Auteur : Vincent Duhem
Organisation affiliée : Jeune Afrique
Type de Publication : Article
Date de publication : 25 Mars 2019
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À bientôt 75 ans, Nana Akufo-Addo a de l’énergie à revendre. Il ne se ménage pas plus qu’il ne ménage ses collaborateurs ou ses ministres, qui ont pris l’habitude d’être sollicités à toute heure du jour ou de la nuit. Usés par la cadence qui leur est imposée, certains d’entre eux ironisent : il n’est pas sûr que le président ait encore le temps de rentrer passer la nuit dans sa résidence privée, située dans le quartier populaire de Nima, et il est probable qu’il se soit installé au palais. Nana Akufo-Addo n’en a cure : « I’m in a hurry ! répond-il à ceux qui l’interrogent sur ce rythme effréné. Je suis pressé ! »
Son mandat ne lui a été confié que pour quatre ans, et ses adversaires politiques ont commencé à affûter leurs armes. En novembre 2020, il lui faudra de nouveau affronter John Dramani Mahama dans les urnes – le Congrès démocratique national (NDC), principal parti d’opposition, officialisera son intention de faire de l’ancien président son candidat le 23 février suivant. Les deux hommes entretiennent des rapports cordiaux, mais Nana Akufo-Addo sait que Mahama n’a pas digéré sa défaite en 2016 et qu’il fera tout pour revenir sur le devant de la scène
Il est temps que les Africains financent eux-mêmes leurs dépenses de santé et d’éducation. Il est urgent de rompre avec notre mentalité d’assistés et de mendiants éternels
Le 30 novembre 2017, quand un journaliste ghanéen demande au président Emmanuel Macron, en visite à Accra, si « la France compte étendre son partenariat hors de ses anciennes colonies », Akufo-Addo prend la parole et improvise une réponse de neuf minutes qui fera le buzz pendant de longues semaines.
« J’espère que ma réponse ne va pas vous heurter. Nous ne pouvons plus conduire notre politique sur la base de ce que soutiennent ou souhaitent les Occidentaux, l’Union européenne ou la France, lance-t-il sous le regard mi-circonspect mi-admiratif de son homologue. Il est anormal que, soixante ans après l’indépendance, la moitié du budget ghanéen en matière d’éducation dépende de la charité des contribuables européens. Il est temps que les Africains financent eux-mêmes leurs dépenses de santé et d’éducation. Il est urgent de rompre avec notre mentalité d’assistés et de mendiants éternels. »
Ces propos, qu’il répétera en diverses occasions, disent beaucoup du président ghanéen. Pour le comprendre, il faut se replonger dans son passé et dans celui d’un pays où les élites sont fières et décomplexées. Nana Akufo-Addo est né en 1944, pendant une période charnière du mouvement de lutte pour l’indépendance.
Malgré son jeune âge, il en sera un témoin privilégié. À l’époque, six personnes portent à bras-le-corps ce combat contre la Grande-Bretagne. On les appelle les Big Six. Parmi eux : son père, Edward Akufo-Addo (président de la République de 1970 à 1972), son grand-oncle Joseph Boakye Danquah, son oncle maternel William Ofori-Atta, et, bien sûr, Kwame Nkrumah, le père de l’indépendance du Ghana.
Mais nul n’est prophète en son pays, et sa situation est bien plus compliquée au Ghana, où les discours souverainistes ne suffisent pas à contenter un électorat exigeant. Ces deux dernières années, ses ambitions et ses promesses de campagne se sont heurtées aux difficultés structurelles de l’économie ghanéenne
Appréhende-t-on différemment la gestion du pouvoir lorsqu’on l’a convoité pendant de longues années ? Nana Akufo-Addo s’y est tant préparé… Cela ne l’a pas mis à l’abri d’un premier couac retentissant – son discours d’investiture a été raillé pour ses ressemblances avec celui prononcé par Georges W. Bush en 2001 –, mais, dans un environnement sous-régional marqué par une forte centralisation du pouvoir, sa gouvernance est atypique. Il a choisi de déléguer et a formé un gouvernement pléthorique : plus de 100 ministres, dont 35 de plein exercice, qu’il réunit tous les jeudis au palais pour un long Conseil.
« C’est un vrai homme d’État, extrêmement méthodique et structuré. Il incarne une nouvelle forme de gouvernance fondée sur la capacité des Africains à disposer d’eux-mêmes », affirme un ministre togolais. « Il est patient, persévérant et doté d’une grande capacité d’écoute », ajoute Tibou Kamara, ministre-conseiller auprès du président guinéen, Alpha Condé.
Mais nul n’est prophète en son pays, et sa situation est bien plus compliquée au Ghana, où les discours souverainistes ne suffisent pas à contenter un électorat exigeant. Ces deux dernières années, ses ambitions et ses promesses de campagne se sont heurtées aux difficultés structurelles de l’économie ghanéenne. « Tout est au ralenti depuis deux ans. J’avais 100 employés, 60 sont partis et je pense devoir encore réduire la voilure. Le marché est lent, le gouvernement me doit de l’argent, les taxes ont augmenté. Bref, les temps sont durs », résume Philippe Kwame, entrepreneur dans le secteur pétrolier.
Akufo-Addo et ses proches imputent une partie de leurs difficultés à leurs prédécesseurs, qu’ils accusent notamment d’avoir siphonné le secteur bancaire et pétrolier
L’ambitieux programme pour lequel Akufo-Addo a été élu tarde à produire les effets escomptés. Annonce-phare de sa campagne électorale, la gratuité de l’enseignement secondaire a englouti une part énorme du budget de l’État. Le programme d’industrialisation « One District, One Factory » – une usine dans chacun des 254 districts du pays – a pris un retard important.
Saluée sur le continent, la décision de ne pas renouveler la Facilité élargie de crédit (FEC), le plan d’aide de 955 millions de dollars conclu en 2015 avec le FMI et qui prendra fin en avril, suscite quelques inquiétudes. Si les autorités ont fourni un gros travail pour maîtriser les dépenses de l’État, pourront-elles maintenir le cap à dix-huit mois des élections ?
Son gouvernement a dépensé beaucoup trop d’argent dans des projets sans réelle valeur ajoutée. Il y a aussi eu un manque de coordination. Akufo-Addo et ses proches imputent une partie de leurs difficultés à leurs prédécesseurs, qu’ils accusent notamment d’avoir siphonné le secteur bancaire et pétrolier. Et semblent persuadés que les obstacles seront vite surmontés. Mais la volonté affichée par Akufo-Addo de transformer en profondeur l’économie de son pays et de changer les mentalités est-elle compatible avec l’urgence politique ?
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