Auteur : Aboubacar Yenikoye Ismaël
Organisation affiliée : CSCanada
Type de Publication : Article
Date de publication : 2018
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La baisse du niveau qualitatif du système éducatif en général, primaire en particulier est au centre des préoccupations actuelles des élèves, enseignants, parents d’élèves et décideurs politiques au Niger.
L’on relève qu’après trente années (1960-1990) marquées par des performances relativement acceptables, les résultats enregistrés au cours des trois dernières décennies (1990- 2018) restent particulièrement décevants et compromettent gravement la disponibilité des ressources humaines, aptes à prendre en charge la problématique à la fois complexe et cruciale du développement humain, pour un pays figurant précisément au dernier rang mondial de l’indice du développement humain.
Faut-il rappeler cette évidence, que la qualité des ressources humaines d’un pays dépend principalement de la qualité de son système d’éducation, d’instruction et de formation, dont une des composantes majeures se rapporte à la compétence académique, pédagogique et humaine du maitre lui-même.
La baisse du niveau qualitatif du système éducatif en général, primaire en particulier est au centre des préoccupations actuelles des élèves, enseignants, parents d’élèves et décideurs politiques au Niger
Le maitre d’école tient à cet effet entre ses mains, non pas seulement l’avenir de ses élèves, mais aussi et surtout le destin de la collectivité et donc celui d’une partie de l’humanité aussi infime soit-elle. Il en découle que la capacité d’adaptation des populations, leur aptitude à transformer et maitriser l’environnement physique, politique, économique et social, restent subordonnées à la qualité du système d’éducation et de formation.
Si l’ IUS- UNESCO ( 2007), UNESCO (2009) ont déploré la rareté des études en sciences de l’éducation portant sur l’analyse des liens intimes entre qualité de la formation des maitres d’une part et performances des élèves d’autre part, c’est sans doute parce que l’on a plus souvent considéré que les enseignants, étant dans leur totalité formés dans des établissements spécialisés, sont par conséquent compétents pour exercer et réussir la mission à eux confiée.
Rappelons qu’en 2005, l’enquête a concerné les classes de CP, CE2 et CM2 des écoles traditionnelles du Niger. Les disciplines retenues étaient l’étude de la langue française, les mathématiques et les sciences. Les résultats obtenus aux tests de français, de mathématiques et de sciences, diffèrent pour chaque discipline en fonction du niveau considéré. Dans le cadre de la présente étude nous nous intéressons principalement aux résultats des élèves en français et en mathématiques.
Le rapport d’évaluation note (p.16) que les niveaux d’acquisition sont différents quand on passe du CP au CM2. « La proportion d’élèves en difficulté augmente sensiblement (46.0% au CP, 61.1% au CE2 et 67.8% au CM2) alors que les scores moyens de groupes baissent. L’évaluation met en évidence un déficit en lecture et écriture dans les classes de CP qui serait, entre autres, à l’origine des difficultés qui se sont accumulées jusqu’au CM2. La situation a eu comme conséquence de produire des élèves incapables de réaliser une production écrite. Il existe également une forte hétérogénéité dans les niveaux des élèves ».
Les élèves se trouvant dans la fourchette du seuil de décrochage augmentent du CP au CM2 de 58,9% à 71,2% en mathématiques ; et les élèves qui atteignent le seuil désiré diminuent également du CP au CM2 de 15,6% à 5%.
En mathématiques, les élèves qui ont décroché représentent les 3⁄4 des CP et plus de 80% des CE2 et CM2. Le taux des élèves qui maîtrisent les compétences de base (seuil désiré) s’effondre à la fois en français et en mathématiques. Une conséquence forte doit être tirée.
Des remédiations en français et en mathématiques, selon les chiffres des tableaux ci-dessus, devraient concerner les 3⁄4, ou même davantage, des élèves nigériens quelle que soit la classe qu’ils fréquentent. Par ailleurs, on sait que l’école, entre le CP et le CM2, exclut environ 60% de ses effectifs, voire plus. L’école Nigérienne mérite en tous les cas une véritable et urgente refondation ».
Au CP : seulement 10% et 9% respectivement en français et mathématiques sont au seuil requis de compétence en 2014 alors qu’ils étaient de 39 % et 35 % respectivement en 2007 et 54% et 61% en 2005
A l’issue de ces observations particulièrement préoccupantes et des conclusions et recommandations formulées, il est sans doute utile de s’interroger sur les performances actuelles du système éducatif nigérien, dix années après l’évaluation de 2007. Les remédiations sont- elles conduites ? Si oui, quels résultats ont-elles générés ? A ces questions, nous avons déjà tenté d’apporter un début de réponse en soulignant à l’entame de cette contribution, les résultats de l’évaluation PASEC, conduite en 2014. Examinons donc les chiffres dans une analyse comparative des performances allant de 2005 à 2014.
Au CP : seulement 10% et 9% respectivement en français et mathématiques sont au seuil requis de compétence en 2014 alors qu’ils étaient de 39 % et 35 % respectivement en 2007 et 54% et 61% en 2005. Plus les années s’écoulent et plus les performances scolaires déclinent. Les mêmes observations se répètent en classe de CM2.
Il y a là manifestement une baisse tendancielle qui va se maintenir et se renforcer d’avantage deux années plus tard en 2016, ainsi que le rapportent les données suivantes, issues de l’évaluation de 2016.
Le recueil des données s’est effectué dans les différentes institutions éducatives nigériennes, ainsi que les rapports et publications réalisés sur le sujet (directions spécialisées du ministère de l’éducation de base, institut national de la statistique etc.)
A l’examen des résultats des évaluations successives conduites par des institutions spécialisées sur les performances du système éducatif nigérien, l’on peut raisonnablement conclure qu’il produit plus de « déchets » scolaires, qu’il ne génère de compétences et de performances. Il est donc aisé de schématiser la baisse du niveau en ne s’intéressant qu’au seul aspect des élèves ayant atteint de seuil suffisant de compétence au cours des années de mise en œuvre des réformes, conduites sous l’égide des institutions internationales. La figure suivante illustre les résultats en ce domaine.
L’analyse statistique permet de noter également que la corrélation est significative au seuil de 5%, c’est-à-dire, que plus les contractuels augmentent moins les élèves sont compétents en français et mathématiques à la fois
L’analyse des résultats permet de noter, à l’image du couple « enseignants titulaire-élèves ayant atteint le seuil suffisant » d’une part, une seconde concordance « enseignants contractuels-élèves en difficulté » d’autre part. Il y a comme une juxtaposition d’années en années entre la proportion d’enseignants contractuels et la proportion d’élèves en difficulté dans les deux matières fondamentales. Par exemple pour l’année 2005, on relève 62% de contractuels pour 69% d’élèves en difficulté dans les deux matières, en 2007, l’on note 77 ̈% de contractuels pour 82,5% d’élèves en difficulté, en 2014, 80,6% de contractuels pour 87% d’élèves en difficulté, et enfin en 2016, on recense 79,4% de contractuel pour 87% d’élèves en difficulté dans les deux matières.
L’analyse statistique permet de noter également que la corrélation est significative au seuil de 5%, c’est-à-dire, que plus les contractuels augmentent moins les élèves sont compétents en français et mathématiques à la fois.
Cette curieuse concomitance des proportions et des contreperformances n’est cependant pas absolue et il est intéressant de noter que les deux proportions, si elles demeurent très proches ne sont pourtant pas totalement égales d’une part et que si les contractuels étaient seuls responsables de l’hécatombe pédagogique ainsi mise à nu, la proportion d’élèves en difficulté serait au plus égale, sinon inférieure, mais en tous les cas pas supérieure à la proportion d’élèves en difficulté (notamment en français). Or d’années en années, l’on a chaque fois relevé que la proportion d’élèves en difficulté restait légèrement supérieure à celle des enseignants contractuels ce qui appelle au moins deux remarques :
- Soit l’ensemble des enseignants contractuels ne disposent pas du niveau académique et de la formation appropriée pour améliorer les seuils de performance des élèves et dans cette hypothèse il faudrait ajouter une dose limitée d’enseignants titulaires ne remplissant pas également les conditions requises.
- Soit il faudrait convenir que les contreperformances du système éducatif nigérien ne se résument pas aux seules contreperformances des seuls contractuels et qu’un certain niveau plus élargi de partage des responsabilités (plus élevé que dans le premier terme de l’alternative) doive être envisagé entre les deux catégories d’intervenants pédagogiques.
Pour tenter une première réponse à un tel questionnement, il nous faut relever que les deux dernières évaluations conduites par le ministère de l’éducation de base en 2017, portant non pas sur les compétences de élèves, mais plutôt sur celles des enseignants contractuels eux-mêmes permettent une relative approximation. La première évaluation réalisée en juillet 2017 fait ressortir les moyennes suivantes en français et mathématiques pour 56 673 enseignants contractuels évalués :
L’on relève (figure ci-dessous) que plus de 65% des enseignants contractuels n’obtiennent pas la moyenne aux épreuves relatives aux programmes qu’ils sont censés dispenser aux élèves. 29 % ont une note moyenne supérieure à 10 et inférieure à 15/20. Ils ne sont que 4,4% seulement à réaliser un score égal ou supérieur à 15/20.
Lorsque l’on sait que pour dispenser une connaissance quelconque, il faut en maitriser le contenu, l’on peut aisément conclure que seulement 4 ,40% d’enseignants contractuels soit 2458 sur 56 673 disposeraient du niveau minimal requis pour tenir une classe.
En effet, si le rapprochement des résultats des figures 7 et 8 permet de noter que pour les mathématiques, la proportion d’élèves compétents (20% au CP ainsi qu’au CM2 en 2016) est au-dessus de la proportion de celle des contractuels compétents (4%) ce qui pourrait être mis au crédit de l’apport compensatoire des enseignants titulaires, il n’en est pas de même pour le français où l’on relève une parfaite concordance entre proportion de contractuels compétents (4%) et proportion d’élèves compétents dans la même matière (4% au CP et 6% au CM2), comme si pour cette discipline, aucune plus-value pédagogique des enseignants titulaires n’était enregistrée.
L’on peut incliner à penser que les enseignants titulaires éprouvent les mêmes difficultés en français que les contractuels. L’on peut également soumettre l’hypothèse que les contractuels sont si nombreux (80% du corps enseignant) et d’un niveau académique et pédagogique particulièrement faible, qu’ils annihilent les efforts pédagogiques réalisés par les titulaires. Toutefois, seule une évaluation expérimentale comparative, confrontant les performances des deux groupes (titulaires et contractuels) apportera une réponse scientifique à cette interrogation.
Les résultats appellent dans l’urgence l’élaboration et la mise en œuvre d’une véritable politique de formation éducative au Niger. En effet, s’il a fallu moins de deux décennies (2000-2017) pour réduire significativement les niveaux de compétence réalisés au cours de trente premières années de l’indépendance, au point de relever les taux les plus bas jamais enregistrés dans l’histoire éducative du Niger, le plaçant au dernier rang des pays de la CONFEMEN du point de vue de l’efficacité interne de son système éducatif, quelle autre catastrophe pédagogique inventera-t-on à nouveau pour les dix prochaines années, si des mesures correctives, vigoureuses et hardies n’étaient pas élaborées et mises en œuvre ?
A la lumière des éléments relatés, la réponse aux interrogations est toute simple : l’expérience de la contractualisation dans sa forme actuelle est un échec, une tragédie nationale, à la fois pour l’enseignant contractuel, affublé de tous les maux et sobriquets, clochardisé par un faible pouvoir d’achat ainsi que l’absence de perspective d’avenir d’une part, mais également pour les élèves, les parents d’élèves, ainsi que la nation tout entière. Pour répondre aux défis du développement, de la croissance et de l’espérance, il convient de former les ressources humaines compétentes et en quantité, car il y a là le socle premier de toute politique de croissance et d’épanouissement.
Et puisque l’expérience de la contractualisation dans sa forme actuelle constitue un échec indiscutable aux plans économique, social, pédagogique et humain, compromettant le destin de générations entières, dans un monde en globalisation et en compétition, c’est-à- dire en confrontation intellectuelle permanente, elle doit simplement laisser la place à une véritable politique éducative, où le maitre, pilier essentiel de tous les programmes et actions de développement retrouvera sa place, toute sa place dans la société.
Cela suppose une rupture qui mettra l’accent sur le niveau académique au recrutement, la formation pédagogique appropriée, la disponibilité des infrastructures, le statut juridique et social valorisant et sécurisant, la dépolitisation de l’administration et de la fonction enseignante, la dépolitisation de l’école, la justice et l’équité salariale, toutes choses qui font de l’enseignement, la fonction noble par excellence, épine dorsale de toute politique de développement et de promotion de l’Humain.
Les deux principaux facteurs expliquant ces faibles performances sont particulièrement susceptibles d’être négativement impactés par la pandémie de COVID-19 :
– Le temps scolaire : chaque année, un tiers des heures prévues au programme n’est pas délivré soit deux années d’enseignement perdues au primaire. Pour cette année, il faudra y ajouter deux mois de fermeture des écoles soit plus de 200 heures d’enseignement.
- La faible professionnalisation des enseignants: le renforcement des compétences professionnelles des enseignants est particulièrement impacté par la pandémie puisque beaucoup de formations n’ont pas pu être organisées jusqu’à présent suite à l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes. Il faudra donc pouvoir rattraper ces formations, dans le respect des mesures sanitaires en place, pendant l’été afin de préparer dans les meilleures conditions la rentrée scolaire 2020-21.
Le système éducatif nigérien produit donc encore trop d’échecs et peine à limiter les risques d’exclusion. Les difficultés sont d’autant plus grandes que les facteurs de vulnérabilité sont multiples notamment du point de vue de l’insécurité alimentaire , des conditions climatiques (inondations) et des conditions sécuritaires qui se sont dégradées ces dernières années.
Les principaux indicateurs sanitaires du Niger traduisent la vulnérabilité du système de santé du pays :
– La mortalité infantile et infanto-juvénile reste importante : respectivement 48 pour 1 000 et 95 pour 1 000 en 2019 (contre 81 et 198 pour 1 000 en 2006) ;
– Le taux de mortalité maternelle est élevé avec 520 décès pour 100 000 naissances vivantes19 ;
– Plus d’un enfant sur trois souffre de malnutrition chronique ;
– Le taux de couverture sanitaire au niveau national est passé de 47,48% en 2011 à 48,47% en 2015. 51,53% de la population doit parcourir plus de cinq kilomètres avant d’accéder à des services de santé de base ;
– Le Global Health Security Index de 201920 classe le pays à la 132ème place (sur 195).
Plus de 3,7 millions d’élèves (tous niveaux confondus25) et plus de 80 000 enseignants sont impactés par la fermeture des établissements. Cette fermeture a un effet particulièrement négatif pour les publics les plus fragiles en particulier les enfants vivant en zone rurale et les filles (dont la charge domestique peut être augmentée).
La crise occasionnée par la pandémie de COVID-19 aura nécessairement des répliques, qu’il s’agisse de répliques sanitaires (nécessitant de fermer de nouveau les écoles), économiques (avec des effets potentiels sur le budget national dédié à l’éducation) ou sociales (avec une baisse des revenus des familles rendant plus élevé le coût d’opportunité de l’éducation et augmentant la prévalence du travail des enfants)
Ces élèves sont en effet plus susceptibles de quitter définitivement le système éducatif au fur et à mesure que dure l’arrêt des cours, d’autant que la mise en œuvre des mesures habituelles de soutien à la scolarisation (programmes d’alimentation scolaire, programmes de protection, voire bourses scolaire) est fortement perturbée par les conséquences de la pandémie. Ces enfants sont également ceux disposant d’un accès limité aux opportunités d’apprentissage hors de l’école au sein de leur famille et de leurs communautés.
Par ailleurs, le manque de préparation et d’expérience des établissements, des enseignants et des parents, en matière d’enseignement à distance et de soutien scolaire à domicile26 accroît encore le risque de décrochage, tout comme l’inégal accès aux technologies de l’information et de la communication.
La crise occasionnée par la pandémie de COVID-19 aura nécessairement des répliques, qu’il s’agisse de répliques sanitaires (nécessitant de fermer de nouveau les écoles), économiques (avec des effets potentiels sur le budget national dédié à l’éducation) ou sociales (avec une baisse des revenus des familles rendant plus élevé le coût d’opportunité de l’éducation et augmentant la prévalence du travail des enfants).
La capacité qu’aura le système éducatif nigérien à tirer rapidement les leçons des impacts de cette crise pour orienter sa transition est donc un enjeu central pour renforcer sa résilience face aux crises polymorphes que connaît le pays.
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