Auteurs : Augustin LOADA et Peter ROMANIUK
Organisation affiliée : Global Center on Cooperative Security
Type de Publication : Rapport
Date de publication : Juin 2014
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En raison de sa relative stabilité, le Burkina Faso a attiré moins d’attention que ses voisins dans les débats internationaux et régionaux sur la sécurité. Pourtant, le maintien d’une paix et d’une sécurité relatives au Burkina Faso devrait constituer une priorité pour toutes les parties prenantes; et sa stabilité reste relative et non absolue. Une crise au Burkina Faso coûterait très cher aux Burkinabè et à toute la région. Identifier les sources de paix et de sécurité relatives au Burkina Faso pourrait fournir des enseignements en vue d’élaborer des mesures de lutte contre l’extrémisme violent dans la région et au-delà.
Mais malgré la présence de ces facteurs incitatifs, nous n’avons trouvé que peu de traces d’extrémisme à l’échelon individuel ou de groupes. Nous avons recherché des « facteurs d’attraction » résultant des retombées de la violence extrémiste à l’échelon régional, de la radicalisation des individus ou des groupes au niveau national et de la présence d’extrémistes étrangers venus d’autres régions.
Nous avons trouvé quelques cas de participation burkinabè à des activités extrémistes, mais il nous a semblé qu’il s’agissait d’incidents isolés. Les quelques preuves d’implication burkinabè dans des activités extrémistes que nous avons repérées semblent indiquer que cette implication résulte d’initiatives de recrutement organisées par des groupes extrémistes régionaux bien établis, mais nous ne pouvons affirmer qu’il s’agit là d’une véritable tendance.
En raison de sa relative stabilité, le Burkina Faso a attiré moins d’attention que ses voisins dans les débats internationaux et régionaux sur la sécurité. Pourtant, le maintien d’une paix et d’une sécurité relatives au Burkina Faso devrait constituer une priorité
Pour cette étude, l’« extrémisme violent » est défini comme le fait de « plaider en faveur, s’impliquer, pré- parer ou soutenir de toute autre manière la violence motivée ou justifiée par des motifs idéologiques dans le but d’obtenir des avancées au plan social, économique ou politique ». Ainsi défini, l’extrémisme violent correspond à un concept plus large que le terrorisme, qui en fait partie au même titre que d’autres formes de violence motivée par l’idéologie.
Cette définition établit clairement que notre recherche ne se limite pas à un ensemble spécifique d’idées extrémistes. Si nous nous inspirons parfois de sources qui étudient ce que l’on appelle l’« extrémisme violent islamiste », nos recherches empiriques ne se limitent pas à cela. Au contraire, nous partons du principe que « l’exploitation de l’imagerie et des traditions religieuses » peut germer à partir de différentes cultures et religions.
La réponse à l’extrémisme violent est résumée par l’expression « lutte contre l’extrémisme violent ». Il existe une série « potentiellement illimitée » de mesures déployées par les gouvernements et d’autres entités pour prévenir la radicalisation, incluant communément la diffusion de messages (discours, programmes télévisés, dépliants, médias sociaux) ; l’engagement et le travail de proximité (municipalités, tables rondes, comités consultatifs) ; le renforcement des capacités (programmes de formation des jeunes et des femmes à l’encadrement, de développement communautaire, de sécurité et de protection de la communauté) ; ainsi que l’éducation et la formation (dirigeants communautaires, employés du service public, application de la loi).
L’ajout du concept de lutte contre l’extrémisme violent au répertoire de la lutte antiterroriste est récent. Comme cela a été remarqué, ce concept est si vaste qu’il partage de nombreux points communs avec les initiatives de lutte contre les causes structurelles de conflit. Dans cette optique, la première valeur ajoutée de l’idée de la lutte contre le terrorisme est qu’elle affirme clairement que la réponse à la violence motivée par l’idéologie exige une approche intégrée du gouvernement dans son ensemble.
Par opposition, le concept de lutte contre le terrorisme est souvent envisagé par les gouvernements et l’opinion en termes relativement étroits et s’applique principalement à des mesures cinétiques « dures » en lien avec l’application de la loi, les services de renseignements et le recours aux forces spéciales. Ainsi, exactement comme pour le concept d’extrémisme violent par rapport au terrorisme, la lutte contre l’extrémisme violent implique un éventail de réponses plus large que l’appréhension classique de la lutte contre le terrorisme.
La nation burkinabè est née dans un contexte tumultueux. La période qui a suivi l’indépendance de la Haute-Volta s’est caractérisée par une forte instabilité, marquée par cinq coups d’État militaires entre 1960 et 1983. L’arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré suite à un coup d’État le 15 octobre 1987 a été particulièrement sanglante avec le meurtre du chef d’État et du frère d’armes de Compaoré, le capitaine Thomas Sankara, et de treize autres personnes.
De même, la conversion du président Compaoré à un régime civil par l’adoption de la Constitution de juin 1991 s’est accompagnée d’accusations d’assassinats des leaders de l’opposition. En revanche, depuis cette époque, un calme relatif a prévalu. Néanmoins, la paix et la stabilité relatives du Burkina Faso n’ont pas engendré la prospérité ni la bonne gouvernance, et le pays fait face aujourd’hui à des défis nombreux et complexes.
L’impression actuelle de crise témoigne des inquiétudes des Burkinabè au sujet de la situation politique, notamment en raison de la corruption et de l’impunité, de l’incivisme et des relations entre les civils et les militaires
Les facteurs incitatifs sont les plus nombreux. Si la violence s’expliquait uniquement par les seuls facteurs structurels, le Burkina Faso ne jouirait pas de cette réputation de paix et de stabilité relatives – mais plutôt le contraire sans doute. Les personnes que nous avons interrogées ont toutes décrit un contexte, social, économique et politique dans le pays qui, selon elles, renforce la vulnérabilité du pays à l’extrémisme violent.
Beaucoup d’entre elles considèrent que les racines du terrorisme existent au Burkina Faso. Dans la prochaine section, nous comparerons l’apparente prévalence des facteurs incitatifs à la relative absence de facteurs d’attraction. Selon nous, cela explique pourquoi le Burkina Faso n’a pas été en proie à l’extrémisme violent.
Le Burkina Faso se trouve aujourd’hui à un tournant de son évolution politique. L’impression actuelle de crise témoigne des inquiétudes des Burkinabè au sujet de la situation politique, notamment en raison de la corruption et de l’impunité, de l’incivisme et des relations entre les civils et les militaires. Globalement, les personnes interrogées ont le sentiment que la gouvernance politique du pays est médiocre, ce qui peut engendrer de la violence et de l’instabilité.
S’agissant des griefs politiques au Burkina Faso, l’une des premières revendications énoncées par nos inter- locuteurs concernait la corruption. Le niveau de la corruption a grimpé sans répit depuis plus de vingt ans, comme l’indiquent les rapports produits par divers organismes gouvernementaux. Le rapport 2011 du Réseau National de Lutte Anti-Corruption (REN- LAC) indique en effet que « [L]a corruption grandissante, et de façon plus générale le sentiment d’impunité des crimes économiques et de sang qui anime les citoyens, ne sont pas étrangers aux bruyantes manifestions qu’a connu le Burkina Faso, au premier semestre de 2011 ».
Les hauts dirigeants au pouvoir, premier ministre compris, reconnaissent depuis longtemps le problème et expriment leur volonté de le résoudre. Pourtant, la réponse de l’État est perçue comme faible, et l’absence d’une législation robuste ou d’actions judiciaires illustre l’écart entre les attentes des Burkinabè et les normes de gouvernance actuelles.
[L]a corruption grandissante, et de façon plus générale le sentiment d’impunité des crimes économiques et de sang qui anime les citoyens, ne sont pas étrangers aux bruyantes manifestions qu’a connu le Burkina Faso, au premier semestre de 2011
Les personnes interrogées ont aussi fait remarquer que les citoyens suspectés de corruption ne s’inquiètent guère des conséquences judiciaires, car les sanctions restent généralement très limitées et l’impunité tend à prévaloir. Beaucoup considèrent que le système de justice burkinabè manque à la fois de la capacité et la volonté nécessaires pour devenir un mécanisme efficace de responsabilisation. D’un côté, il apparaît comme « immobile, aphone et injuste » dans les cas qu’il examine ou qui devraient lui être soumis. De l’autre, il souffre également de la corruption et semble peu soucieux de faire le ménage en interne.
La grande majorité des personnes interrogées a perçu un changement au Burkina Faso dans la dernière décennie environ, qui amène les Burkinabè à contester avec toujours plus de force la capacité réglementaire et l’autorité du gouvernement, et à vouloir réagir pour marquer leur défiance. Pour certains, l’État est incapable ou ne veut pas agir dans certaines situations, et la seule option qui leur reste est de manifester. L’absence de communication entre les autorités publiques et les citoyens constitue un autre facteur de tension, notamment quand des décisions majeures sont prises sans consulter les premiers concernés et sans communiquer.
Derrière ces plaintes, certaines personnes interrogées voient la hausse de l’incivisme et de la violence associée comme des manifestations d’une doléance fondamentale concernant la domination du système politique par la même élite au pouvoir depuis près de trente ans, et son incapacité à diriger le pays dans l’intérêt de la population. Cette impression est largement répandue. La démocratie burkinabè est perçue comme dysfonctionnelle car les règles du jeu, y compris la Constitution, sont sujettes à des manipulations au profit des dirigeants au pouvoir.
Beaucoup voient la révision de l’article 37 de la Constitution et la création du Sénat de cet œil. Sur cette question en particulier, deux camps adverses se font maintenant face, avec les risques de conflit que cela peut entraîner, surtout quand les deux parties s’engagent dans des politiques identitaires. S’il apparaît que le changement politique ne peut advenir dans la paix et la légalité, l’attraction des solutions violentes risque de se renforcer.
La confiance réciproque entre les forces de sécurité et la population s’est effilochée, surtout avec la police municipale, et les tensions s’accentuent, alimentées par les accusations de corruption et la montée de l’incivisme
Depuis le premier coup d’État au Burkina Faso le 3 janvier 1966, l’armée a été omniprésente dans la politique du pays. Nous avons entendu parler de plu- sieurs incidents impliquant les militaires, notamment pendant les manifestations qui ont suivi le meurtre de Norbert Zongo en 1998. En décembre 2006, avant le sommet des chefs d’État de la CEDEAO dans la capitale burkinabè, des affrontements ont éclaté entre la police et l’armée et se sont propagés dans d’autres régions.
Pendant les manifestations de protestation de 2011, des mutineries sans précédent ont créé un choc dans tout le pays en raison des abus des soldats contre des innocents et du pillage des propriétés publiques et privées. Les signaux alarmants se sont multipliés ces dernières années, et quelques incidents isolés reflètent la difficile cohabitation entre les civils et les militaires.
Si les conflits entre civils et militaires sont parfois déclenchés par des motifs personnels, le risque d’escalade n’est jamais loin. La confiance réciproque entre les forces de sécurité et la population s’est effilochée, surtout avec la police municipale, et les tensions s’accentuent, alimentées par les accusations de corruption et la montée de l’incivisme. Des efforts sont en cours pour rétablir cette confiance. L’armée du pays a dernièrement célébré son 52e anniversaire sur le thème du « Renforcement des liens Armée-Nation ».
Le Burkina Faso est un pays pauvre et inégalitaire avec une population en forte croissance, dont 90 % pratiquent une agriculture de subsistance tandis que près la moitié vit sous le seuil de pauvreté
De même, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité a réaffirmé dans
un discours récent que « les forces armées ont pour mission de défendre l’intégrité du territoire, et de veiller à la sécurité des populations ». Cette mission ne sera réalisée que si des mesures sont prises pour renforcer la confiance du public.
Le Burkina Faso est un pays pauvre et inégalitaire avec une population en forte croissance, dont 90 % pratiquent une agriculture de subsistance tandis que près la moitié vit sous le seuil de pauvreté. Les principaux produits exportés par le Burkina Faso, à savoir le bétail, le coton et l’or, ont peu évolué avec le temps et ne permettent pas à l’économie d’absorber des chocs externes tels que les fluctuations de la pluviosité et des prix des matières premières.
Pourtant, grâce en partie au secteur minier, privatisé dans les années 1990, le Burkina Faso a réussi à enregistrer des taux de croissance à long terme parmi les meilleurs en Afrique de l’Ouest, avec une hausse moyenne du produit intérieur brut de 1,6 % par an depuis l’indépendance. Mais il s’agit d’une « croissance sans retombées économiques » puisque la richesse est inégalement répartie dans la société burkinabè ; les 10 % les plus riches gagnent et consomment plus de 30 % des richesses.
Certaines estimations laissent penser qu’environ 80 % des dépenses publiques du Burkina Faso sont financées par l’aide internationale au développement, et de récentes études ont montré que les élites au pouvoir parvenaient, par la corruption et d’autres moyens, à manipuler les relations avec les bailleurs de fonds à leur avantage. Le taux de chômage au Burkina Faso figure parmi les plus élevés au monde, à l’instar du taux de croissance de la population et de la natalité, ce qui se traduit par une explosion démographique et un pays dont près de la moitié des habitants a moins de 14 ans. Les données sur l’alphabétisation, l’éducation et la santé publique confirment les difficultés de l’État burkinabè à satisfaire les besoins fondamentaux de la population, et des femmes en particulier.
Le chômage et le sous-emploi constituaient également des sujets d’inquiétude très présents chez les personnes interrogées. L’ampleur du chômage des jeunes a souvent été évoquée comme une source potentielle de tension sociale. Dans les villes en particulier, les jeunes sans emploi sans souvent désœuvrés et trainent dans les cafés, devenant ainsi des proies faciles à recruter pour les groupes criminels.
Nous avons entendu dire que des raisons économiques avaient incité quelques jeunes Burkinabè du nord du pays à aller combattre au Mali avec des groupes extrémistes en échange d’argent, mais il est difficile de connaître l’étendue de ce phénomène. Beaucoup de nos interlocuteurs ont décrit le chômage des jeunes en le comparant à une bombe à retardement qui peut exploser à tout moment si des remèdes structurels ne sont pas apportés.
Un grand nombre de ces facteurs peuvent expliquer l’origine du conflit dans leur pays, notamment « les inégalités, les injustices, le chômage, les discriminations, la pauvreté, la corruption qui fait que seuls les riches ont la parole, la crise du système éducatif et ses conséquences: difficultés d’accès à l’éducation, détérioration de la qualité de l’éducation, et pour ceux qui ont la chance d’y accéder, à la fin, le manque de débouchés, d’emplois ».
Conscients des limites de l’agriculture familiale, difficile à moderniser, les pouvoirs publics ont fait la promotion de l’agro-industrie depuis plus d’une décennie. Le Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier a récemment observé que « l’espace d’une décennie, la quasi-disparition des réserves foncières lignagères, réduisant ainsi les possibilités d’action des nouvelles communes rurales dans le domaine de l’aménagement du terroir.
À l’échelle des familles, le problème de l’avenir des jeunes générations se pose déjà, surtout dans un contexte où l’agriculture reste la seule perspective d’emploi pour les ruraux ». Même ceux qui ont à priori bénéficié à court terme de la vente de leurs terres familiales dénoncent cette pratique, car ils sont conscients des risques de monopolisation et d’exacerbation des tensions qu’elle génère.
L’apparition de conflits intrafamiliaux de plus en plus récurrents, la remise en cause des transactions foncières traditionnelles (notamment par les retraits, les diminutions de superficie, etc.), la prolifération des conflits entre autochtones et migrants ‘classiques’ qui refusent de déguerpir, et avec les éleveurs, à cause de l’occupation des pistes à bétail, des berges, de la disparition des pâturages, etc
Nous avons beaucoup entendu parler des tensions qui opposent les agriculteurs et les bergers. Plusieurs revendications spécifiques se sont exprimées en raison des usages différents des terres par ces groupes, qui veulent accéder aux mêmes terrains et points d’eau pour planter des cultures et faire paître les troupeaux. Ces tensions existent depuis longtemps, et les fermiers voient parfois les bergers comme des « sans-terres » et considèrent que l’accès aux terres devrait être accordé en priorité aux gens, et non aux animaux.
Les tentatives d’intervention des pouvoirs publics dans ce type de différends, dans une optique de gestion des ressources et de résolution des conflits, se sont souvent avérées insuffisantes. De façon générale, on constate des carences en matière de consultation et de dialogue entre les parties, ainsi que le non-respect des bonnes pratiques établies et la violation ou l’application erronée de la loi, par ignorance ou malfaisance. Selon nos interlocuteurs, tous ces facteurs peuvent amener une montée de la violence.
Certains d’entre eux ont confirmé l’existence de ces tensions, en précisant toutefois que la nature de ce conflit entre agriculteurs et bergers tend à être passée sous silence au Burkina Faso, car il s’agit en réalité d’un conflit identitaire qui oppose le groupe ethnique des Fulanis aux autres.
Dans les municipalités urbaines, la spéculation foncière et la gestion inappropriée des terrains résidentiels ont été décrites comme des sources potentielles de violence. Sous l’égide de Sankara, de vastes réformes avaient été entreprises et l’État contrôlait de larges zones foncières. Plusieurs villes ont ainsi connu des développements massifs stimulés par le slogan « un foyer, un terrain », mais l’habitat informel a subsisté.
Dans le cadre du processus de décentralisation qui a suivi, la responsabilité du développement des subdivisions a été transférée aux communes, sous la supervision des élus locaux. Ouagadougou s’est ainsi retrouvé avec une série de problèmes provoqués par l’urbanisation et la rapidité de la croissance de la ville. Les dernières années, des villages et des terres cultivables ont été « avalés » par la ville sans tenir compte des besoins réels de la population. Au contraire, cela a fourni aux élus locaux une occasion de s’enrichir par le clientélisme, et des mouvements de protestation se sont fait entendre dans de nombreuses municipalités68.
Le système éducatif du Burkina Faso se caractérise par une distinction entre institutions formelles et informelles. Malgré les progrès visant à universaliser l’éducation de base, nous avons entendu dire que le système éducatif burkinabè était en crise et qu’il pouvait être source de revendications concernant l’accès et les résultats. Les plaintes concernent en particulier la qualité de l’enseignement, la médiocrité des infrastructures et la mauvaise répartition géographique des écoles (82 % de la population en âge d’aller à l’école vivent en zone rurale, mais on trouve un nombre disproportionné d’écoles en zone urbaine).
Les écoles au Burkina Faso ont tendance à reproduire l’ordre social existant : les enfants venant de familles aisées ont plus de chances de réussir que les élèves défavorisés et la baisse des bourses affecte principalement les pauvres en zone rurale. S’ajoutent à ceci des inquiétudes concernant la pertinence des programmes par rapport au marché du travail au Burkina Faso. Ces insuffisances ne contribuent guère à encourager les familles pauvres à envoyer leurs enfants à l’école.
En réalité, l’université au Burkina Faso reflète l’évolution de la société. Les étudiants sont en général plus instruits et bien plus conscients de ce qui se passe dans le monde grâce à leurs études et à leur exposition aux technologies de l’information. S’ils sont de plus en plus enclins à s’exprimer par la violence, c’est très probablement parce que leurs revendications ne sont pas prises en compte.
L’accès à un enseignement supérieur sélectif socialement donne aux étudiants le sentiment de faire partie d’une élite sociale et encourage les aspirations à une vie meilleure ; cependant, beaucoup sont confrontés à des problèmes de survie et n’ont pas les moyens de vivre décemment. L’écart entre leurs aspirations et la dure réalité de leur situation accentue le risque de confrontation. Les griefs ne sont pas dirigés contre la police, mais contre les pouvoirs publics qui peuvent écouter et entamer un dialogue. Il incombe à ces pouvoirs publics de leur prêter une oreille attentive et de bonne foi dans l’intérêt d’éviter le conflit et d’apaiser les tensions.
Le Burkina Faso est un État multiethnique et multi- religieux, mais les conflits identitaires sont beaucoup moins répandus au Burkina Faso que dans les pays voisins qui partagent cette caractéristique. Pourtant, les différents groupes sociaux ne cohabitent pas de façon harmonieuse. Dans la section suivante, nous décrivons l’évolution récente des pratiques religieuses au Burkina Faso dans le cadre des facteurs d’attraction. Nous nous attachons ici aux évolutions décrites de façon plus adéquate comme des facteurs structurels, car elles concernent de grandes préoccupations au sujet de la discrimination dans la société.
De même, les écoles religieuses semblent avoir une totale autonomie concernant le contenu de leur enseignement. Les efforts visant à harmoniser les pro- grammes de ces écoles avec ceux des écoles laïques officielles, publiques ou privées, ne sont pas suffisants. Par conséquent, de nombreux diplômés des écoles religieuses ont des difficultés à s’insérer dans la vie professionnelle.
Face aux options limitées, les diplômés des écoles islamiques choisissent souvent de poursuivre leurs études dans la région du golfe Persique, ce qui contribue peu à améliorer leurs possibilités d’emploi au Burkina Faso. Pour nombre de nos interlocuteurs, la non-intégration des écoles islamiques est une source potentielle de séparation, qui favorise les revendications liées à l’identité, à savoir, des revendications que les musulmans perçoivent en tant que musulmans.
Dans les écoles publiques laïques, nous avons décelé des tensions émergentes au sujet du port de symboles religieux. Les personnes interrogées ont noté que les femmes qui portent le voile sont sujettes à l’exclusion, alors que certains vêtements que beaucoup considèrent comme indécents (par ex., les mini-jupes) sont tolérés.
Certaines personnes interrogées considéraient les violations de la laïcité officielle par les pouvoirs publics eux- mêmes comme des sources de frustration. Nous parlons ici de l’installation d’arbres de Noël, des prières dans les services publics, des calendriers de l’avent dans les médias publics et des subventions pour des pèlerinages. En outre, des problèmes impliquant le Sénat ont par- fois divisé les communautés religieuses, en particulier concernant la proposition que la composition du Sénat soit basée sur des motifs religieux, de façon à ce que les musulmans forment une majorité. Certains observateurs se demandent si l’implication des communautés religieuses dans les travaux parlementaires est cohérente avec le principe de laïcité.
Ils font remarquer que les minorités ont également droit à la représentation. Pour d’autres, une telle intégration de la religion en politique est considérée comme une évolution bienvenue. À l’occasion d’une discussion, un chef religieux a affirmé que la composition du Sénat selon ces principes permettrait aux musulmans de veiller à ce que les lois prennent en compte les intérêts de leur communauté.
De plus, la perception générale est que la législation actuelle est fondée sur le christianisme. Nous voyons dans ces débats un test des niveaux de tolérance et de cohésion dominants où les identités ethniques ou religieuses sont rarement utilisées comme base officielle du choix politique au Burkina Faso. Nombreux sont ceux qui craignent qu’une modification des normes actuelles aura un impact sur l’unité burkinabè déjà fragile.
L’impartialité de l’État laïque du Burkina Faso est également remise en question concernant sa relation avec les chefs traditionnels.
Le Burkina Faso est situé dans une région instable. La vulnérabilité de la région au terrorisme et au finance- ment du terrorisme en particulier a récemment été sou- lignée par le Groupe d’action financière et le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest. Il a été noté que « l’instabilité politique, la violence ethnique et communautaire, la corruption généralisée, la pauvreté étendue et les taux élevés de chômage et de sous-emploi » pouvaient être exploités par les terroristes, en particulier l’égard des jeunes.