Organisation affiliée : International Crisis Group
Type de Publication : Synthèse
Date de publication : 24 Février 2020
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Que se passe-t-il ? Au Burkina Faso, les violences armées s’intensifient, sur fond de crise multiforme du monde rural. Les groupes armés prolifèrent, qu’il s’agisse de bandits, de jihadistes ou de comités d’autodéfense. En 2019, le Bur- kina est ainsi devenu le pays sahélien le plus ciblé par les attaques jihadistes.
Au Burkina Faso, la violence ne cesse de s’amplifier, sur fond de crise de la gouvernance des zones rurales
En quoi est-ce significatif ? Un dangereux engrenage est à l’œuvre : les jihadistes exploitent les frustrations du monde rural ; les autorités ont recours à la force, et les abus des forces de l’ordre et des groupes d’autodéfense favorisent les violences locales à base communautaire. Le recrutement de divers groupes armés s’en trouve facilité.
Comment agir ? Le gouvernement devrait faire un usage proportionné de la force, limiter le rôle des groupes d’autodéfense dans la lutte contre-insurrectionnelle, et développer une approche intégrée de la sécurité. A plus long terme, mettre fin aux crises du monde rural implique de résoudre la question foncière, souvent au cœur des conflits locaux.
Au Burkina Faso, la violence ne cesse de s’amplifier, sur fond de crise de la gouvernance des zones rurales. Des jihadistes majoritairement burkinabè venant du Mali voisin ont exploité les frustrations qui en découlent pour y prendre pied en 2016. Les groupes d’autodéfense villageois créés dès 2014 pour restaurer la sécurité ont aggravé les violences locales à base communautaire, notamment depuis 2019 au Centre- Nord et dans le Soum.
Le récent appel de l’Etat à la mobilisation de volontaires contre les jihadistes pourrait amplifier ce phénomène. La réponse essentiellement militaire du gouvernement et le recours à des civils armés sur lesquels il n’exerce qu’un contrôle limité ont conduit à des abus favorisant les recrutements jihadistes et leur basculement dans une violence aveugle. Pour enrayer cet engrenage, le gouvernement devrait limiter le rôle des civils dans la lutte contre-insurrectionnelle, instaurer des garde-fous contre les abus des forces armées et développer une approche intégrée de la sécurité. A long terme, il est crucial de régler la question foncière qui sous-tend souvent les conflits en zone rurale.
Ce contexte a facilité l’implantation rapide de groupes jihadistes en zone rurale, faisant du Burkina Faso le pays sahélien le plus ciblé par leurs attaques en 2019
Le monde rural burkinabè traverse une crise multiforme. Avec la chute de l’ancien président Compaoré en octobre 2014, la capacité déjà limitée de l’Etat à maintenir l’ordre dans les campagnes s’est encore affaiblie, et la défiance populaire envers les élites, locales comme urbaines, s’est accentuée. La montée du banditisme, les conflits fonciers et l’apparition de groupes d’autodéfense, en particulier des Koglweogo (« gardiens de la brousse » en langue mooré, la langue des Mossi), sont les symptômes d’un monde rural en panne de régulation.
Ce contexte a facilité l’implantation rapide de groupes jihadistes en zone rurale, faisant du Burkina Faso le pays sahélien le plus ciblé par leurs attaques en 2019. Ces groupes forment, autour d’un noyau resserré d’idéologues, un assemblage composite d’insurgés aux motivations locales diverses : agriculteurs ou éleveurs victimes d’injustices foncières ou de racket, bandits rompus au maniement des armes, orpailleurs en quête de protection, populations stigmatisées. Ils se propagent en exploitant notamment les conflits locaux liés aux crises du monde rural et impliquant souvent des groupes d’autodéfense.
La tentative de concilier sécurité et développement à travers le Plan d’urgence Sahel (PUS) lancé par les autorités en 2017 pour accélérer le développement économique et social dans la région, est insuffisante, et ne permettra probablement pas de traiter les causes politiques des insurrections armées au Burkina Faso. Le pays et ses partenaires n’ont pas su, jusqu’à présent, proposer d’alternative.
Les autorités burkinabè devraient inscrire l’action militaire dans une approche plus globale afin de traiter des dimensions politiques de ces insurrections. L’Etat pour- rait sauvegarder la cohésion sociale dans les zones rurales, aujourd’hui menacée, en luttant contre la stigmatisation communautaire, en favorisant la résolution des conflits locaux y compris via des mécanismes intercommunautaires et la négociation avec certains insurgés, et en démontrant l’utilité de sa présence :
A court terme, les autorités devraient faire un usage plus proportionné de la force et limiter l’implication de groupes d’autodéfense dans les opérations contre- insurrectionnelles. Elles devraient désengorger les prisons et redynamiser la chaîne pénale afin que les forces de défense et de sécurité regagnent confiance dans la capacité de la justice à juger ceux qu’elles arrêtent. Cela pourrait réduire la pro- pension à éliminer les présumés jihadistes au lieu de les arrêter. Les partenaires du Burkina Faso devraient encourager les forces de défense et de sécurité à renforcer leurs mécanismes de contrôle interne pour limiter les abus qui profitent aux jihadistes.
A moyen terme, les autorités devraient créer une institution chargée de piloter et de mettre en œuvre dans l’ensemble du pays une stratégie de sécurité intégrée alliant prévention, atténuation et/ou stabilisation post-crise, avec des mesures spécifiques adaptées à chaque contexte local. Elle permettrait de rendre l’approche de gestion de crise de l’Etat plus équilibrée en offrant une gamme de réponses non militaires qu’elle coordonnerait avec les réponses militaires qui demeurent essentielles.
Une telle institution serait en mesure de réagir rapidement et de dépasser les approches sectorielles qui limitent l’efficacité des réponses apportées au niveau de chaque ministère. Cette institution devrait être rattachée à la présidence pour bénéficier d’un appui politique fort, et son directeur devrait siéger au Conseil national de sécurité pour pouvoir articuler les différents volets de la réponse de l’Etat. Les partenaires du Burkina devraient soutenir la création d’une telle institution.
A plus long terme, le gouvernement devrait engager des réformes structurelles pour réduire les fractures du monde rural. En particulier, il devrait réviser la loi sur le foncier rural de 2009 pour mieux concilier les intérêts des différentes populations et apaiser les tensions entre populations dites autochtones et allochtones. Il devrait revoir la politique de mise en valeur des aires protégées afin qu’elle profite davantage aux communautés locales. Enfin, il devrait revoir la gouvernance des zones nomades en vue notamment de promouvoir l’inclusion sociale et politique de la communauté peul.
Le Burkina Faso traverse une profonde crise de gouvernance, liée au délitement progressif du système politique mis en place par l’ancien président Compaoré (1987- 2014)
Le Burkina Faso traverse une profonde crise de gouvernance, liée au délitement progressif du système politique mis en place par l’ancien président Compaoré (1987- 2014). Le soulèvement populaire qui l’a chassé du pouvoir en 2014 a ouvert une séquence de remise en cause des élites et des institutions par une partie de la population, qui n’est pas la première du genre. Perçue comme essentiellement urbaine, cette insurrection a également révélé les fractures internes du monde rural, qui ont grandement favorisé la pénétration des groupes jihadistes. Si ces groupes sont d’abord apparus comme une menace extérieure venue du Mali, ils ont trouvé au Burkina Faso un terreau propice à leur développement.
Même si la jeunesse peine à s’unir, elle n’entend plus être tenue à l’écart de la prise de décision, monopole d’une classe dirigeante en place depuis les années 1990, et maintient sur cette dernière une pression constante.
Le Burkina Faso est devenu le principal théâtre d’activité des groupes jihadistes au Sahel. Une partie des autorités reste convaincue qu’ils sont le fruit d’une manipulation de l’ancienne classe dirigeante. Le rôle de celle-ci, s’il existe, ne constitue pourtant pas un facteur explicatif majeur. Les groupes jihadistes ont trouvé dans la crise multiforme de la ruralité au Burkina Faso un terreau particulièrement propice à leur expansion. Ils exploitent les fractures internes au monde rural pour recruter parmi les victimes de l’insécurité foncière comme parmi les bandits de grand chemin.
Trois groupes jihadistes opèrent depuis 2015-2016 sur le territoire burkinabè : le groupe local Ansarul Islam, et deux groupes apparus au Mali, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Le groupe semble être devenu une unité (markaz) intégrée aux brigades (katiba) opérant au centre du Mali, à savoir la Katiba Serma de 2017 à 2018, et aujourd’hui surtout la Katiba Macina dirigée par Hamadoun Koufa. Islam sont désormais revendiquées par le GSIM.
L’agenda religieux est marginal pour la plupart des combattants et chefs d’unités jihadistes, essentiellement burkinabè et mus par des objectifs locaux. Pour se développer au Burkina Faso, les groupes jihadistes ont profité des fragilités de l’Etat et instrumentalisé les tensions qui traversent le monde rural. Un petit nombre de cadres idéologues locaux jouent un rôle central : des prêches de prédicateurs originaires de la zone, à l’instar de Malam et Jafar Dicko dans le Soum, donnent généralement le coup d’envoi de l’implantation jihadiste. Mais les unités combattantes au Burkina sont composées et dirigées par des locaux, dont la plupart n’ont pas suivi de formation religieuse, à l’instar d’Adama Garibou, cadre de l’EIAO probablement tué lors d’une attaque en août 2019.
Loin de se résumer à un jihad global guidé par un agenda religieux, le jihadisme au Burkina est avant tout composé d’insurgés burkinabè dont le basculement dans la violence s’explique par des facteurs locaux. Dans ce contexte, une réponse essentiellement militaire ne traite pas les causes du problème.
La transition de 2014-2015 a suscité des rivalités entre gendarmes et militaires, qui perdurent aujourd’hui. Les gendarmes occupent des positions stratégiques autour de Kaboré : le commandant de l’Unité spéciale d’intervention de la gendarmerie nationale (USIGN) aurait l’oreille du président et le directeur de l’ANR est l’un de ses amis d’enfance. A l’inverse, le président semble se méfier d’une armée qu’il a déclaré vouloir « dépolitiser ».
Une telle approche implique de placer a prévention des conflits et la réduction des fragilités qui nourrissent les violences au cœur d’une stratégie de sécurité. Les autorités semblent toutefois divisées sur les contours d’un tel rééquilibrage, d’autant que l’agenda électoral de 2020 et la précarité de la situation encouragent l’aile dure du MPP à surenchérir militairement. Les rivalités entre les ministères de la Défense et de la Sécurité compliquent également la définition et la mise en œuvre d’une telle approche intégrée.
Les autorités burkinabè, appuyées par leurs partenaires, pourraient envisager une série d’actions à court, moyen et long terme. L’outil sécuritaire restera un élément fondamental de leur réponse mais les autorités devraient veiller à réduire les effets contreproductifs des opérations militaires et de la militarisation des initiatives locales de sécurité. Pour endiguer la menace jihadiste, elles devront prévenir les violences locales à base communautaire qui la favorisent. L’Etat devra enfin répondre aux défis structurels qui expliquent en grande partie la montée des violences dans les zones rurales, et dont le jihadisme n’est qu’une des expressions.
L’outil sécuritaire restera un élément fondamental de leur réponse mais les autorités devraient veiller à réduire les effets contreproductifs des opérations militaires et de la militarisation des initiatives locales de sécurité
Le ministère de la Sécurité devrait par ailleurs mieux encadrer l’action des Koglweogo et Dozo, tout en les distinguant clairement des volontaires. La révision du décret de 2016, encadrant ces structures, devrait prendre en compte les risques de violences locales à base communautaire que leurs actions comportent. Les autorités pourraient instaurer des mécanismes locaux de contrôle communautaire, incluant les représentants de différentes communautés sédentaires ou nomades partageant un même espace, pour prévenir les abus.
Pour limiter les prérogatives des Koglweogo, par exemple à un rôle de protection et de renseignement, ils pourraient être placés sous l’autorité de la police nationale, corps le plus proche d’eux sur le terrain et le moins engagé dans les opérations contre-insurrectionnelles. Les Koglweogo seraient donc moins exposés à des situations d’interpellation ou de combat, par lesquelles ils créent le ressentiment d’autres communautés. A terme les autorités devront reprendre le contrôle sur ces groupes armés locaux et ne plus tolérer les abus dont ils se rendent coupables.
Pour limiter les prérogatives des Koglweogo, par exemple à un rôle de protection et de renseignement, ils pourraient être placés sous l’autorité de la police nationale, corps le plus proche d’eux sur le terrain et le moins engagé dans les opérations contre-insurrectionnelles.
L’usage excessif de la force lors des opérations contre-insurrectionnelles n’est pas une fatalité au Sahel. Il est largement lié aux conditions dans lesquelles les troupes mènent cette lutte. La politisation des forces armées et la crainte d’une mutinerie en leur sein dissuadent le gouvernement de renforcer leurs moyens, alors qu’elles souffrent déjà historiquement d’un déficit de formation et d’équipement. Elles opèrent donc dans la peur, propice aux bavures.
L’amélioration des conditions de vie et d’opérations des troupes au front (équipement, relèves plus fréquentes, hausse des rations alimentaires et des primes, suivi psychosocial, mise à disposition d’interprètes, évacuations médicales) limiterait le risque d’abus, de même qu’une meilleure formation, ce en quoi les partenaires du Burkina peuvent jouer un rôle certain. Le déploiement de missions européennes – actuellement en discussion au sein de l’Union européenne – dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) serait utile à condition de tirer les leçons des limites de ces missions au Mali et au Niger voisins.
Bien qu’essentiel, le recours à la force ne peut constituer l’unique réponse à la crise que traverse le pays
Les autorités devraient enfin renforcer le contrôle des unités déployées, même si elles doivent le faire avec tact et prudence étant donnée la grogne récurrente dans les casernes. L’amélioration concrète des conditions sur le front pourrait donner au pouvoir politique un levier pour exiger des troupes un comportement plus exemplaire. Les partenaires internationaux pourraient aider dans ce domaine. Ainsi, le cadre onusien de conformité – dans lequel s’inscrit la Force conjointe du G5 Sahel et qui peine à obtenir l’autorisation des autorités du Burkina Faso pour être mis en place – soutient cet effort de renforcement de la transparence et de la redevabilité des unités déployées.
Bien qu’essentiel, le recours à la force ne peut constituer l’unique réponse à la crise que traverse le pays. Au-delà des effets contre-productifs de certaines opérations militaires, les capacités limitées en hommes et en matériel des forces burkinabè imposent également d’envisager d’autres solutions. La réponse sécuritaire serait bien plus efficace si elle s’inscrivait dans une approche plus globale et intégrée, comprenant des efforts de prévention, d’atténuation et de stabilisation. Le recours à la force devrait, par exemple, laisser place à des médiations lorsque les conflits sont d’abord à base foncière et/ou communautaire. Plus précisément, afin de rétablir de bonnes relations avec les communautés dans les zones où l’autorité centrale est contestée, l’Etat devra faire la preuve de son utilité.
La question du dialogue avec les groupes jihadistes, peu audible dans le contexte actuel de montée des violences et d’appel à la mobilisation des citoyens, devra au moins être posée à moyen terme. Les autorités devraient, sans doute après les élections prévues en 2020, explorer l’opportunité d’un tel dialogue, comme cela se fait déjà au Mali et au Niger, sans considérer cette option comme étant exclusive du recours à la force. De nombreux « jihadistes » burkinabè sont en effet moins des terroristes que des insurgés animés par des revendications locales, que l’Etat pourrait plus aisément satisfaire. A minima, l’Etat pourrait explorer dès maintenant la possibilité de négocier la reddition de coupeurs de route ou bandits avant qu’ils ne soient recrutés par des groupes jihadistes.
La question du dialogue avec les groupes jihadistes, peu audible dans le contexte actuel de montée des violences et d’appel à la mobilisation des citoyens, devra au moins être posée à moyen terme.
Avec ou sans un tel dialogue, l’État doit adapter ses réponses aux contextes locaux dans lesquels les violences se propagent. Il lui faut aussi renforcer la cohérence de ses politiques de prévention, d’atténuation et de stabilisation dans les régions affectées ou menacées par les violences. A cette fin, l’Etat pourrait envisager la création d’une institution chargée de coordonner et de mettre en œuvre l’action civile du gouvernement dans la gestion des crises violentes.
Mieux équipée que les ministères pour agir en situation de crise, elle pourrait par exemple favoriser la réconciliation communautaire au Centre-Nord, lancer des programmes de stabilisation et de dialogue entre forces de sécurité et communautés dans la région de l’Est ou encore initier des dialogues locaux entre communautés à l’Ouest en vue de limiter, de manière préventive, les conséquences de la crise foncière.
Plusieurs conditions devraient être réunies pour éviter que cette institution ne devienne une coquille vide, comme d’autres au Burkina. Pour avoir la légitimité suffisante afin d’agir au nom de l’Etat, elle devrait être rattachée à la présidence de la République et son directeur devrait avoir le rang de ministre et siéger au sein du conseil national de sécurité.
Les autorités devront choisir, pour la diriger, une personnalité écoutée et respectée tant par les civils que les militaires. Ces derniers devraient être représentés au sein de cette institution pour faciliter le lien avec la hiérarchie mili- taire et participer à la définition d’une approche intégrée entre les actions civiles et militaires.
Le bon fonctionnement de l’institution repose enfin sur le recrutement d’experts compétents, issus des différentes régions d’intervention et prêts à travailler au plus près des populations vulnérables avec une variété d’acteurs : société civile locale, collectivités territoriales, chefferies coutumières. Des structures spécialisées telles que l’Observatoire national de prévention et de gestion des conflits communautaires pourraient également être sollicitées.
La région compte déjà une institution de genre : le Niger voisin a démontré à travers la Haute Autorité à la consolidation de la paix (HACP) qu’un pays sahélien pouvait se doter d’un outil relativement efficace dans un contexte de fragilité (et de pro-fusion institutionnelle) comparable au Burkina. La HACP a en effet promu une approche plus intégrée afin de prévenir et gérer les conflits, grâce à une palette d’outils et aux fonds européens et nationaux qui lui ont conféré une pleine autonomie financière.
Elle a notamment fait prévaloir des approches non militaires en utilisant en particulier le siège que son président occupe au Conseil national de sécurité. La personnalité de son président, le général Abou Tarka, compte énormément. Officier supérieur de l’armée, par ailleurs diplômé à l’université, il incarne et assure une forme d’équilibre entre sécurité et développement.
A plus long terme, le Burkina Faso doit réduire les facteurs structurels qui alimentent le recrutement par les groupes jihadistes et plus largement les différentes formes de violence dans les zones rurales.
Le dossier prioritaire est celui du foncier, qui joue un rôle particulier dans l’exacerbation locale des tensions entre communautés. Au Centre-Nord comme dans les régions de l’Ouest ou encore à l’Est, les conflits d’usage et de propriété foncière mettent aux prises des communautés allochtones et autochtones, chacune défendant ce qu’elle considère comme son bon droit. L’État devrait se poser en médiateur légitime et arbitrer de façon pacifique les conflits fonciers.
De plus, afin de renforcer le sentiment d’appartenance des populations nomades et mieux les protéger, l’Etat pourrait continuer de distribuer des papiers d’identité, comme il le fait depuis début 2019, à des populations qui ont plutôt tendance à éviter l’administration, souvent synonyme de prédation. Il devrait enfin corriger l’extrême sous-représentation des communautés nomades peul au sein de l’administration – tant locale que nationale – et en particulier des Forces de défense et de sécurité, par exemple à travers des politiques de discrimination positive.
La dégradation sécuritaire au Burkina Faso est extrêmement préoccupante. Alors que les autorités perdent progressivement le contrôle de certains territoires ruraux, les insurrections de type jihadiste s’y étendent et pourraient même, à terme, faire du pays un corridor de passage vers les pays côtiers plus au sud.
La lutte contre-insurrectionnelle nourrit trop souvent des violences locales à base communautaire ; si l’Etat les encadre mal, les volontaires ou les initiatives locales de sécurité qu’il entend mobiliser pourraient encore aggraver ces violences. Alors que le Burkina Faso est à un tournant de son histoire, la plupart de ses dirigeants sont trop préoccupés par des enjeux politiques de court terme et notamment par les échéances électorales de 2020.
Les autorités sont confrontées à un triple défi : poursuivre des efforts militaires tout en limitant les violences contre les civils ; regagner la confiance des communautés et redéployer l’Etat dans les zones rurales ; et adapter les réponses aux enjeux locaux en combinant mesures de prévention, de gestion de crise et de stabilisation. Réconcilier les temps (courts, médians et longs) des interventions et trouver le juste équilibre entre usage de la force et protection des communautés sont des défis majeurs. Pour les relever, il est urgent de changer d’approche.