Auteur : Amnesty International
Type de publication : Rapport
Date de publication : 11 décembre 2020
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Renforcer la liberté d’expression et de réunion pacifique
Ces dernières années ont été caractérisées par une restriction progressive de l’espace public, avec de sérieuses atteintes à la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique. Le Niger a voté la loi n° 2019-33 du 03 juillet 2019 portant répression de la cybercriminalité au Niger dont les articles 29 et 31 sanctionnent respectivement la “diffamation par un moyen de communication électronique” et les “diffusions de données de nature à troubler l’ordre public ou portant atteinte à la dignité humaine” avec des peines allant de six mois à trois ans de prison et une amende pouvant atteindre cinq millions de francs CFA (USD 9120).
Cette loi a été utilisée pour réduire au silence des acteurs des médias et de la société civile en 2020 ; six d’entre eux ayant été inculpés sur cette base pour des faits variant de publications sur les réseaux sociaux, de conversations dans les groupes WhatsApp privés partagés par d’autres, à des commentaires faits par des personnes-tierces sur leurs publications. La loi sur la cybercriminalité permet au procureur de déterminer l’intentionnalité de l’accusé à “troubler l’ordre public”, sans que la preuve ne soit formellement établie.
Par ailleurs, la liberté de réunion pacifique a été restreinte au Niger. De nombreuses personnes ont été arrêtées et poursuivies pour avoir participé à des manifestations interdites par les autorités pour des prétextes sécuritaires et sanitaires. Nous appelons tous les candidats, en cas de victoire, à :
- Amender les articles 29 et 31 de la loi n° 2019-33 du 03 juillet 2019 sur la cybercriminalité et les rendre conformes aux dispositions internationales protégeant la liberté d’expression et le droit à l’information, notamment en se basant sur les faits qualifiés et non les intentions prêtées ;
- Mettre fin au harcèlement judiciaire contre les personnes ayant exercé leur droit à la liberté d’expression et de manifestation pacifique ;
- Garantir le régime de déclaration prévu dans la loi de 2004 qui régit les rassemblements sur la voie publique, et assurer que toute interdiction soit dument motivée et notifiée dans les plus brefs délais aux organisateurs.
Garantir le droit à la vie privée
En mai 2020, le Niger a voté une loi sur l’interception de certaines communications émises par voie électronique pour la recherche de renseignements pour des raisons de sécurité nationale. Cette loi-dont le vote fut boycotté par l’opposition ne présente pas assez de garanties notamment pour le droit à la vie privée. Il est notamment problématique que ce soit l’exécutif et non une autorité judiciaire indépendante qui autorise les interceptions électroniques.
Par ailleurs, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, chargée de veiller au respect des dispositions de la loi, n’est pas en mesure de rejeter une demande d’interception du pouvoir exécutif, même si elle la jugeait illégale. Nous appelons les candidats, en cas de victoire, à :
- Amender la loi sur les interceptions en transférant à une autorité judiciaire indépendante le pouvoir d’autoriser les interceptions sur requête de l’exécutif, et en attendant cela ;
- Renforcer le pouvoir de la commission nationale de contrôle afin qu’elle puisse suspendre voire rejeter toute interception qu’elle juge illégale ;
- Établir des dispositions pour permettre aux entreprises de télécommunications de contester leur réquisition à des fins d’interceptions par le gouvernement, lorsqu’elles jugent ces requêtes comme non conformes à la loi ;
- Amender la loi sur les interceptions en permettant aux particuliers, la possibilité légale de contester les interceptions les concernant.
Protéger les droits des migrants et des réfugiés
Le Niger est au carrefour des routes migratoires du Sahel vers la Méditerranée, et est un pays de départ, de transit et de relocalisation. En dépit des dispositions légales protégeant les demandeurs d’asile et migrants, les conditions de vie de ces populations demeurent particulièrement dures et leurs droits fréquemment violés. Ainsi le Rapporteur spécial du comité contre la torture a dénoncé en décembre 2019, les mauvais traitements et allégations de tortures infligées par les autorités nigériennes envers les migrants et les demandeurs d’asile.
Durant le même mois, des manifestations quotidiennes de demandeurs d’asile non-satisfaits de leurs conditions de vie dans les camps à Agadez se sont conclues par l’arrestation, parfois avec violence, de 336 d’entre eux en janvier 2020. En février, 111 parmi ces personnes arrêtées ont été jugées et condamnées à des peines avec sursis, pour “rébellion” et “incendies volontaires” par le tribunal de grande instance d’Agadez.
Afin de renforcer la protection des droits des migrants et demandeurs d’asile, nous appelons les candidats, en cas de victoire, à :
- Respecter le principe de non-refoulement ;
- Réviser tous les accords bilatéraux portant sur les migrants afin de les rendre conformes aux dispositions internationales ;
- Mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires des migrants et demandeurs d’asile et à l’usage excessif de la force à leur égard.
Abolir la peine de mort
La peine de mort existe toujours dans le code pénal nigérien pour certains crimes en dépit des recommandations émises à l’issue de l’Examen périodique universel par la Conseil des Droits de l’Homme, portant sur la ratification du second protocole additionnel du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En décembre 2019, les peines capitales en vigueur ont été commuées en peines d’emprisonnement par décret présidentiel. Afin d’aller au-delà d’une abolition en pratique, nous appelons tous les candidats, en cas de victoire, à : • Accélérer le processus menant à l’abolition totale, en droit, de la peine capitale.
Mettre un terme à l’impunité concernant les exécutions extrajudiciaires
Le Niger fait face à diverses menaces sécuritaires ces dernières années, du fait de la présence de groupes armés dans le bassin du lac Tchad et dans ses régions frontalières avec le Mali et le Burkina Faso. Face à cette situation, les autorités ont mené des opérations militaires dans plusieurs départements des régions de Diffa, Tahoua et Tillabéry. La réponse militaire a été entachée par de graves violations des droits humains. En mars et avril 2020, 102 personnes ont été arrêtées par l’armée dans le cadre de patrouilles dans le département d’Ayorou.
72 parmi ces 102 personnes arrêtées ont été retrouvées dans six fosses communes, suite à une enquête de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) du Niger, qui démontre en outre la responsabilité des militaires nigériens dans des crimes de droit international. Trente parmi ces personnes arrêtées restent toutefois portées disparues à ce jour. Afin de prévenir la répétition de ces graves violations, nous appelons les candidats, en cas de victoire, à :
- Mener une enquête judiciaire impartiale, crédible et indépendante sur les incidents allégués, et poursuivre les responsables ;
- Suspendre de leurs fonctions, en attendant les conclusions des enquêtes et des poursuites, les membres des forces de sécurité soupçonnés d’avoir ordonné ou procédé à des exécutions extrajudiciaires et autres violations ;
- Veiller au respect des droits de toutes les personnes arrêtées au cours d’opérations militaires.
Mettre fin aux violences et pratiques discriminatoires faites aux femmes
Bien que la Constitution interdise les discriminations basées sur le sexe (article 8), et malgré la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), les inégalités entre les femmes et les hommes demeurent toujours une réalité, tout comme les violences basées sur le genre. Le mariage précoce est une préoccupation majeure ; le Niger présentant le taux de prévalence le plus élevé au monde, selon l’UNICEF avec un taux de 76%. Afin de parvenir à une égalité réelle entre les sexes, nous appelons les candidats en cas de victoire, à:
- Lever toutes les réserves sur le protocole de la CEDAW et ratifier le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (le Protocole de Maputo) ;
- Rendre conforme la législation nationale et le droit coutumier, avec les dispositions internationales ratifiées par le Niger et les normes internationales de droits humains, notamment concernant la définition du viol dans le Code Pénal ;
- Garantir l’interdiction dans la pratique des mariages forcés ou précoces lorsque l’un au moins des partenaires n’a pas donné son consentement ou n’a pas la capacité de le faire ; assurer la protection des droits humains des personnes victimes de mariages forcés et mettre en place des mesures nécessaires pour remédier aux causes à l’origine de ces violations ; • Mener des campagnes d’éducation aux droits humains et de sensibilisation contre le mariage précoce et les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes.
Améliorer les conditions de détention
Les conditions de détention au Niger restent précaires en dépit des efforts gouvernementaux entrepris ces dernières années. La « mise à disposition par la justice » est toujours pratiquée, permettant de détenir un suspect sans mandat judiciaire, ce qui constitue une détention arbitraire tel que le rappelle le Comité contre la Torture.
Le rapport de décembre 2019 du Comité note par ailleurs les nombreux dépassements du délai légal de garde à vue (48 heures maximum), le manque de tenue régulière des registres d’écrou et le nombre limité de magistrats et d’avocats dans certaines régions, qui empêchent de nombreux détenus d’accéder à la justice. Dans le but de renforcer la protection des détenus, nous appelons les candidats, en cas de victoire, à :
- Améliorer les conditions de détention en matière d’hygiène et d’accès aux soins de santé et en tenant compte des besoins spécifiques des femmes, afin de garantir le même standard que celui érigé par les normes internationales ;
- Mettre un terme à toutes les détentions arbitraires, y compris à la pratique de “mise à disposition” sans mandats et à la détention de personnes au-delà des délais de garde à vue ou de détention préventive prévus par la loi ;
- Garantir le respect du droit à un procès équitable de tous les détenus, y compris le droit d’être représenté par un avocat et être présenté dans le plus court délai devant un juge.
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