Auteur : Didier Niewadowski
Type de publication : Article
Date de publication : le 31 mars 2016
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Comment expliquer la démocratie exemplaire au Cap-Vert alors que dans de nombreux pays africains les élections ne sont que des mirages de la démocratie ? Au Cap-Vert, les alternances politiques se produisent régulièrement tous les 10 ans. Celle commencée le 20 mars 2016 sera la troisième alternance, depuis l’indépendance, acquise en 1975.
Les ressorts de la démocratie capverdienne
Dans ce pays pauvre, où la sécheresse est endémique, les ethnies n’existent pas, contrairement à la Guinée-Bissau, pays jumeau dont il s’est opportunément détaché, en novembre 1980, suite au coup d’Etat du Bissau-guinéen « Nino » Vieira. Au Cap-Vert, le sentiment national est très fort [6]. Il est à peine modulé par les identités insulaires et l’expatriation.
Outre le métissage, une autre spécificité du Cap-Vert réside dans une importante diaspora qui est estimée à un nombre au moins équivalent à celui de l’archipel, soit environ 500 000 citoyens. Les binationaux de Boston, de Lisbonne, de Rotterdam, du Luxembourg et de la banlieue parisienne sont attentifs à la bonne gouvernance et au développement harmonieux du pays. Par leurs votes, leurs transferts d’argent et leur participation aux projets de développement économique, ils n’autorisent pas le moindre écart envers les principes démocratiques. La sanction serait immédiate.
Cette success story est également due aux rôles éminents joués par les femmes qui assument leurs responsabilités, familiale, économique et politique, comme on le voit rarement. La traditionnelle émigration masculine et l’éloignement temporaire des marins ont forgé cette appétence. La plupart des postes ministériels régaliens sont tenus par des femmes dans des gouvernements qui sont toujours restreints et durables. Le tiers des candidats aux élections législatives, du 20 mars 2016, étaient des femmes.
Un régime de type parlementaire avec un système politique quasi-bipartisan
La constitution de 1992, avec ses amendements ultérieurs, organise un système politique proche d’un régime parlementaire. Bien qu’élu au suffrage universel direct, le président de la république n’est pas le chef du gouvernement. Cette fonction est assurée par un premier ministre, leader de la majorité parlementaire. Depuis l’indépendance en 1975, le Cap-Vert n’a connu que cinq premiers ministres.
Le PAICV et le MPD se disputent le pouvoir avec des alternances successives. L’UCID n’arrive pas à émerger sur la scène nationale. Ce troisième parti politique représenté à l’Assemblée nationale se réclame de la démocratie chrétienne. L’UCID est surtout implanté sur l‘île de Sao Vicente où il a ses trois seuls députés. Trois autres partis politiques participent aussi aux élections, mais ils sont peu représentatifs.
Contrairement à de nombreux pays africains, où les partis politiques sont surtout des clubs de supporters, au Cap-Vert, les électeurs se prononcent, avant tout, pour un parti politique plutôt que pour une personnalité. Les notions de bureau politique, de commissions thématiques et de doctrine politique sont bien présentes. Il s’agit là peut-être, à la fois, d’un héritage du passé marxiste léniniste, pour le PAICV et d’un certain mimétisme envers l’organisation des deux grands partis des Etats Unis d’Amérique, pour le MPD.
Les affrontements au sein des deux grands partis attestent de la vitalité du débat politique. A l’issue du combat politique interne, les personnalités vaincues rentrent dans le rang et ne créent pas leur propre parti politique. Dans le PAICV, les luttes de pouvoir ont toujours été vives et non sans conséquences. Ainsi à l’occasion de la succession de Pedro Pires, en 2011, plusieurs courants se sont entredéchirés, ce qui s’est traduit par une défaite électorale retentissante du candidat officiel du PAICV . Les affrontements au sein du MPD sont plus feutrés mais tout aussi vivifiants pour le parti . Ce renouvellement périodique des cadres permet d’éviter la sclérose que connaissent la plupart des partis africains.
Alors que dans de nombreux Etats africains, le mode de scrutin est uninominal, majoritaire à deux tours, au Cap-Vert, le mode de scrutin est plurinominal, avec répartition des sièges à la proportionnelle. Les restes des voix sont attribués à la plus forte moyenne, selon la méthode D’Hondt. Le scrutin de liste à la proportionnelle devrait normalement favoriser la multiplication des partis politiques. Au Cap-Vert, il n’en est rien. La bipolarisation de la vie politique est tellement ancrée que toute ambition politique en dehors du PAICV et du MPD est vouée irrémédiablement à l’échec.
Si les trois partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ont une existence pérenne qui ne varie pas au gré des élections, seuls le PAICV et le MPD sont structurés sur tout le territoire national et ne concentrent pas leurs activités dans la capitale. Des sections locales accueillent des débats auxquels sont conviés les membres du parti et les sympathisants.
Ils ont une idéologie bien marquée qui est enrichie par des think tanks, alimentés par des intellectuels de la diaspora. Le PAICV et le MPD ont des militants fidélisés, loin du clientélisme nomade, rencontré dans de nombreux pays africains. L’appartenance à l’un ou l’autre des deux grands partis se transmet, dans de nombreuses familles, de génération en génération. Le rajeunissement des cadres et la modernisation du parti n’en sont que plus faciles.
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