Auteurs : Ludovic OUHONYIOUE KIBORA, Mamadou TRAORE
Organisation affiliée : Fondation pour la Recherche Stratégique
Type de Publication : Rapport d’Etude
Date de publication : Septembre 2017
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Grâce au rôle de médiateur qu’il a joué dans de nombreuses crises sous-régionales, le Président Blaise Compaoré était parvenu, bien que de manière plus qu’équivoque, à maintenir le pays à l’abri des attaques en provenance de l’extérieur. Dès sa chute, le pays a connu les premières incursions terroristes, d’abord aux frontières ouest puis aux frontières nord du pays. Depuis, les attentats se sont faits de plus en plus violents. Sur le plan interne, bien avant la chute du régime Compaoré, on a assisté à la montée de l’insécurité, notamment en raison de l’essor du grand banditisme, tandis que les mutineries militaires se sont multipliées.
La fragilisation de l’État, au sortir de la transition politique, a en outre entrainé la prolifération des groupes d’autodéfense, plébiscités par une bonne partie de la population mais rejetés par les légalistes. La tentative de coup d’État intervenue sous la transition, avortée grâce à la résistance populaire, est aussi l’expression de l’exacerbation des tensions au sein de l’armée. Malgré « le retour à une vie constitutionnelle normale », des membres de l’ex-régiment de sécurité présidentielle (RSP) ont de nouveau tenté de fomenter des troubles dans le pays en décembre 2015, janvier et octobre 2016.
Au Burkina Faso, l’armée a historiquement joué un rôle majeur dans la gestion des affaires de l’État. Entre son indépendance et la chute du régime de Blaise Compaoré, le pays avait déjà connu onze régimes dont quatre constitutionnels et sept d’exception. Le régime militaire qui s’est installé le 4 août 1983, en raison de son agenda révolutionnaire, a bouleversé les forces armées et de sécurité, notamment par l’instauration des comités de défense de la révolution (CDR) au sein des populations et des comités de service révolutionnaires (CR) dans tout l’appareil étatique.
Ce nouvel ordre politico-militaire que dictait la défense de la révolution, a laissé des traces profondes, tout comme les nouvelles orientations intervenues à partir d’octobre 1987 et les changements entrepris au sein desdites forces de sécurité depuis 1991, avec le retour à une vie constitutionnelle. Outre cette politisation des forces armées et de sécurité, la création des bataillons populaires d’intervention rapide (BAPIR), issus du concept de la « guerre populaire généralisée », avait entraîné une distribution anarchique d’armes parmi les populations.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la présente réflexion, qui a pour vocation de faire le point sur la situation sécuritaire du Burkina Faso, en envisageant les menaces extérieures et les facteurs d’instabilité internes, ainsi que l’état des capacités des forces de défense et de sécurité, afin d’envisager les réformes qui s’imposent aujourd’hui dans le cadre d’un processus de réforme du système de sécurité (RSS).
Le Burkina Faso demeure au cœur d’une zone fragile, secouée par des crises politiques à répétition. Il s’agit d’un pays sahélien enclavé ayant des frontières poreuses avec ses principaux voisins. Sous le régime de Blaise Compaoré, les opposants aux régimes des pays voisins trouvaient refuge sur le territoire burkinabé. Pendant le conflit libérien, le pays a été plusieurs fois cité comme responsable de l’envoi d’armes et d’hommes au Libéria de Charles Taylor. Il n’est plus un secret pour personne que la rébellion ivoirienne est partie du Burkina Faso.
Blaise Compaoré a mis l’accent sur la sécurité comme instrument de stabilité politique. Sous son régime, une poignée de militaires tenait entre ses mains le renseignement et la sécurité du pays, tel Djibril Bassolé. Blaise Compaoré avait en outre fondé sa propre sécurité sur une force d’élite, le fameux Régiment de sécurité présidentielle (RSP, cf. infra), géré par le Chef d’état-major particulier de la présidence du Faso, le Général Gilbert Diendéré, impliqué dans l’assassinat du Président charismatique Thomas Sankara. Ces hommes du président sont aujourd’hui en prison et leur départ a laissé un vide sécuritaire.
Il s’agit d’un pays sahélien enclavé ayant des frontières poreuses avec ses principaux voisins. Sous le régime de Blaise Compaoré, les opposants aux régimes des pays voisins trouvaient refuge sur le territoire burkinabé
Dès 2011, le pays a connu une profonde crise militaro-socio-politique. Suite au décès d’un élève, interpellé par la police de Koudougou, au centre ouest du pays, les mouvements de protestation de la jeunesse ont provoqué des incendies de commissariats presque partout dans le pays. Le saccage des commissariats, déjà en nombre insuffisant pour assurer un maillage sécuritaire du pays, a entrainé la recrudescence du banditisme dans le pays. Tous les régiments militaires sont par la suite entrés en mutinerie, les soldats et autres officiers subalternes se livrant alors à des actes de vandalisme, des vols et des viols. Le dernier carré de cette mutinerie a été maté à Bobo Dioulasso, seconde ville du pays, par le RSP. À l’issue de cette mutinerie, toutes les armes lourdes et sophistiquées ont été convoyées au Camp Naaba Koom, siège du RSP, à deux pas du Palais du Président Compaoré.
En janvier 2016, Ouagadougou a été frappée en son cœur, par le terrorisme, pour la première fois de son histoire : les attaques du restaurant « Cappuccino » et du « Splendid Hôtel » ont fait 30 morts, de plus de 14 nationalités différentes. Ces attaques ont été revendiquées par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique). Aujourd’hui encore, la planification minutieuse de ces actes soulève de nombreuses questions. Convaincus que les « durs » du clan Compaoré ont juré leur perte, certains proches du Président Roch Marc Christian Kaboré n’hésitent pas à les accuser d’avoir usé de leurs vieilles relations pour téléguider l’attentat de Ouagadougou. « Nous savions qu’ils ne nous laisseraient pas tranquilles et qu’ils complotent contre nous en permanence. Ces gens sont capables de tout », lâche l’un d’entre eux.
Cet attentat a mis à nu la très faible capacité de riposte du pays. Ce sont en effet les forces spéciales françaises et américaines qui ont appuyé les forces de défense et de sécurité nationales pour exterminer les terroristes qui ont résisté toute la nuit. À cette occasion, le Burkina Faso a montré ses limites dans la lutte contre le terrorisme à travers la faible coordination de l’appareil sécuritaire qui a eu des difficultés à réagir efficacement et promptement. Cet événement tragique a bouleversé la donne d’un point de vue sécuritaire, révélant que les Forces de défense et de sécurité sont désormais confrontées à des menaces terroristes aussi bien à l’intérieur qu’aux frontières du pays.
À l’intérieur du pays, les foyers de tension, où la sécurité des populations civiles est mise en danger, demeurent nombreux. Si la protection des biens et des personnes est en principe au cœur des missions des forces de sécurité, celles-ci manquent de capacités, de formation adéquate et de moyens pour faire face à ces agressions.
Le Burkina doit par ailleurs faire face à un nombre important de menaces de nature transnationale. Pays enclavé, le Burkina Faso constitue une plaque tournante pour les trafics en direction ou en provenance des États voisins (armes légères, drogues, pierres précieuses, bétail, bois, café et cacao).
Les forces de défense et de sécurité au Burkina Faso évoluent dans un cadre juridique qui définit clairement les tâches et les responsabilités de chacune d’elles. Selon l’article 36 de la Constitution du 2 juin 1991, « le Président du Faso est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la permanence et de la continuité de l’État, du respect des accords et des traités ». Selon l’article 52, il est le chef suprême des armées, à ce titre, il préside le Conseil supérieur de la défense. Il nomme le chef d’état-major des armées.
Créée au lendemain de l’indépendance et relevant du Ministère de la Défense, le 1er novembre 1961, l’armée est chargée de la défense du territoire national. Cependant, de manière conjoncturelle, les militaires, en dehors de la gendarmerie, interviennent dans le maintien de l’ordre en tant que force de troisième catégorie ; dans ce cas, l’armée constitue une force de complément dont l’intervention se fonde soit sur une réquisition, soit sur une demande de concours aux forces de sécurité publique pour lutter efficacement contre le grand banditisme et la criminalité frontalière.
Par ailleurs, les défis actuels de sécurité amènent actuellement les militaires à s’investir dans la sécurité intérieure dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Enfin, il convient de noter qu’au Burkina Faso, comme dans la plupart des pays francophones, la gendarmerie est une force à statut militaire chargée de missions de police mais qui, en cas d’état de siège ou de guerre, participe à la défense du territoire sous l’autorité du chef d’état-major général des armées.
Le 25 septembre 2015, le Conseil des ministres du gouvernement de transition conduit par le Premier ministre Isaac Zida a dissous le RSP, connu parmi les populations sous le célèbre nom de « militaires du Conseil ». En présence d’une délégation de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une cérémonie symbolique de désarmement du RSP a parachevé, le 7 octobre 2015, la disparition de cette unité d’élite et ancienne garde prétorienne de l’ancien président Compaoré.
Les armes saisies ont été distribuées aux différentes unités de l’armée, priorité étant donnée aux forces positionnées aux frontières nord du pays. Cette dissolution du RSP faisait partie des exigences formulées de longue date par la population et la société civile et réclamées de manière plus déterminée encore depuis le début de la transition. Elle faisait également partie des objectifs affichés par le Premier ministre de la transition, Isaac Zida, lui-même ancien numéro 2 du RSP.
La loi n° 032-2003/AN du 14 mai 2003 définit les principes généraux de la sécurité intérieure au Burkina Faso et les forces qui l’assurent. Ces principes généraux concernent :
- le maintien de l’ordre ;
- les compétences territoriales et d’attribution des forces de police et de gendarmerie ainsi que le domaine de compétence des sociétés privées de sécurité ;
- le renforcement de l’efficacité et de l’efficience des forces de sécurité intérieure ;
- la promotion de la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme ;la protection civile et la prévention de l’insécurité.
C’est le décret n° 396/PRES/INT portant organisation du maintien de l’ordre en Haute- Volta et l’arrêté du 6 avril 1967 qui fixent les règles et les modalités d’emploi de la gendarmerie nationale. La gendarmerie ressort du ministère de la Défense. Comme mentionné ci-dessus, la Gendarmerie est une armée spécialisée dépendant des forces armées du Burkina Faso, placée sous l’autorité d’un chef d’état-major. Elle est cependant placée aussi pour emploi auprès des diverses autorités administratives et judiciaires pour assurer l’exécution des lois et règlements, ressortissant aux attributions particulières de chacune d’elles.
La police nationale est l’une des plus vieilles institutions de sécurité du Burkina Faso. Elle fut créée pendant la colonisation le 28 septembre 1949. Le 1er août 1958, fut instituée par arrêté n° 403 la direction de police territoriale. Placée sous l’autorité du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure (MATDSI), la police nationale est aujourd’hui directement administrée par une Direction générale créée en 1980. Elle est chargée de :
- veiller à l’observation des mesures réglementaires en matière de sécurité, de salubrité et de sûreté ;
- assurer le maintien et le rétablissement de l’ordre public ;
- délivrer des documents administratifs définis par les lois et règlements ;
- assister les administrations ;
- assurer la surveillance du territoire, la protection des institutions, des populations et des biens ; exécuter des activités de police judiciaire conformément aux dispositions du code de procédure pénale.
Le manque de moyens matériels et humains semble caractériser l’ensemble des forces de défense et de sécurité. Le maillage du territoire par les forces de sécurité est un sérieux problème. Il arrive qu’en milieu rural sur un rayon de plus de 50 km, on ne trouve le moindre commissariat de police. Lorsqu’il existe, il se limite à deux ou trois agents avec du matériel vétuste. Il en est de même pour les postes de gendarmerie. Les régiments militaires sont quant à eux concentrés dans les principales villes.
Par ailleurs, on peut constater qu’au lieu que les forces de défense et de sécurité agissent de manière complémentaire, elles se sont parfois révélées antagonistes, tendant même à se neutraliser. Récemment, le fait qu’une nouvelle Compagnie républicaine de sécurité (CRS) ait été soumise à la même formation de base que les jeunes militaires, a eu pour effet de gonfler l’ego des premiers et rendu jaloux les seconds.
Le constat est aussi frappant pour ce qui concerne le bas niveau d’étude des forces de défense et de sécurité. De nombreux élèves et étudiants à la recherche d’emploi s’engagent dans l’armée et les forces de sécurité sans réelle vocation.
En outre, la crédibilité des forces de défense et de sécurité a été profondément ternie par le fait que d’aucuns parmi eux estiment qu’ils ne doivent pas respecter la loi de la même façon que le citoyen ordinaire. À cela s’ajoute la corruption constatée à divers niveaux.
Conformément à la Constitution, le contrôle des forces de sécurité est exercé par l’Assemblée nationale. La Commission parlementaire de défense et de sécurité (CODES) de l’Assemblée nationale peut lancer des enquêtes, adresser des questions écrites ou interpeller les membres du gouvernement, y compris le Premier ministre et/ou le ministre de la Défense, sur des questions générales de politique ou sur des problèmes particuliers et ciblés de défense et de sécurité.
Aux termes de l’article 84 de la Constitution, l’Assemblée nationale vote la loi relative à la défense et à la sécurité. De par l’article 101 de la Constitution, l’Assemblée nationale détermine les principes fondamentaux de défense nationale et fixe les règles relatives à l’état d’urgence et l’état de siège. Elle contrôle également l’action gouvernementale en temps de crise. Il faut souligner que le manque de connaissances techniques sur les thématiques sécuritaires constitue également un frein à l’engagement des parlementaires.
Les parlementaires burkinabés ont bénéficié depuis quelques années, avant même le changement de régime, d’un renforcement de leurs capacités. C’est ainsi qu’un atelier régional sur « le contrôle parlementaire de la sécurité » s’est tenu en juin 2010 à l’Assemblée nationale du Burkina Faso, grâce au financement de l’OIF. Cet atelier s’adressait notamment à la Commission de défense et de sécurité et comprenait également une session de formation des fonctionnaires parlementaires. Par ailleurs, sur une initiative du National Democratic Institute (NDI), dans le cadre d’un programme financé par la Coopération danoise et dénommé « Renforcer le contrôle et la surveillance démocratique du secteur de la sécurité », les députés ont tenu une rencontre du 15 au 17 juin 2016 à Ouagadougou.
Depuis l’indépendance, la France envoie des coopérants militaires au Burkina dans le cadre du soutien que Paris apporte à l’armée burkinabé. En 2010, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la bande saharo-sahélienne, les forces françaises et américaines ont réorganisé leur présence militaire en Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que la France, dans la foulée du lancement de l’opération Barkhane le 1er août 2014, a mis en place un pôle de renseignement à Niamey (Niger), un groupement tactique désert à Gao (Mali), une force aérienne à N’Djamena (Tchad), et enfin des forces spéciales à Ouagadougou54.
Le Burkina est une pièce importante dans le dispositif Barkhane de lutte antiterroriste au Sahel. La France dispose d’une centaine d’hommes des forces spéciales, dotés d’hélicoptères, sur le sol burkinabé. Les États-Unis, quant à eux, considèrent le Burkina Faso comme un allié stratégique au plan militaire, dans leur programme de lutte contre le terrorisme dans le Sahel, opérationnel depuis 2005 (Transsahel Initiative).
La volonté politique de réformer en profondeur le secteur de sécurité semble exister au plus haut sommet de l’État, ce qui constitue un élément fondamental et tout à fait indispensable à la réussite d’une entreprise aussi nécessaire qu’ambitieuse. De ce point de vue, le Burkina Faso pourrait constituer, dans les années à venir, l’un des laboratoires d’observation d’un processus de réforme du système de sécurité pouvant être mené de manière véritablement inclusive dans la mesure où la volonté de réforme semble émaner à la fois :
des autorités nationales : les autorités de la transition mises en place au lendemain de la chute de Blaise Compaoré tout comme celles légitimement désignées à l’issue des scrutins présidentiels et législatifs de novembre 2015 ont démontré leur volontarisme en la matière ;
- de la population elle-même : parmi les principales revendications clamées lors des manifestations populaires et formalisées par les organisations de la société civile, figurent en bonne place la réforme des forces armées ainsi que la fin de l’impunité pour celles d’entre elles notoirement soupçonnées d’être impliquées dans des crimes de sang et des abus ;
d’une partie importante des forces de défense et de sécurité elles-mêmes : l’attitude loyaliste de la majorité de l’armée envers le gouvernement de transition a rappelé, comme l’avaient en leur temps démontré les cas du Sénégal et du Ghana, que certaines franges de l’appareil de défense et de sécurité peuvent commencer à se professionnaliser et à adhérer à un idéal républicain, y compris en l’absence d’un régime démocratique ;
il semble aussi exister un consensus dans la classe politique afin de considérer que la réforme du système de sécurité est une priorité : même les partis de l’opposition exigent de l’État qu’il mette à la disposition des forces de défense et de sécurité les moyens matériels nécessaires pour assurer la sécurité des biens et des personnes.