Organisation affiliée : International Crisis Group
Type de Publication : Rapport
Date de publication : 12 Octobre 2017
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Le gouvernement pourrait mieux prendre en compte les aspects suivants afin de s’attaquer à la crise :
Développer des réponses qui tiennent compte des dimensions sociales et locales de la crise. Tant que l’ordre social local continuera à produire des frustrations et des conflits, il sera difficile de trouver un règlement définitif de la crise. L’action de l’Etat est toutefois limitée dans ce domaine, car il n’a pas vocation à modifier une organisation sociale qui prévaut depuis des siècles. C’est davantage aux acteurs locaux qu’incombe la tâche de réflexion et de production de solutions adaptées aux spécificités locales, l’Etat et les partenaires internationaux pouvant au mieux stimuler des initiatives de dialogue entre communautés ou générations.
Réduire le fossé entre, d’une part, les forces de sécurité et les autorités étatiques et, d’autre part, la population. Plusieurs mesures peuvent y contribuer : améliorer le renseignement humain et mieux protéger les informa- teurs ; encourager le recrutement de Peul dans les forces de sécurité et la fonction publique (sans pour autant imposer de quotas) ; renforcer les activités civilo-militaires ; favoriser l’affectation dans la région du Sahel de fonctionnaires et de membres des forces de sécurité parlant le fulfuldé (la langue peul) ; et sanctionner plus sévèrement les comportements abusifs.
Mettre davantage l’accent, dans le programme d’urgence pour la région du Sahel – le volet développement de l’action gouvernementale –, sur la promotion de l’élevage, l’amélioration de la justice et la lutte contre la corruption. Soutenir l’élevage, s’attaquer aux dysfonctionnements dont souffre le système judiciaire et au fléau de la corruption dans l’administration contribuerait à réduire les perceptions négatives de l’Etat en montrant qu’il peut être utile pour ses habitants.
Œuvrer, à long terme, au renforcement de la coopération judiciaire et policière entre le Mali et le Burkina, afin de faciliter la conduite d’enquêtes qui ont des ramifications dans ces deux pays, la gestion des prisonniers et des suspects et leur comparution devant la justice.
En 2015, le Burkina entre dans la catégorie des pays sahéliens victimes des groupes armés et criminels basés essentiellement au Mali, mais opérant dans plusieurs pays de la région. Au nord du pays, la région du Sahel, frontalière du Mali et du Niger, est la zone la plus touchée par les attaques. Pourtant, il faudra l’attaque de Nassoum- bou, dans la province du Soum, en décembre 2016 pour que les autorités burkinabè prennent enfin conscience que la crise ne relève pas d’un problème exclusivement malien, mais également de dynamiques endogènes. Ce rapport se focalise sur la province du Soum, épicentre du conflit et lieu de naissance du groupe Ansarul Islam dirigé par Malam Ibrahim Dicko, mais il évoque aussi les autres provinces de la région du Sahel (l’Oudalan, le Séno et le Yagha) ainsi que les autres régions frontalières qui sont également vulnérables.
Les Peul ne parviennent jamais à former une entité politique unique, mais ils utilisent l’islam comme outil d’émancipation par rapport aux peuples sédentaires animistes
D’après le recensement de 2006, dont les chiffres sont à prendre avec précaution, 56 pour cent des habitants de la région du Sahel ont pour langue maternelle le fulfuldé (la langue peul). Plusieurs interlocuteurs estiment que la proportion de Peul dans larégion du Sahel avoisine les 70-75 pourcent. Le grand groupe ethnique peul est subdivisé principalement entre Peul issus des classes nobles et descendants d’esclaves, appelés Rimaibé. Les Rimaibé sont les descendants des populations autochtones qui ont été réduites en esclavage par les Peul et assimilées. Aujourd’hui, Peul et Rimaibé sont inclus dans le même grand groupe ethnique peul : ils partagent la même culture, la même langue et ont souvent des patronymes identiques. Le clivage reste néanmoins marqué : « chacun connait sa place », comme le résume un représentant peul. Dans la province du Soum, les habitants autochtones, les Kurumba, aussi appelés Fulsé, sont minoritaires. Des Mossi (l’ethnie majoritaire au Burkina) et des membres d’autres groupes vivent également dans la province.
L’histoire pré-coloniale de la région du Sahel explique son organisation sociopolitique actuelle. Entre les XVème et XVIIIème siècles, l’arrivée des éleveurs peul originaires du delta intérieur du Niger conduit à l’éviction des agriculteurs sédentaires du pouvoir et à l’établissement de la domination peul. Cela aboutit à la création d’une organisation sociale hiérarchisée entre nobles et familles princières, familles maraboutiques, artisans, forgerons, tisserands, griots, descendants d’esclaves, etc.
En 2015, le Burkina entre dans la catégorie des pays sahéliens victimes des groupes armés et criminels basés essentiellement au Mali, mais opérant dans plusieurs pays de la région
Les Peul ne parviennent jamais à former une entité politique unique, mais ils utilisent l’islam comme outil d’émancipation par rapport aux peuples sédentaires animistes. Ceci rappelle la situation actuelle où des groupes majoritairement peul entrent en lutte armée contre un pouvoir central dominé par les Bambara au Mali et par les Mossi au Burkina. L’enjeu actuel de la révolte sociale dans la province du Soum n’est donc pas la restauration d’un Empire du Macina dont ils n’ont jamais fait partie, ou d’un royaume du Jelgooji qui n’a jamais existé en tant qu’entité politique unifiée, mais plutôt la poursuite sous d’autres formes des luttes passées et un reflet des divisions qui ont agité la province à travers l’histoire.
La crise du Soum s’articule autour d’une figure de la région, fondateur d’Ansarul Islam, Malam Ibrahim Dicko. De son vrai nom Boureima Dicko, issu d’une famille de marabouts et originaire de la localité de Soboulé, dans la province du Soum, il est (ou était) âgé d’une quarantaine d’années. Malam, dont la santé est fragile, étudie à l’école classique et à l’école coranique au Burkina et au Mali, puis il enseigne au Niger. En 2009, il commence à prêcher dans de nombreux villages du Soum, où il établit des représentations locales,10 ainsi que dans deux radios très connues, La Voix du Soum et La radio lutte contre la désertification (LRCD). Il prêche dans une mosquée du vendredi à Djibo, aujourd’hui fermée.
En 2012, son association, al-Irchad, est officiellement reconnue par les autorités. Malam est écouté dans toute la province, notamment grâce à ses talents d’orateur et radiophonique quasi quotidienne de ses prêches, ce qui suppose une aide à son discours contestataire.
Il finance facilement la diffusion extérieure.
Le gouvernement de transition au Burkina bloque les financements dédiés à la construction de plusieurs mosquées, ce qui alimente la rancœur de Malam et ses adeptes envers les fils de marabouts et les princes du Soum, accusés de jouer de leur influence à Ouagadougou pour empêcher la construction de mosquées liées à Al-Irchad.
Que Malam soit mort ou vivant, ses idées et son discours de contestation se sont répandus et installés dans la province. Il dénonce tout d’abord l’enrichissement des familles maraboutiques, qui utilisent leur statut de seules détentrices de l’autorité religieuse pour extorquer de l’argent à la population. Cette contestation reflète le clivage entre les familles maraboutiques traditionnelles, qui ont une légitimité historique et au sein desquelles l’imamat se transmet de manière héréditaire, et une nouvelle génération d’érudits musulmans, qui estiment que l’autorité religieuse ne doit plus être l’apanage d’une minorité. Malam conteste ainsi le fait que seuls les imams issus de ces familles sont habilités à diriger la prière ou à donner des avis en matière de religion, d’autant plus qu’ils n’ont pas toujours les connaissances requises. La maitrise de l’arabe confère à cette nouvelle génération d’érudits une crédibilité aux yeux de la population. Malam dénonce aussi la toute-puissance des chefferies coutumières.
Pour justifier son discours contestataire, Malam affirme que celui-ci est en adéquation avec un islam pur, non perverti par les traditions. Il dénonce par exemple les inégalités sociales comme étant contraires à l’islam. L’islam sert alors à contester un ordre social figé et inégalitaire et des pratiques qui ne sont plus en adéquation avec les aspirations de la population.
Le phénomène Ansarul Islam est donc un produit des réalités sociopolitiques et culturelles de la province du Soum. Il reflète les doléances de la majorité silencieuse de la population qui ne détient ni le pouvoir politique, ni l’autorité religieuse. Il ne s’agit donc pas d’une contestation islamiste de la modernité, mais bien d’un rejet de traditions qui perpétuent une société figée productrice de frustrations. Ce phénomène au fort ancrage local semble ensuite avoir été récupéré par des groupes actifs au Mali voisin, ce qui lui donne des ramifications régionales.
La perception d’un Etat distant, incapable de fournir des services, explique aussi l’essor du mouvement de Malam. La population a le sentiment que la région du Sahel est délaissée par l’Etat et que ses potentialités économiques ne sont pas mises en valeur. Pourtant, en matière de taux de pauvreté individuelle, le Sahel burkinabè est la deuxième région la plus pauvre du Burkina.