gérer les répercussions d’une crise qui dure, qui s’enracine et qui s’étend
La nature de la violence en Afrique de l’Ouest a changé au cours de la dernière décennie. De nouvelles formes de conflictualité sont apparues, en plus des conflits entre États ou des guerres civiles : violences lors d’élections, guerres à la périphérie des États par des insurgés armés en conflit les uns avec les autres et banditisme. Ces guérillas et brigandages se développent dans un contexte de trafic de drogue et d’armes, et d’extrémisme religieux.
Certes la situation sécuritaire au Sahel s’est améliorée depuis la situation catastrophique de janvier 2013 qui a justifié l’opération SERVAL et depuis l’accord du 20 juin 2015 entre le gouvernement du Mali et les mouvements armés du nord du Mali. Les gouvernements des différents États de la région ont pris conscience
que la lutte contre le terrorisme était un enjeu régional, et il est clair que la coopération s’intensifie entre les groupes extrémistes et terroristes dans tout le Sahel.
Ainsi la Force multinationale mixte réunissant le Cameroun, le Niger, le Tchad et le Nigéria a-t-elle commencé à mener des actions conjointes contre Boko Haram. La création du G5 qui réunit l’ensemble des pays qui sont l’objet de ce livre témoigne de la même volonté d’une action commune, particulièrement dans le domaine de la sécurité. Mais, selon le dernier Rapport du Secrétaire général des Nations unies sur
les activités du Bureau pour l’Afrique de l’Ouest « les conditions de sécurité restent
extrêmement fragiles ».
Un deuxième message de cet ouvrage est que, pour bien identifier les réponses, il est nécessaire de croiser les regards des acteurs de la recherche, de la diplomatie, de la défense, de l’humanitaire et du développement
Les différents foyers de violence, issus de contextes locaux particuliers et historiques, ont été progressivement amenés à s’interconnecter, par le biais de trafics (d’armes, de drogue, de biens de contrebande ou de migrants) ou par intérêt partagé dans la déstabilisation d’une région. Des conflits locaux (par exemple entre familles sur l’usage du foncier) entrent en résonance avec des conflits nationaux (par exemple les revendications touareg), qui acquièrent une dimension régionale par contagion de l’instabilité (par exemple le flux de combattants entre la Libye et le nord-Mali), de nombreux groupes mobilisant par ailleurs en faveur de leurs exactions le discours d’un conflit global au vernis religieux (par exemple l’affiliation à Al Qaida ou l’État islamique – qui fournissent de puissants relais de médiatisation).
Il existe une grande porosité entre les différents groupes armés signataires ou non de l’accord d’Alger et les « bandits de grand chemin » ou groupes crapuleux et mafieux ; ces derniers « profitent parfois de la focalisation médiatique sur le terrorisme en ajoutant les actions terroristes à leur répertoire… Le flou idéologique se combine à des appartenances à géométrie variable. ». Des « systèmes de conflits » se développent ainsi de part et d’autre des frontières étatiques, qui forment des limites au commerce licite et à l’action des États bien plus qu’à l’action des trafiquants ou des combattants qui en jouent.
Des zones importantes de territoire basculent ainsi dans une « trappe de conflictualité » dont les effets d’entraînement rendent l’issue d’autant plus complexe et incertaine que ces territoires fragiles souffraient préalablement du phénomène de « piège de pauvreté » combinant faiblesse du capital humain (indicateurs d’éducation et de santé alarmants), pressions démographiques et écologiques, et extrême faiblesse des institutions publiques.
L’Afrique de l’Ouest est en effet devenue depuis 2005 la plaque tournante de l’approvisionnement en cocaïne de l’Europe depuis l’Amérique du Sud ; ce sont aussi développés les trafics de méthamphétamine et d’héroïne. À la drogue et aux armes s’ajoute le trafic traditionnel de cigarettes. La chute du régime de Kadhafi a entraîné le retour au Sahel de milliers de migrants pauvres et sans emploi ainsi que d’hommes armés qui avaient guerroyé pour Kadhafi. Elle a renforcé le trafic des armes, parfois très modernes et sophistiquées en provenance de Lybie.
Une vulnérabilité identitaire est nourrie par les fragmentations, ethnolinguistiques et religieuses. La rébellion touareg est symbolique à cet égard. Elle a une très longue histoire, puisqu’elle remonte aux premières incursions françaises dans le nord du Sahel en 1890. Après la décolonisation, les Touaregs ont été marginalisés politiquement, leur style de vie se heurtant à celui des populations sédentaires ; les tensions s’accentuent encore durant les épisodes de sécheresse, sans que les gouvernements des États sahéliens aient pris des mesures à la hauteur du problème.
Les fragmentations ethniques et religieuses ont été exacerbées par l’absence d’une gouvernance publique à même d’arbitrer les conflits et en laquelle les populations aient confiance. Elles ont contribué simultanément à rendre plus difficile cette gouvernance. En effet, les institutions formelles (préfectures, conseils régionaux, mairies) cohabitent avec les institutions traditionnelles (chefferies, communautés religieuses) dans des schémas hybrides dont l’efficacité pour le règlement des conflits quotidiens est fluctuante.
Au niveau local comme au niveau national, les gouvernants sont souvent prisonniers de ceux qui les ont portés au pouvoir et inversement dans des schémas rigides de gouvernance qui ne laissent la place ni aux changements de rapports de force, ni aux évolutions des modes de vie, ni aux demandes d’inclusion d’une jeunesse pourtant majoritaire.
Aux vulnérabilités identitaires et politiques s’ajoute une grande vulnérabilité économique et environnementale. Tous les pays sahéliens, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et plus à l’est le Soudan et l’Éthiopie sont depuis longtemps classés par les Nations Unies dans la catégorie des « Pays les moins avancés » (PMA ou LDCs en anglais). Cette catégorie réunit à l’heure actuelle 48 pays, en majorité africains, que la communauté internationale s’est engagée à favoriser en matière d’aide au développement et de préférences commerciales.
Aux vulnérabilités identitaires et politiques s’ajoute une grande vulnérabilité économique et environnementale. Tous les pays sahéliens, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et plus à l’est le Soudan et l’Éthiopie sont depuis longtemps classés par les Nations Unies dans la catégorie des « Pays les moins avancés »
Elle repose sur trois critères : un faible revenu par tête, un faible capital humain (santé, éducation) et une forte vulnérabilité économique ; cette dernière résulte d’une part de l’ampleur des chocs exogènes que subissent ces pays, indépendante de leur politique économique et d’autre part du degré d’exposition à ces chocs, ampleur et exposition particulièrement élevées au Sahel : les pays du Sahel sont reconnus, en tant que PMA, comme subissant une vulnérabilité structurelle qui risque de les maintenir dans un piège de pauvreté.
Certes la croissance économique a été relativement rapide dans les pays sahéliens ces dernières années, mais elle s’avère très instable avec des périodes de décroissance. De plus, elle s’est accompagnée d’une perte élevée du capital naturel. Compte tenu de la croissance démographique la croissance du revenu par tête est faible (de 2011 à 2015 elle s’étage entre 1 et 4 % selon les pays). En effet, la croissance de la population est exceptionnellement rapide et a toute chance de le rester, comme en témoignent les prévisions des Nations Unies, quelle que soit l’incertitude sur l’évolution de l’indice de fécondité.
Ainsi en 2100 les pays du Sahel pourraient chacun atteindre des niveaux de population similaires à ceux de la France (75 millions d’habitants) à l’exception de la Mauritanie, qui restera moins peuplée, et du Niger dont la population pourrait être plus du double. Même si cette croissance démographique s’accompagne d’une urbanisation plus rapide (comme au cours des soixante dernières années où elle a atteint 6,6 % par an en moyenne), la croissance de la population rurale restera forte (elle pourrait être de l’ordre de 2 % par an).
La densité croissante des populations rurales et l’accroissement de l’aridité des terres (avec le réchauffement climatique) se cumulent pour réduire la productivité agricole et renforcer les tensions, voire les conflits violents et l’exode des populations.
Toute évolution démographique est un phénomène de long terme et l’on ne peut pas espérer l’infléchir rapidement, compte tenu de la structure par âge de la population sahélienne. Certains misent pour réduire la croissance démographique sur un actif planning familial. « Si au Sahel la planification des naissances se répand rapidement en milieu urbain, comme c’est le cas dans les autres pays africains, elle reste très déficiente en milieu rural. Les perspectives à long terme sont donc particulièrement incertaines pour la natalité, principal moteur de la croissance démographique. Le cas le plus crucial semble être le Niger où les signes de baisse de la fécondité en milieu rural sont peu probants jusqu’ici ».
En revanche l’aide internationale peut avoir pour objectif d’améliorer la santé des femmes, particulièrement de celles en couche qui souhaitent pouvoir espacer les naissances (condition d’une moindre mortalité infantile) et des adolescentes qui doivent régulièrement faire face seules à des grossesses non désirées. À cet égard, les systèmes de santé sont largement déficients. Mais l’espacement des naissances ne suffit pas pour réduire la croissance démographique.
La fécondité se réduira seulement en zone rurale lorsqu’un nombre élevé d’enfants cessera d’apparaître aux parents en zone rurale comme la seule assurance-vieillesse. Une telle évolution des mentalités suppose que les enfants survivent aux premières années de leur vie et reçoivent une éducation débouchant sur un emploi et un revenu stables. On ne peut compter sur la seule politique de limitation des naissances pour réduire la croissance démographique et faire de cette décroissance un préalable au développement du Sahel. En effet, il est illusoire de penser qu’il puisse y avoir de transition démographique sans développement économique préalable.
La croissance économique a été peu inclusive. Les déséquilibres territoriaux et générationnels se sont accentués : nord vis-à-vis du sud, campagne vis-à-vis des villes, jeunes vis-à-vis des anciens
« La concurrence foncière amène au conflit entre Touaregs et Peuls. Les populations haoussa du Niger et du Nigéria ont tendance, comme celles du Burkina Faso, à cultiver le mil de plus en plus loin au Nord parce qu’il y a un peu d’espace cultivable. Or, elles rencontrent là les populations qui vivent d’élevage et qui elles aussi font une culture de mil de façon à avoir une réserve. Cela engendre une confrontation souvent extrêmement violente sur laquelle se greffent des questions d’ethnicité.
La concurrence foncière dans la région des savanes qui est ancienne va continuer à se développer… À la vitesse à laquelle se rassemblent les populations urbaines en Afrique de l’Ouest, cela devrait entraîner un écosystème de production agricole en anneaux périurbains très importants et des tensions foncières accrues. tous ces mécanismes de tension potentielle sont des sources d’opposition ethnique et religieuse et de conflit. » Michel Griffon
« La concurrence foncière amène au conflit entre Touaregs et Peuls. Les populations haoussa du Niger et du Nigéria ont tendance, comme celles du Burkina Faso, à cultiver le mil de plus en plus loin au Nord parce qu’il y a un peu d’espace cultivable.
La faible croissance du revenu par tête s’accompagne d’une forte vulnérabilité sociale. Même si l’extrême pauvreté s’est réduite dans les pays sahéliens, elle reste considérable (entre 40 et 50 % de la population, comme le montre le suivi du premier indicateur des Objectifs du millénaire pour le développement « réduire de moitié l’extrême pauvreté ». La croissance économique a été peu inclusive. Les déséquilibres territoriaux et générationnels se sont accentués : nord vis-à-vis du sud, campagne vis-à-vis des villes, jeunes vis-à-vis des anciens.
En effet la croissance économique a été tirée par l’exportation de produits primaires et
s’est peu diffusée dans les régions rurales, en particulier dans les régions du nord. La croissance démographique, l’aggravation des aléas climatique et les épisodes de guerre se sont conjugués pour renforcer la vulnérabilité alimentaire des populations pauvres.
Alors que hors de l’Afrique la proportion des jeunes diminue depuis les années 1980, le cœur du problème au Sahel réside dans la présence d’une population majoritairement jeune (40 à 50 % de la population totale ont moins de 14 ans), sans perspective de formation et d’emploi, ce qui représente un défi permanent d’intégration. Quant aux jeunes de 15-29 ans, leur proportion va continuer à augmenter dans les pays du Sahel et culminer à 28 % vers 2030 pour ensuite diminuer lentement. Le pic va être encore plus tardif au Niger (2050).
Condamnés à entrer dans l’âge adulte de plus en plus tardivement faute de ressources financières propres, les jeunes sont la proie « d’un sentiment d’exclusion de la vie économique et sociale, mais aussi politique, civique, dans des sociétés marquées par de fortes hiérarchies intergénérationnelles ». Si les pays sahéliens, comme l’ensemble de l’Afrique, ont connu un développement rapide du taux de scolarisation primaire, l’école publique répond mal aux souhaits des parents, de telle sorte que le temps passé à l’école par les enfants est anormalement faible et ne leur permet pas réellement d’apprendre à lire et écrire.
La dégradation de la qualité des enseignements et le manque de formation professionnelle rendent l’éducation inadaptée aux emplois potentiels depuis que l’accès à l’administration s’est tari. L’école publique ne prépare pas aux emplois agricoles, peu valorisés chez les jeunes, et aux emplois industriels et de services qui semblent réservés aux diplômés de l’enseignement secondaire ou même supérieur.
On assiste parallèlement à un développement des écoles coraniques, très diverses quant au niveau d’éducation offert, qui ont en commun de proposer un autre modèle éducatif en vue d’une insertion dans un réseau social à dominance religieuse.
Au Sahel, malgré la prise de conscience internationale de l’enjeu que représente la lutte contre le terrorisme dans la région, malgré les interventions militaires qui ont suivi et malgré la signature d’un accord de paix pour le Mali, l’insécurité persiste. Cette dernière prend la forme d’attaques armées terroristes spectaculaires et d’actes de banditismes qui affectent régulièrement les populations rurales.
Les conflits violents au Sahel ont des causes à la fois externes et internes. Les différents foyers de violence, issus de contextes locaux particuliers et historiques, ont été progressivement amenés à s’interconnecter avec les trafics (armes, drogue, contrebande et personnes) et l’intérêt partagé dans la déstabilisation de la région.
Les fragmentations ethnolinguistiques et religieuses nourrissent une vulnérabilité identitaire et contribuent à rendre plus difficile la gouvernance. De plus, une grande vulnérabilité économique et environnementale touche les pays sahéliens et les rend particulièrement vulnérables aux chocs exogènes et au changement climatique. Il sera difficile pour ces pays de sortir de leur « piège à pauvreté ». Ces dernières années, la croissance économique des pays sahéliens relativement rapide, s’avère instable et plombée par l’extrême croissance démographique de la région.
La faible croissance du revenu par tête s’accompagne d’une forte vulnérabilité sociale entretenue par des déséquilibres territoriaux et générationnels. La part des jeunes de 15-29 ans augmente de jour en jour au Sahel mais ces derniers sont en proie à un sentiment d’exclusion de la vie économique et sociale que le système éducatif public ne parvient pas à résorber.
Si l’on considère l’ensemble de la communauté internationale, on constate que l’effort en matière d’aide au développement en faveur des pays sahéliens est bien supérieur à l’effort militaire. Ainsi, en 2014, les dépenses militaires de la communauté internationale à destination du Sahel se sont élevées approximativement à 1,5 milliard de dollars tandis que les versements bruts d’aide (programmable augmentée de l’aide humanitaire et alimentaire (APA) ont atteint un peu plus de 4 milliards de dollars (première ligne des colonnes 1 et 2 du tableau suivant), dont la moitié d’origine multilatérale (Institutions de Bretton Woods, Nations Unies, Commission européenne, fonds internationaux etc.). Mais à l’intérieur de la communauté internationale, la place de la France est singulière.
Le coût de l’effort militaire de la France au Sahel (surcroît de coûts dû à l’opération Barkhane et contribution EUTM et MINUSMA) est bien supérieur à ses versements d’aide programmable augmentée de l’aide d’urgence (APA) en 2014 : 653 millions de dollars contre 241 millions de dollars, soit plus du double. Ce déséquilibre, qui s’est renforcé au cours des dix dernières années, risque de confiner la France au rôle de gendarme du Sahel, sans véritables relais de coopération civile aux interventions militaires, tandis que les autres puissances joueraient le rôle principal dans le domaine économique et social. Un consensus existe sur l’importance de traiter les causes profondes des crises, dont les effets se font désormais ressentir en Europe.
Ainsi la Grande-Bretagne a-t-elle fait le pari d’investir massivement dans l’aide humanitaire et l’aide au développement dans les pays les plus fragiles et l’Allemagne renforce à son tour ses budgets d’aide, avec l’adoption en 2016 du budget d’APD le plus important de l’histoire allemande plus fortement orienté vers les pays fragiles. Si l’on considère plus particulièrement les pays sahéliens, on constate à partir du graphique 3 ci-dessous que l’aide anglaise reste marginale, que l’aide américaine (la plus élevée) a fortement augmenté tandis que l’aide française stagne (voire diminue) et enfin que l’aide allemande croissante demeure inférieure à l’aide française. Tandis qu’au total l’aide bilatérale a diminué en 2013 et 2014, l’aide multilatérale continue à croître.
En 2015 l’aide publique au développement de la France (versements nets des remboursements de prêts) a représenté, selon la définition du CAD, 9,23 milliards de dollars, ce qui correspond à 7 % de l’aide au développement mondiale. Elle est le cinquième plus gros apporteur d’aide après les États-Unis, le Royaume-Uni (dont l’aide s’élève à 18,7 milliards de dollars), l’Allemagne et le Japon (dont les contributions sont proches de celles de la France).
Mais, en pourcentage de son Revenu national, la France n’est que le onzième contributeur avec un pourcentage de 0,37, supérieur à la moyenne des pays du CAD (0,30 %), mais bien en deçà de l’objectif de 0,7 % retenu par la communauté internationale. Ces dernières années le pourcentage de l’aide française n’a cessé de diminuer, passant de 0,45 % en 2012 à 0,41 % en 2013 et 0,37 % en 2014. Ce pourcentage demeure supérieur au niveau historiquement bas de 2000 (qui n’était que de 0,30 %). Si l’on raisonne en termes d’aide programmable augmentée de l’aide humanitaire et alimentaire, le pourcentage n’est que de 0,21 % en 2014 et a peu augmenté par rapport à 2002 (0,19 %).
L’aide internationale a depuis longtemps fait l’objet de critiques, notamment de la part des pays receveurs. Ces critiques ont eu tendance à s’atténuer, notamment après les engagements pris par la communauté internationale lors des réunions du Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide à Paris en 2005, à Accra (2008) et à Busan (2011). Mais de nombreux problèmes demeurent, notamment quant à l’aide aux États fragiles.
Une première question est celle (déjà soulignée) de la longueur des délais qui s’écoulent entre engagements et déboursements, peu conforme à la situation d’urgence des pays sahéliens. Ce décalage est en partie dû aux multiples conditionnalités imposées aux pays receveurs, résultat d’un manque de confiance des bailleurs dans la volonté des États receveurs de mettre en œuvre les réformes qu’ils jugent nécessaires et dans le sentiment que les aides risquent d’être détournées de leur objet au détriment des populations qu’elles sont censées servir.
Mais ce comportement des bailleurs va à l’encontre des objectifs d’appropriation par les pays receveurs de leur politique et d’alignement des bailleurs sur celle-ci. Une autre conséquence de la multiplicité des conditionnalités, propres à chaque donneur, est que les administrations des États sahéliens déjà faibles sont accaparées par les relations avec les bailleurs, d’autant plus que ceux-ci sont nombreux et peinent à harmoniser leurs procédures.
La situation sociopolitique des pays sahéliens est complexe, variable selon les territoires et rapidement évolutive. Pour être efficace, l’aide doit s’appuyer sur une connaissance de l’histoire des sociétés, de l’économie politique des institutions et des besoins des populations – ce qui suppose une analyse approfondie du terrain. Or les équipes qui dans les agences sont dédiées à l’aide au Sahel ont peu d’effectifs et sont soumises à de fortes pressions pour l’engagement et le décaissement.
Devant l’urgence des besoins et les faibles ressources financières, le temps consacré aux enquêtes, aux analyses sociologiques, aux expérimentations tend à se réduire et le risque s’accroît que des interventions de coopération renforcent par inadvertance des facteurs de tension ou de conflit. Alors que d’autres pays ont organisé des relations de travail quotidiennes entre chercheurs et opérationnels de l’aide, entre bailleurs et think tanks, la France peine à irriguer ses choix d’aide par l’analyse issue de la recherche.
L’effort de la communauté internationale en matière de développement est supérieur à son effort militaire. À l’inverse, l’effort militaire français dans la région dépasse largement les versements d’aide programmable augmentée de l’aide d’urgence (aide alimentaire et humanitaire). Il faut réduire rapidement le déséquilibre entre dépenses militaires et aide au développement de la France par une augmentation de cette dernière. La part bilatérale de l’aide française et la place faite aux dons, indispensables pour intervenir au Sahel, devraient ainsi être accrues. Ainsi serait enrayée la baisse de la part de l’aide au Sahel dans le total de l’aide programmable française qui est passée de 2006 à 2014 de 10 à 4 %.
La communauté internationale a pris différentes initiatives, notamment le plan d’action pour le Sahel ou encore l’initiative Sahel de la Banque Mondiale. La création d’un fonds fiduciaire d’urgence pour le Sahel par l’Union européenne est bienvenue.
De manière générale, la complexité du terrain implique une collaboration plus étroite entre les acteurs de l’analyse et ceux de l’action, ce qui implique une évolution des institutions de l’aide comme des institutions productrices de connaissances académiques.
L’insécurité qui sévit au Sahel ne doit pas être un prétexte à l’inaction, puisque l’absence même de développement est facteur de violence. Mais elle justifie de la part des bailleurs l’adaptation de leurs modes opératoires. Étant donné la complexité socioculturelle du Sahel, l’aide internationale peut si on n’y prend pas garde, exacerber les conflits.
La France a une responsabilité particulière en matière d’éducation au Sahel où la plupart des pays sont francophones. Certes elle a consacré en 2014 13 % de son aide programmable (APA) au secteur de l’éducation (tous niveaux confondus) contre 2 % pour les États-Unis et les bailleurs multilatéraux. Mais, étant donné le faible montant de l’APA française (241 millions de dollars), les versements en faveur de l’éducation n’ont représenté que 29 millions de dollars pour les cinq pays (ou 21,8 millions d’euros).
Cette faible part d’APA consacrée à l’éducation tranche avec celle dédiée à la santé, secteur favorisé traditionnellement par les bailleurs, sans doute parce que l’éradication des maladies transmissibles fait figure de bien commun international : la part de l’APA française à la santé s’élève à 28 %, celle des États-Unis à 21 % et la part multilatérale à 9 %.
Une bonne éducation primaire s’adressant à tous les enfants est la condition d’une insertion des jeunes dans la vie économique, sociale et politique ; elle constitue le socle du développement économique et de la paix sociale. Les gouvernements africains devront mener une réflexion sur le contenu des enseignements.
L’accroissement de la production agricole s’est réalisé par extension des superficies et non des rendements. Entre 1961 et 2012 on a assisté « à une forte augmentation des terres cultivées (+76 %) et à une petite augmentation des terres de parcours (+9 %). Ces évolutions varient selon les pays… Dans l’ensemble, la
pression de la population, exprimée en habitants par km2 de terre arable, a plus que doublé au Sahel en cinquante ans ».
Avec des taux de croissance de la population rurale dépassant 2 % et atteignant parfois 3 % par an ce qui est exceptionnel dans le monde, la densité humaine en de nombreuses régions du sud du Sahel dépasse 150 hab/ km2 alors que les systèmes agricoles extensifs actuellement mis en œuvre provoquent une destruction du capital foncier dès que la densité humaine dépasse 40 habitants/km2. Intensifier la production agricole s’est avéré difficile.
En culture sèche, le principal obstacle à l’intensification et à l’usage des intrants modernes dont la consommation à l’hectare est à l’heure actuelle négligeable (6 kg au Niger) est l’ampleur du risque climatique. En année de pluviométrie moyenne l’usage de ces intrants est à peine rentable. Et, en cas de retard des pluies ou de sécheresse même limitée, la perte monétaire est trop importante pour le paysan qui considère fort rationnellement que son espérance de gain compte tenu du risque est nulle ou négative.