Organisation affiliée : ECPAT
Type de Publication : Rapport
Date de publication : 2017
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La traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle
Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants définit la traite comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par l’enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation.
Le pays est qualifié par le TIP de « pays d’origine, de transit et de destination d’enfants […] soumis au travail forcé et à l’exploitation sexuelle »
L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés… ». Le protocole ajoute que « [l]e recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme une « traite des personnes » même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés », tels que la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, etc.
Bien que peu d’estimations soient aujourd’hui disponibles à ce sujet, la traite est un phénomène important au Niger.
Le pays est qualifié par le TIP de « pays d’origine, de transit et de destination d’enfants […] soumis au travail forcé et à l’exploitation sexuelle ».
En tant que pays d’origine, il alimente l’offre de la traite interne et externe de victimes à partir de villages vers les agglomérations ou d’autres pays, principalement le Nigéria, l’Algérie, la Libye et l’Arabie Saoudite. Il est également un pays de transit, car situé au carrefour entre le Maghreb et les pays côtiers d’Afrique sub-saharienne. Les victimes qui transitent au Niger sont généralement originaires du Cameroun, du Nigéria, du Ghana et du Tchad.
Enfin, le Niger est un pays de destination de victimes provenant principalement du Cameroun, du Nigéria, de la Libye, du Ghana, du Libéria, du Bénin, du Togo, du Mali et du Tchad.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la portée de cette manifestation, comme la mobilité de la population, et les pratiques d’esclavagisme par castes qui persistent dans certaines ethnies.
Une enquête sur les comportements, attitudes et pratiques des populations en matière de traite des personnes au Niger, réalisée par l’Institut National des Statistiques (INS) et l’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes et le Trafic Illicite de Migrants (ANLTP) en 2016, explique que le phénomène est connu de 42.2% de l’ensemble de la population; une proportion qui augmente dans les régions d’Agadez, de Maradi et de Niamey, où plus d’un ménage sur dix sait ce qu’est la traite.
Cela témoigne de la présence du phénomène dans ces régions. En revanche, seuls 54.9% des ménages qui connaissent le phénomène ont également connaissance de la législation applicable pour poursuivre les trafiquants.
A nouveau, les taux varient selon les régions concernées ; par exemple, seuls 19.9% et 19.6% des ménages connaissent la législation applicable dans les régions de Maradi et Tahoua.
Peu de données traduisent les caractéristiques de la traite au Niger, ce qui empêche de dresser un portrait-robot du phénomène. Parmi les quelques informations disponibles, l’OIM relève que 30% des victimes de traite passées par ses centres (adultes et enfants) ont déclaré avoir été exploité sexuellement. Aussi, l’enquête de l’INS et de l’ANLTP précise que la moitié des ménages interrogés ont estimé que la traite avait pour fin l’exploitation sexuelle des enfants, au même titre que le travail forcé ou la mendicité. Ces observations viennent corroborer les conclusions du TIP et des acteurs de la protection de l’enfance interrogés pendant la rédaction du présent rapport.
Sur le plan moral, la prostitution est vue comme un péché majeur sévèrement condamné, une atteinte aux mœurs nigériennes, sans considération du fait que la personne en situation de prostitution soit un enfant ou un adulte
Aujourd’hui, la loi ne sanctionne pas spécifiquement l’agresseur direct des victimes. L’exploitant, celui qui coordonne la prostitution de l’enfant, est condamné sous l’angle de la traite, mais la loi ne vise pas l’agresseur direct. Celui-ci peut toutefois être sanctionné sous d’autres normes législatives, dont les qualifications de viols ou d’outrage à la pudeur.
La société nigérienne semble davantage condamner les enfants que les considérer comme des victimes.
Sur le plan moral, la prostitution est vue comme un péché majeur sévèrement condamné, une atteinte aux mœurs nigériennes, sans considération du fait que la personne en situation de prostitution soit un enfant ou un adulte.
Des articles de presse vont plus loin en affirmant que certaines victimes se prostituent par plaisir, parce qu’elles aiment ce qu’elles font.
La victime est culpabilisée et stigmatisée, vue comme « actrice », « responsable » de sa situation.
Si l’exploitation sexuelle des enfants dans le contexte du voyage et du tourisme ne semble pas avoir la même ampleur que l’exploitation sexuelle d’enfants dans la prostitution purement nationale, et même locale, des exemples d’agresseurs venant de l’étranger prouvent que le phénomène existe. Par exemple, les représentants de la police interrogés pendant la rédaction du présent rapport ont cité le cas d’un nigérian arrêté à Niamey alors qu’il avait exploité sexuellement une mineure à plusieurs reprises, cas mêlant exploitation sexuelle d’enfants dans la prostitution, en ligne et dans le contexte du voyage et du tourisme.
Aujourd’hui, le tourisme reste limité au Niger, mais à mesure que le nombre de touristes augmentera et que les voyages d’affaires se multiplieront, les risques d’exploitation sexuelle d’enfants dans le contexte du voyage et du tourisme au Niger risquent de croitre. Il est donc important de documenter le phénomène via une collecte de données réalisée par les autorités à la fois publiques et privées. Aussi, il peut être intéressant d’impliquer les acteurs touristiques dans la lutte contre l’exploitation sexuelle afin de lutter conjointement contre le phénomène.
Selon l’INS, 63.7% des Nigériennes âgées de 15 à 19 ans étaient mariées en 2015, contre 7.3% des hommes du même âge
Le mariage d’enfants ou mariage précoce renvoie à tout mariage dans lequel au moins l’un des conjoints est un enfant. Il s’agit de l’acte de marier un enfant, en général une fille, avec ou sans son consentement. Le mariage d’enfants, ou mariage précoce, peut-être : un facteur menant à diverses formes de violence et/ou d’exploitation sexuelle, une forme explicite de violence sexuelle, et une forme d’exploitation sexuelle dans la mesure où les transactions économiques ou gains financiers bénéficient à des adultes impliqués dans l’union maritale.
Le mariage d’enfants est, comme la traite d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle, la manifestation de l’ESE la plus documentée au Niger.
Selon l’INS, 63.7% des Nigériennes âgées de 15 à 19 ans étaient mariées en 2015, contre 7.3% des hommes du même âge.
L’INS ajoute que 24.6% des femmes âgées de 15 à 49 ans étaient mariées à 15 ans. Les estimations de l’UNICEF vont plus loin et précisent qu’en 2014, 76% des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient mariées avant 18 ans, et que 28% des femmes de la même tranche d’âge s’étaient mariées avant 15 ans. Dans certaines régions, des enfants de 10 ans sont même déjà mariés.
Aujourd’hui, cette pratique s’exercerait encore clandestinement mais elle serait aussi généralisée que par le passé. Elle n’a été condamnée qu’une seule fois, en 2014, sous le qualificatif du crime d’esclavage.
Depuis plusieurs années, le Niger a pris des positions publiques condamnant le mariage d’enfants, mais ce débat reste extrêmement sensible parmi la population.
Le Président nigérien a, par exemple, déclaré que le mariage d’enfant ne serait plus toléré. Une loi a aussi été proposée pour que l’âge légal du mariage soit élevé à 18 ans mais elle n’a pas encore été adoptée. Pour l’heure, aucun changement substantiel n’a été observé. Il existe bien un comité de coordination dédié à la problématique, le Comité National de Coordination des Actions, mais il est encore peu connu des acteurs de la protection de l’enfance et ses activités ne font que débuter. L’évolution culturelle nécessaire à de tels changements reste timide et lente.
La loi continue de fixer l’âge légal du mariage à 15 ans pour les filles, et laisse au droit coutumier une large marge d’application. Ainsi, la limite d’âge supposément établie à 14 ans en droit coutumier ne semble pas toujours respectée, dans la mesure où des jeunes filles sont mariées avant l’âge de 12 ans, et parfois même 10 ans. Quelques cas de mariage forcés sont assignés devant les tribunaux nigériens chaque année, mais ils restent encore très limités.
RECOMMANDATIONS POUR AGIR CONTRE L’EXPLOITATION SEXUELLE DES ENFANTS
Plans d’Action Nationaux
- Intégrer la lutte contre l’ESE dans le Programme National de Protection de l’Enfant et y décliner les différentes manifestations et stratégies de protection aux niveaux national, régional, départemental et local ;
- Allouer les ressources humaines et financières nécessaires à une mise en œuvre effective des Plans d’Action Nationaux ;
- Assurer un suivi et une évaluation approfondie de tous les Plans d’Action Nationaux de protection de l’enfance.
Coordination et coopération
- Renforcer l’efficience des mécanismes officiels de coopération entre les acteurs publics et la société civile œuvrant dans la protection de l’enfance ;
- Officialiser les statuts des comités villageois de protection de l’enfant et leur octroyer des financements ;
- Faciliter la coordination entre les comités locaux de protection de l’enfant et les services en charge de la protection de l’enfant au niveau décentralisé ;
- Vulgariser et diffuser la politique nationale de protection de l’enfant à l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance afin qu’ils partagent les mêmes stratégies, procédures, indicateurs et outils ;
Prévention
- Documenter, et actualiser les données portant sur les manifestations de l’ESE ;
- Sensibiliser, former et actualiser les compétences des acteurs de prévention de l’ESE afin qu’ils développement et conduisent des campagnes de sensibilisation adaptées, réduisent la vulnérabilité des enfants et créent des programmes d’autoprotection ;
- Mettre en place des campagnes de sensibilisation à l’ESE, notamment auprès des parents et des communautés, afin de favoriser le signalement des cas d’ESE aux services de police compétents, de provoquer une prise de conscience générale sur l’ampleur du phénomène et de rappeler le rôle que chaque membre de la collectivité peut jouer à cet égard.
- Désagréger des indicateurs sur l’ESE dans le guide pour l’identification des victimes de la traite des personnes.
- Impliquer le secteur privé dans la prévention de l’ESE, notamment les fournisseurs d’accès internet et hôteliers.
Protection
- Transposer en droit interne les articles 1, 2 et 3 du PFVE, particulièrement eu égard à l’exploitation sexuelle des enfants à des fins de prostitution, afin que tous les mineurs de moins de 18 ans puissent être reconnus comme victimes de chaque manifestation de l’ESE ;
- Sensibiliser, former et actualiser les compétences des acteurs de protection de l’ESE pour qu’ils puissent prendre en charge efficacement les enfants victimes ;
- Adopter une procédure judiciaire spéciale à l’enfant, permettant de garantir ses droits, sa protection et sa confidentialité, ainsi que de lui ouvrir l’accès la justice à moindre frais.
Participation des enfants et des jeunes
- Veiller à ce que la voix de l’enfant et du jeune soit prise en considération dans toutes les procédures juridiques et sociales touchant l’enfant ;
- Travailler avec les enfants en tant qu’agents du changement, par exemple au travers d’actions d’éducation des enfants par leurs pairs ou de sensibilisation de la population à la Déclaration des droits des enfants victimes d’exploitation et d’abus sexuels327.
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