Auteur : Maître Helene Cissé et Allan Ngari
Organisation affiliée : ISS Afrique
Type de publication : Rapport
Date de publication : mars 2020
Contexte de la lutte contre le terrorisme au Niger Position géostratégique et géopolitique du Niger
De par sa situation géopolitique et géostratégique, le Niger pouvait difficilement échapper aux effets déstabilisateurs de l’expansion à l’intérieur de ses frontières des activités des groupes armés djihadistes et autres groupes armés insurrectionnels qui déstabilisent les pays voisins :
- Au Nord, à la frontière avec le sud de la Libye, la zone connaît une forte concentration d’activités de trafics d’armes, de drogue et de traite de personnes impliquant des jihadistes d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) ;
- Au Sud-Est, à la frontière avec le Nigeria, où le mouvement insurrectionnel conduit par Boko Haram – qui s’est scindé en deux factions armées à la suite de l’allégeance à l’État islamique d’une partie de ses combattants – mène à la fois des attaques et des opérations de recrutement au niveau local, aux effets déstabilisateurs importants, propageant l’insécurité, en particulier dans la région de Diffa1 ;
- A la frontière ouest, avec le Mali et le Burkina où la coalition GSIM composée d’AQMI, Ansardine, Al Mourabitoune et du MUJAO, et l’EIGS affilié au groupe État islamique conduisent des attaques à partir du territoire malien où ils se sont implantés.
La mise en œuvre au Niger des standards internationaux de protection des droits de l’homme et de l’état de droit pour garantir le droit à un procès équitable aux présumés terroristes
Dans quelle mesure le cadre juridique et le déroulement des opérations contre le terrorisme au Niger sont-ils conformes aux normes internationales de protection des droits de l’homme et de l’état de droit, pour garantir le droit à un procès équitable aux présumés terroristes ?
Le cadre normatif des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme au Niger Le cadre politique et juridique international
Les Nations unies ont affirmé l’obligation de respecter les règles de protection des droits de l’homme et de l’état de droit, dans le cadre de la lutte antiterroriste. La Résolution 1456 du 20 janvier 2003 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à cet effet, dispose que : Les États doivent veiller à ce que toute mesure prise pour lutter contre le terrorisme soit conforme à toutes les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, en particulier le droit international des droits de l’homme, le droit des réfugiés et le droit humanitaire.
Ces principes sont encore rappelés dans la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations unies élaborée en 2006. Le 4e pilier de ce cadre stratégique exhorte les États à :
- veiller au respect des droits de l’homme pour tous et de l’état de droit, comme base fondamentale de la lutte contre le terrorisme ;
- mettre en place et maintenir un système national de justice pénale efficace et fondé sur l’état de droit qui puisse garantir, conformément aux obligations qu’impose le droit international, que toute personne qui participe au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes de terrorisme ou qui y apporte un appui, soit traduite en justice, sur la base du principe « extrader ou poursuivre », dans le strict respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Les recommandations communes élaborées par les présidents des Cours suprêmes des pays du Sahel (le Burkina, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad), membres de l’Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), ont rappelé, le 2 mars 2018, que l’application des conventions internationales et régionales pertinentes13, des résolutions de l’ONU et des principes du procès équitable constituent la référence des normes applicables en matière de lutte contre le terrorisme.
Le sens et la portée pratique des normes de protection des droits de l’homme et de l’état de droit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Niger
Les règles de protection des droits de l’homme, en vue de garantir un procès équitable, doivent être appliquées à toutes les étapes de la procédure du traitement des affaires qui impliquent des cas présumés de terrorisme. Le processus relatif aux interpellations (arrestations), poursuites, conditions de détention, enquêtes, instructions, jugements, et à l’application des peines concernant des personnes présumées terroristes doit être placé sous le contrôle effectif du système judiciaire. Toute poursuite pour fait de terrorisme doit être fondée sur une incrimination pénale légale préexistante et toute condamnation ne doit prononcer que des peines prévues par la loi.
Les normes internationales de protection des droits de l’homme sont-elles effectivement respectées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Niger ?
Des réformes législatives se sont efforcées de renforcer le respect des droits fondamentaux des présumés terroristes en vue de leur garantir un procès équitable, en conformité avec l’état de droit. Droit d’être poursuivi et condamné uniquement sur la base d’incriminations pénales établies par la loi.
Les incriminations pénales liées au terrorisme
Le Niger est partie aux instruments internationaux de lutte contre les actes de terrorisme sous leurs différentes formes, notamment celles relatives :
– à l’aviation civile,
– aux attentats terroristes à l’explosif et aux matières dangereuses,
– au terrorisme nucléaire,
– au financement du terrorisme,
– à la navigation maritime et aux plates-formes fixes,
– aux transports terrestres,
– à la prévention et à la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale,
– à la prise d’otages.
L’ordonnance 2011-12 du 27 janvier 2011 modifiant et complétant le Code pénal du Niger du 15 juillet 1961 a internalisé les incriminations relatives aux actes de terrorisme contenues dans les instruments internationaux en les adaptant à la réalité du terrain18. Le Code pénal du Niger établit dans son Titre VI (nouveau), une liste d’actes constitutifs d’actes terroristes, lorsque ceux-ci sont caractérisés par l’élément intentionnel déterminant de l’acte terroriste dont un éclairage avait été donné dans l’ordonnance 2011-12 du 27 janvier 2011 comme suit :
tout acte ou menace d’acte prévu par les dispositions du titre VI (nouveau) du Code pénal susceptible de mettre en danger la vie, l’intégrité physique, les libertés d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui occasionne ou peut occasionner des dommages aux biens privés ou publics, aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel, et commis dans l’intention de :
– intimider, provoquer une situation de terreur, forcer, exercer des pressions ou amener le Gouvernement, un organisme, une institution, une population ou un groupe de celle-ci, à engager toute initiative ou à s’en abstenir, à adopter, à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes ;
– Perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de service essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations ;
– Créer une insurrection générale dans le pays ;
- toute promotion, financement, contribution, ordre, aide, incitation, encouragement, tentative, menace, conspiration, organisation ou équipement de toute personne avec l’intention de commettre tout acte mentionné au paragraphe précédent.
- Délais de garde à vue
La loi 2016-21 du 16 juin 2016 modifiant le Code de procédure pénale du 14 août 1961 a introduit des délais de garde à vue dérogatoires au droit commun pour les affaires concernant le terrorisme. Alors que le délai de garde à vue de droit commun est de 48 heures renouvelables une fois sur autorisation du procureur de la République, l’article 605.5 (nouveau) du Code de procédure pénale prévoit qu’en matière de terrorisme le délai de garde à vue est de 15 jours. Ce délai peut être prolongé d’une même durée par autorisation écrite du parquet du Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée ou du juge d’instruction de cette juridiction.
- Perquisitions
Les officiers de police judiciaire peuvent procéder à des perquisitions domiciliaires et à toute saisie en cas de présomption d’existence d’indices en relation avec une entreprise terroriste. Celles-ci peuvent être effectuées à tout moment et en tout lieu, contrairement au droit commun.
- Atteintes à la vie privée et à la confidentialité des données personnelles : écoutes téléphoniques et interception des communications électroniques, accès aux données personnelles, infiltration
Pour les besoins de l’enquête et en cas de présomption d’existence d’indices en relation avec une entreprise terroriste, les officiers de police judiciaire peuvent être autorisés provisoirement par le procureur ou le juge d’instruction, pour une durée maximum de 3 mois renouvelable en cas de nécessité, à :
– intercepter les communications téléphoniques, les messages électroniques et autres courriers des suspects ou de toute personne en rapport avec eux ;
– infiltrer en vue de la recherche d’éléments de preuve, les organisations terroristes et les associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
- Peine de mort
La peine de mort est systématiquement prévue pour la plupart des infractions terroristes lorsque celles-ci entraînent la mort d’une ou de plusieurs personnes. Pour les attentats à l’explosif et les actes de terrorisme nucléaire, la peine de mort est prévue si lesdits actes ont entraîné mort d’homme ou des pertes économiques considérables. Le maintien de la peine de mort dans le Code pénal est en contradiction avec le droit à la vie garanti par la Constitution du Niger de 2010, et contraire à l’engagement pris par le gouvernement du Niger de la supprimer.
- Longues détentions préventives Des réformes législatives ont été prises pour encadrer la détention préventive : elle ne peut excéder quatre ans en matière criminelle et deux ans en matière délictuelle.
Droit d’accès à l’assistance d’un avocat
Alors que dans les procédures pénales de droit commun, il est notifié au suspect le droit de prendre un avocat à partir de la 24e heure de garde à vue, dans la procédure relative aux infractions terroristes ce délai passe à 48 heures. Cette disposition est en contradiction avec celle du règlement n° 5 de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) qui stipule que le suspect a droit à l’assistance d’un avocat dès son interpellation.
Recherche de pistes de solution Renforcement des capacités institutionnelles et opérationnelles du système judiciaire en charge des affaires de terrorisme
Les organes judiciaires spécialisés (Pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée) et les procédures spécifiques en matière d’infractions terroristes ont été mis en place par l’ordonnance 2011-13 du 27 janvier 2011, modifiée et complétée par la loi 2016-21 du 16 juin 2016 et la loi 2017-07 du 31 mars 2017.
- Prise en compte de la vulnérabilité des mineurs impliqués dans des actes de terrorisme
La loi 2016-22 prend également en compte le caractère particulièrement vulnérable du mineur impliqué dans des actes de terrorisme en instaurant un régime de peines plus légères et des mesures d’encadrement, afin de favoriser leur réinsertion dans la vie sociale. Pour les mineurs impliqués dans des actes de terrorisme, la peine prévue par l’article 399.1.23 du Code pénal est la moitié de la peine normalement applicable à une personne majeure.
En outre, le maximum de la peine d’emprisonnement ne peut excéder 12 ans. Le jugement des procédures en matière de terrorisme concernant les mineurs se déroule conformément aux dispositions de la loi du 20 novembre 2014 sur les juridictions pour mineurs au Niger. En conséquence, les règles de protection et d’encadrement spécifiques prévues pour les mineurs s’appliquent également pour les infractions terroristes dans lesquelles un mineur est impliqué.
- Surpopulation carcérale et insuffisance des moyens dont dispose le système judiciaire
Ces arrestations en grand nombre ont exercé une pression sur le système de justice pénale nigérien. En effet, celui-ci ne disposait pas des ressources humaines, matérielles et logistiques adéquates pour la prise en charge judiciaire et carcérale d’un nombre si important de présumés terroristes. En 2019, près de 1 000 personnes ont été jugées. Ces constats ont été exprimés par les procureurs, juges d’instruction et du siège lors de l’atelier de la chaîne pénale organisée par EUCAP-Sahel Niger le 15 août 2019 à Niamey.
Conclusions
L’évolution de la politique pénale du gouvernement nigérien vers un renforcement législatif en vue d’améliorer les garanties d’un procès équitable conforme aux normes internationales des droits de l’homme est à encourager. Mais la mise en œuvre effective des réformes et les efforts concernant le droit à la réinsertion sociale de ceux qui n’ont pas commis de graves crimes de sang nécessitent des moyens importants en ressources humaines et matérielles. Les autorités nigériennes sont encore confrontées à des défis en matière d’amélioration des droits de l’homme, notamment s’agissant de poursuivre l’alignement avec les engagements internationaux contractés, tels que la suppression de la peine de mort.
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