Auteurs : Edrissa Sanyang et Sanna Camara
Site de publication : Friedrich Ebert Stiftund
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2017
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Introduction
Dans le passé, la Gambie s’est vantée d’être la Côte Souriante de l’Afrique, très appréciée comme destination touristique par les européens, surtout les scandinaves, faisant du tourisme sa première source de revenus, plus importante même que l’agriculture. En plus, elle a accueilli des organisations comme la African Commission of Human Rights and Peoples (Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Nelson Mandela Building) et le African Centre for Democracy and Human Rights Studies (Centre Africain pour la Démocratie et les Études des Droits de l’Homme, Zoe Tembo Building). Mais lorsque, le 22 juillet 1994, un groupe de jeunes officiers militaires téméraires renverse un gouvernement stable, démocratique, qui a duré trente ans, les choses commencent à se détériorer en Gambie.
Avec ses décrets et ses lois draconiennes, la junte militaire a vite étouffé l’espace démocratique tout en détruisant les institutions démocratiques intrinsèquement faibles (les organes exécutif, législatif et judiciaire, la presse, les partis politiques et les organisations de la société civile). Les implications pour les droits humains et l’État de droit sont énormes, avec un nombre croissant de détentions sans procès, d’enlèvements, de rapts, d’emprisonnements abusifs, d’exécutions extrajudiciaires, d’assassinats, et une corruption débridée. En plus, la situation s’aggrave avec la mise en œuvre de politiques qui asphyxient sérieusement la liberté académique et la liberté d’expression. Les services sociaux de base, habituellement fournis par les gouvernements sont soit inexistants ou de mauvaise qualité. Le secteur privé fut littéralement détruit, incapable de promouvoir la croissance économique nationale. Aujourd’hui, le pays compte parmi les plus pauvres du monde.
L’ascendance de Jammeh
Le Président Jawara fut en vacances à Londres en 1981 lorsque la tentative de Coup d’Etat d’une rébellion socialiste menée par le dissident gambien Kukoie Samba Sagnia finit dans le sang. Grâce à l’intervention des militaires sénégalais, la mainmise des rebelles sur le pouvoir à Banjul ne dura que 24 heures, mais avec une énorme perte en vies humaines pour les deux parties, ainsi que des populations civiles. Jusque-là, le pays ne disposait pas d’une vraie armée, mais seulement d’une Force de campagne mal équipée pour jouer le rôle d’une armée.
À son arrivée au pouvoir en 1994, le président Jammeh commença à gouverner par décret, d’abord en suspendant la Constitution et tous les partis politiques existants
Jeune lieutenant en 1994, Yahya Jammeh rejoignit une branche des services de sécurité connue sous le nom de Gendarmerie, une force paramilitaire sur le modèle français entrainée au Sénégal à travers un accord confédéral convenu entre les deux pays juste après le putsch de 1981. Suite au regroupement des forces armées et de la police au début des années 1990, Jammeh parvint au rang d’officier. Devenu chef de la Police Militaire, il bénéficie d’une formation au leadership militaire dirigée par les États Unis au début de 1994, puis, au mois de juillet de la même année, avec quatre de ses collègues, il forme le groupe militaire qui va renverser l’establishment gambien au pouvoir pendant trente ans sans interruption. Il fonde alors l’AFPRC (Armed Forces Provisional Ruling Council/Conseil provisoire de gouvernement militaire), tandis que l’édition matinale du Daily Observer parue après le coup d’Etat de juillet 1994 titre : « Nous n’introduirons pas la dictature dans notre pays ».
À son arrivée au pouvoir en 1994, le président Jammeh commença à gouverner par décret, d’abord en suspendant la Constitution et tous les partis politiques existants. Le conseil voulut une période de transition de quatre ans, mais le peuple, à travers un conseil national consultatif, demanda que la transition soit limitée à deux ans. Deux des cinq membres du conseil militaire, opposés à l’agenda politique du président Jammeh furent accusés de fomenter un coup d’État contre le conseil et condamnés à neuf ans d’emprisonnement. Afin de contester des élections en 1996, le président Jammeh se transforme en politicien civil et met sur pied un parti politique nommé « Alliance for Patriotic Reorientation and Construction » (APRC : Alliance pour la réorientation et la construction patriotique).
Le cadre institutionnel
Quand, en 1996, le président Jammeh envisage de tenir des élections, il quitte l’armée avant de se transformer en Chef d’Etat civil en compagnie de deux autres membres de son conseil militaire. Victorieux après les élections, il confie d’abord à ses deux collègues la surveillance du gouvernement local ainsi que des institutions militaires. Puis, une femme est nommée au poste de Vice-Président. Le Capitaine à la retraite Yankuba Touray, en sa qualité de ministre du gouvernement local, fut chargé du démantèlement du système traditionnel des chefs de tribu, dont le rôle était de protéger les valeurs socioculturelles des différentes ethnies du pays. Pour nommer les chefs de district, le Président exerce son autorité personnelle les choisissant sur la base de leur loyauté, au lieu de laisser les différentes communautés les élire en leur sein. Ceci contribua à centraliser le pouvoir entre les mains de l’Exécutif.
Le président Yahya Jammeh déclencha une purge au sein de l’armée en éliminant des officiers talentueux et influents sur la base de leurs origines et les remplaça par des membres de son ethnie en se basant sur leur loyauté. Le Capitaine à la retraite Edward Singhateh, premier ministre de la défense sous le conseil de l’AFPRC, continue de superviser ce processus d’épuration. Afin de neutraliser toute influence traditionnelle dans l’armée gambienne, le com – mandement original et les différentes unités sont reconfigurés, puis remplacés. Au niveau parlementaire, contrairement à la première république où l’on choisissait les ministres parmi un groupe de représentants élus, la Constitution de la deuxième république adopte, pour la formation du Cabinet, un système de nomination directe. Le président serait le seul à choisir les ministres du Cabinet et les licencier à son gré.
Une autre politique introduite par le président Jammeh veut que les membres de son parti perdent leurs sièges à l’Assemblée suite à leur expulsion du parti
Une autre politique introduite par le président Jammeh veut que les membres de son parti perdent leurs sièges à l’Assemblée suite à leur expulsion du parti. Les membres et conseillers de l’Assemblée furent nommés par le comité exécutif du parti puis approuvés par le président au lieu d’être choisis par les communautés et leurs circonscriptions électorales qu’ils représentaient. La perte de leur siège parlementaire fut inévitable, malgré leurs mandats électoraux. Ignorant un accord entre le Commonwealth et les gouvernements de ses Etats membres, lequel autorise le recrutement de juges d’Etats membres par le biais d’un programme d’assis – tance technique, Jammeh commença à recru – ter ses propres juges et procureurs, majoritaire – ment en provenance du Nigéria, du Ghana, du Cameroun, etc., pour exercer dans le système judiciaire gambien. Les juges, magistrats et pro – cureurs gambiens expérimentés, rendant des décisions indépendantes, connurent le même sort que les membres de l’armée. Ils furent tous relevés de leurs fonctions et remplacés par des professionnels étrangers. Ces membres étrangers du système judiciaire furent mis à contribution pour présider les procès politiques, mais ils manquaient de considération pour la justice ou pour les sensibilités et valeurs gambiennes. En rendant leurs décisions, ils favorisaient largement Jammeh.
Gouvernance
La Constitution de la Gambie de 1997 définit clairement les trois branches séparées et indépendantes du gouvernement, donnant à la presse, en tant que quatrième branche, une fonction de supervision. Le projet de cette constitution, validé par référendum en 1996, limite la durée de la présidence à deux mandats de cinq ans. Cependant, cette première version de la Constitution a été trafiquée au milieu de la nuit afin de suspendre cette limite de deux mandats présidentiels et aussi l’âge minimum requis de quarante ans pour tout candidat à l’élection : Jammeh n’avait qu’un peu plus de 30 ans à l’époque. Après l’élection présidentielle de 2001, la constitution a encore été amendée, cette fois afin de supprimer le deuxième tour, au cas où un candidat n’obtiendrait pas une majorité de 50+1.
Dans la même veine, la limite supérieure d’âge d’un candidat a été portée à 65 ans. De plus, lorsqu’en mai 2015, la CEDEAO prit la décision inédite d’institutionnaliser la limitation des mandats comme moyen de promouvoir la stabilité et le transfert pacifique du pouvoir, la Gambie et le Togo furent les deux seuls pays membre qui refusèrent de signer l’accord. Les médias Pour le peuple gambien, les médias indépendants furent le dernier bastion de défense contre la tyrannie et l’oppression. Dans la période post indépendance, les médias jouirent d’une relative liberté inscrite dans la loi sans qu’il ne soit rapporté aucune attaque physique ou assassinat – ceci contraste vivement avec la période sous Jammeh. Pendant la première république, le quotidien « The Torch », par exemple, fit un reportage sur les pratiques de corruption des membres importants du gouvernement et alla même jusqu’à témoigner au tribunal contre un vice-président en exercice au milieu des années 1980.
Les médias indépendants furent délibérément visés et affaiblis par des attaques ciblées, des assassinats et des kidnappings
Cependant, le Parti Progressiste du Peuple au pouvoir maintint son emprise sur le pouvoir pendant trente ans, gagnant des élections successives avec une transparence et une équité douteuses. Les partis d’opposition ne purent pas amener un changement de gouvernement par les urnes et le peuple commença à être las d’un gouvernement qui refusait de partir. C’est pourquoi le Coup d’Etat de Yahya Jammeh en 1994 reçut l’adhésion du peuple qui espérait un changement et un nouveau départ. En réalité, cependant, Jammeh consolida sa base de pouvoir et évita de la pire manière qui soit un changement de gouvernement paisible et démocratique pendant 22 ans. Pendant cette période, les médias indépendants furent délibérément visés et affaiblis par des attaques ciblées, des assassinats et des kidnappings. La communauté des professionnels en exil ne cessa de s’agrandir.
Problèmes de sécurité et de gouvernance jusqu’en 2020 et au-delà
La coalition a annoncé son intention de créer une nouvelle armée républicaine ainsi qu’un appareil de sécurité alternatif entrainé à respecter et protéger la population, dans le même esprit que les autres institutions adopteront le nouveau régime et ses principes de base de respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’état de droit, la démocratie et la bonne gouvernance. La coalition est convaincue de cet idéal, ce qui veut dire qu’elle s’emploiera à ce que les forces de sécurité reçoivent l’orientation nécessaire qui les aidera à comprendre que c’est un nouveau régime.
« Un gouvernement qui arrive par la démocratie gagnera le respect des gouvernements à travers le monde. La Gambie est un petit pays et nous ne sommes pas en guerre avec nos voisins… les forces armées devront donc maintenant utiliser les opportunités de formation afin de développer leur capacité de mieux servir la population civile et les missions de maintien de la paix à travers le monde », a dit un porte-parole. Les membres de la police, de l’armée et de l’appareil de sécurité recevront une formation qui permettra à un grand nombre d’entre eux de quitter les forces armées, recevoir une éducation pour avoir de meilleurs salaires et vivre en tant que civils, loyaux au nouveau gouvernement.
La nature brutale du régime de Jammeh a traumatisé la population de manière inimaginable le contexte socioculturel de la Gambie
Un des éléments clé du programme de transition et de sa mise en œuvre en douceur est la mise en place d’une Commission Vérité et Réconciliation, similaire en portée et termes de référence à celle constituée dans la période post apartheid en Afrique du Sud. Afin de limiter la dégradation délibérée du schisme ethnique voulue par Jammeh ces deux dernières décennies, la population gambienne doit Encourager sur la voie du pardon afin de pardonner les excès de la dictature de 22 ans du Président Jammeh. Ceux-ci ne peuvent cependant pas être bien compris sans que l’impact d’attiser de façon flagrante la domination d’une minorité et ses effets sur le tissu social du décor culturel gambien ne soit vu à sa juste valeur. Il y eut l’allocation systématique des postes administratifs et opportunités en faveur d’un groupe ethnique contre les autres ; l’imposition des intérêts d’un groupe ethnique et ses préférences culturelles à ceux des autres, dans le seul but de créer des divisions visant à maintenir la dictature contre une opposition unifiée pour mettre fin à sa mainmise sur le pouvoir.
La nature brutale du régime de Jammeh a traumatisé la population de manière inimaginable le contexte socioculturel de la Gambie. Nous n’avons pas d’autre choix que de voir les méfaits de Jammeh comme des machinations délibérées et d’invoquer le pardon et des sanctions raisonnables si nécessaire. La prise de fonction de la prochaine administration après la transition en 2020 devra consolider ces programmes de réforme initiés par le gouvernement de transition et accroître les considérations sécuritaires pour tous les enjeux bilatéraux et multilatéraux dans la région.
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