Auteur : Aissata Assane Igodoe
Site de Publication : OpenEdition Journals
Type de Publication : Extrait de livre
Date de publication : 2018
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Au Niger, durant la mise en œuvre du Plan décennal de développement de l’éducation (PDDE) (2003-2013), les acteurs internationaux ainsi que le gouvernement ont fait de l’expansion de l’offre scolaire une priorité en y accordant d’importants financements).
Le nombre d’écoles a fortement augmenté, conduisant à un accroissement des effectifs enseignants. Dans le même temps, la contractualisation de la fonction enseignante s’est accentuée et la part des femmes au sein du corps enseignant s’est accrue.
Ainsi, entre 2002 et 2016, la part des enseignants contractuels est passée de 51,8 % à 79,4 % et la part des femmes au sein des effectifs enseignants du primaire, de 34,5 % en 2002 à 51 % en 2016.
L’accroissement des effectifs enseignants ne s’est pas fait par l’augmentation des postes titulaires : ce sont principalement des enseignantes contractuelles, au statut plus précaire, qui ont intégré l’enseignement.
Par ailleurs, dans le cadre de notre enquête, nous avons pu constater que, dans le secteur privé, les femmes qui créent des écoles peuvent favoriser le recrutement d’enseignantes et, ainsi, contribuer à accroître la présence féminine au sein de la fonction enseignante. À titre d’illustration, dans une des deux écoles privées enquêtées à Niamey, la fondatrice a privilégié le recrutement d’autres femmes afin d’aider certaines de ses connaissances en leur offrant un travail.
Ainsi, entre 2002 et 2016, la part des enseignants contractuels est passée de 51,8 % à 79,4 % et la part des femmes au sein des effectifs enseignants du primaire, de 34,5 % en 2002 à 51 % en 2016
Cette stratégie pose néanmoins la question de la qualité de l’éducation, cette directrice ayant reconnu que certaines de ses enseignantes ne disposaient pas d’un niveau suffisant (mais en affirmant que des formations leur étaient régulièrement dispensées pour renforcer leurs compétences professionnelles). La massification de l’éducation et l’expansion de l’offre scolaire ont donc constitué des opportunités pour les femmes d’intégrer la fonction enseignante. Cependant, cette féminisation de la fonction enseignante au cycle primaire mérite d’être analysée autrement que sous son seul aspect quantitatif.
Comme le montre Claude Zaidman, l’accroissement du nombre, voire la supériorité numérique, des femmes dans l’enseignement ne s’accompagne pas nécessairement d’une valorisation de leur statut. Par exemple, l’auteure indique qu’en France, l’augmentation du nombre des étudiantes à l’université « cache la ségrégation de fait des femmes dans les filières spécifiques en termes de spécialité et non plus de niveaux ». Les femmes sont majoritaires dans les filières littéraires mais minoritaires dans les filières scientifiques.
Au Niger, la féminisation du corps enseignant s’est effectuée « par le bas ». Les femmes sont peu nombreuses à parvenir en haut de la hiérarchie enseignante dans le secteur public. Elles sont minoritaires parmi les directeurs d’école tandis qu’elles sont surreprésentées dans les fonctions précaires, notamment parmi les enseignants suppléants.
De plus, la sous-représentation des femmes aux fonctions de directeurs d’écoles (directeur déchargé de cours et directeur ayant une classe) est particulièrement accentuée en milieu rural. Par exemple, dans la région de Dosso, les femmes ne représentaient que 21,6 % des directeurs déchargés de classes, contre 45,6 % à Niamey.
La situation des enseignantes du cycle primaire se caractérise également par leur surreprésentation en milieu urbain. Ainsi en 2014, dans la région urbaine de Niamey, l’enseignement était une profession largement féminisée, avec 75,9 % de femmes parmi les enseignants, tandis que dans la région rurale de Dosso, elles n’en représentaient que 45,6 %. L’inégal déploiement des enseignantes n’est pas seulement appréciable entre les régions mais également au sein des régions.
Par exemple, dans la région de Dosso, les femmes représentaient 73 % des effectifs enseignants en ville, tandis qu’elles ne représentaient que 38,4 % des enseignants en zone rurale. Une circulaire de 1981, montre que cette surreprésentation des enseignantes en milieu urbain au Niger est notamment liée aux affectations des femmes mariées vers la ville, cette pratique remontant, comme le montre Barthélémy (2010), à la période coloniale.
Pour justifier le faible niveau de certaines enseignantes, certains directeurs mettent en cause les modalités de leur recrutement, lorsque celui-ci ne s’est pas effectué sur la base des compétences professionnelles de la candidate, mais parce que celle-ci a su mobiliser ses réseaux sociaux
Certes, dans les villages de la région de Dosso, nous avons rencontré quelques enseignantes qui étaient mariées et géographiquement éloignées de leur conjoint. Nous nous sommes ainsi entretenue avec une enseignante de Cour d’Initiation (première classe du primaire) qui enseigne depuis deux ans dans un village de la région de Dosso et qui s’est mariée l’année précédant notre enquête avec une personne qui travaille en ville. Mais cette enseignante nous a fait part de ses intentions de mobilité : « Moi, mon mari est à Dosso, donc là, j’essaie de me faire affecter là-bas. J’ai déjà demandé, j’espère que je l’aurai».
Un premier aspect des attentes de l’administration à l’égard des enseignantes concerne leurs compétences professionnelles. Pour valoriser l’utilité de l’école à travers l’image de l’enseignante, les agents de l’administration soulignent l’importance du niveau des enseignantes. Dans un des villages de notre enquête dans lequel la scolarisation des filles est particulièrement faible, un agent de l’administration (occupant le poste de point focal SCOFI) nous explique :
« Il y a un problème de niveau, certains parents disent qu’ils sont découragés d’envoyer leurs enfants, y compris les filles parce que les enseignants n’ont pas le niveau ».
Pour justifier le faible niveau de certaines enseignantes, certains directeurs mettent en cause les modalités de leur recrutement, lorsque celui-ci ne s’est pas effectué sur la base des compétences professionnelles de la candidate, mais parce que celle-ci a su mobiliser ses réseaux sociaux.
Pour que les enseignantes deviennent des exemples, il faut qu’elles s’intègrent dans la communauté
Ainsi, dans deux écoles rurales dans lesquelles nous nous sommes rendue, les directeurs ont indiqué la présence d’enseignantes qu’ils nommaient « les intouchables », en soulignant qu’elles ne disposaient pas d’un niveau suffisant pour enseigner mais qu’elles ont été recrutées grâce aux relations dont elles disposaient au sein de l’administration.
Dans les villages où la scolarisation des filles est jugée difficile, des actions sont mises en place par les organismes internationaux, en concertation avec le ministère chargé de l’enseignement primaire, pour valoriser le métier d’enseignante. Ainsi, dans une des écoles rurales que nous avons visitées à Dosso, un organisme international a construit des logements spécifiquement destinés aux enseignantes à proximité de l’école. Comme l’indique le directeur de l’établissement :
« Il s’agit aussi de donner une bonne image des enseignantes, pour montrer aux parents que les enseignantes vivent dans de bonnes conditions et les avantages qu’il y a à être enseignante. Et peut-être ils vont laisser leurs filles aller à l’école pour qu’elles deviennent enseignantes elles aussi ».
De fait, dans les milieux ruraux, où les enseignantes doivent résider dans le village dans lequel elles sont affectées, la valorisation des conditions matérielles d’existence de l’enseignante passe par la mise en avant de bonnes conditions d’habitation.
Les attentes des directeurs d’école sur la compétence professionnelle des enseignantes ainsi que les actions mises en place pour valoriser leurs conditions d’existence montrent que le rôle de modèle que les enseignantes sont appelées à endosser se traduit par une valorisation du métier. Dans les milieux ruraux, ce premier volet de l’identité par autrui des enseignantes s’accompagne d’injonctions sociales, jugées nécessaires à l’adhésion des parents ruraux à la scolarisation des filles.
« Pour que les enseignantes deviennent des exemples, il faut qu’elles s’intègrent dans la communauté. Pour créer du lien, il faut déjà que les femmes acceptent de rester au village, la plupart d’entre elles rentrent chez elles le soir. Certes, elles y sont mariées et parfois il y a des problèmes de logement, mais pour s’intégrer dans la communauté, il faut vivre avec elle aussi. La plupart des enseignantes ne font même pas l’effort et ne cherchent pas à s’intégrer».
Le rôle de modèle est particulièrement important pour l’image que les enseignantes vont renvoyer aux mères de famille
La résidence effective des enseignantes dans les villages est donc jugée nécessaire à leur intégration au sein des communautés et à l’adhésion des parents à la scolarisation des filles. Par ailleurs, les agents de l’administration (occupants également le poste de point focal SCOFI) demandent aux enseignantes de développer de bonnes relations avec les mères de famille, en s’impliquant par exemple dans les associations des mères éducatrices :
« Nous, on attend des enseignantes qu’elles s’impliquent plus auprès des mères de famille, mais certaines enseignantes ne veulent pas le faire. On aimerait qu’elles maintiennent le contact avec les mères pour les sensibiliser. C’est comme ça que la scolarisation des filles va progresser».
L’accent mis sur la relation « enseignante-mère », dans les propos de cette interlocutrice, révèle que l’administration cible particulièrement les mères dans les actions qui concernent la scolarisation des filles. De plus, dans le cadre de leur intégration, les enseignantes sont tenues d’adopter un comportement social jugé exemplaire.
Comme le souligne un autre agent de l’administration (occupant le poste de point focal SCOFI) : « […] tous les comportements des enseignantes auront un impact sur les mères de famille ». Le rôle de modèle est particulièrement important pour l’image que les enseignantes vont renvoyer aux mères de famille, et cela justifie, aux yeux de ces agents, les injonctions morales et sociales qui leur sont faites. Comme nous l’explique un directeur d’école :
« Une enseignante qui se comporte mal et qui reçoit son petit copain pendant plusieurs jours, alors qu’il n’y a aucun lien de mariage entre eux, quelle mère va laisser venir sa fille dans la classe de cette femme ? Tout ça, ce sont des choses de la culture que les parents regardent aussi».
Les enseignantes sont ainsi soumises à des normes comportementales informelles. Par exemple, elles sont tenues de se conformer aux règles qui régissent les relations et les hiérarchies sociales en fonction du sexe et de l’âge, comme le révèlent les propos de ce directeur d’école : « Vous savez, lorsque les enseignantes arrivent dans un village, elles doivent se conformer à la culture des habitants, elles ne doivent pas se mettre devant».
En dépit de la position sociale que leur confère leur fonction d’enseignante représentant la « femme instruite » et en dépit du pouvoir symbolique que cela peut conférer dans des communautés rurales où les femmes sont majoritairement non instruites, l’intégration sociale des enseignantes se manifeste par un devoir de discrétion et de réserve.
Les enseignantes urbaines et les enseignantes rurales que nous avons rencontrées se différencient les unes des autres principalement en termes d’expérience et d’image sociale, et les représentations qu’elles portent sur leur profession se distinguent en fonction de leur profil sociodémographique. La plupart des enseignantes que nous avons rencontrées dans les écoles de la ville de Niamey étaient des enseignantes titulaires, souvent âgées de plus de 30 ans, mariées et installées avec leur famille (conjoint et enfants) en ville depuis plusieurs années.
Ces enseignantes urbaines ont une représentation positive de leur emploi, elles trouvent une satisfaction dans l’exercice même de leur métier et se reconnaissent dans leur rôle d’éducatrice d’enfants. En ville, il semble que le statut marital des enseignantes soit un critère important dans leur rapport au métier. Certaines enseignantes urbaines mariées ont souligné que leur emploi, proche du domicile familial, est conciliable avec leur vie personnelle. Une de ces enseignantes urbaines, âgée de 36 ans, rencontrée dans une école publique de Niamey, nous indique :
« Ce que j’aime dans l’enseignement, c’est que je peux faire bénéficier mes enfants de ma condition d’enseignante, parce que je les aide à faire leurs devoirs».
Investie dans son rôle de mère, cette enseignante montre ainsi que ses compétences professionnelles constituent une ressource supplémentaire lui permettant de mieux éduquer ses enfants.
La faible adhésion des parents ruraux à l’école en général et à la scolarisation des filles en particulier a été soulignée par les enseignantes comme une difficulté spécifique au milieu rural
À l’inverse, la majorité des enseignantes que nous avons rencontrées dans les villages de Dosso sont des enseignantes contractuelles ayant souvent moins de cinq ans d’expérience dans l’enseignement, la plupart âgées de moins de 30 ans, et célibataires. Ces jeunes institutrices rurales ont eu leur première expérience professionnelle dans l’enseignement soit dans l’école du village dans lequel nous les avons rencontrées, soit dans l’école d’un autre village de la région. Aussi, les enseignantes rurales avancent d’autres arguments dans l’intérêt qu’elles portent à leur métier et témoignent d’un rapport plus individualisé à leur emploi : « Moi, je suis contente de travailler parce que ça me permet d’avoir un emploi, d’avoir un salaire» nous explique cette enseignante de 24 ans.
La perception que les enseignantes ont de l’enseignement comme un métier difficile résulte aussi des rapports spécifiques qu’elles peuvent entretenir avec les communautés rurales dans lesquelles elles sont affectées. La faible adhésion des parents ruraux à l’école en général et à la scolarisation des filles en particulier a été soulignée par les enseignantes comme une difficulté spécifique au milieu rural.
Ainsi, une enseignante de Cour Préparatoire (deuxième classe du primaire) de 23 ans, qui travaille depuis quatre ans en milieu rural, nous confie : « La scolarisation des filles, le vrai problème, c’est que les parents n’aiment pas l’école, donc ils n’envoient pas leurs filles à l’école».
Ces propos révèlent le regard porté par ces jeunes femmes instruites sur les communautés rurales, desquelles elles sont parfois issues mais dont elles ne comprennent pas ou plus les « légitimités». De plus, le refus de l’instruction des filles manifesté par certains parents ruraux concerne spécifiquement les enseignantes. Il traduit d’une certaine manière un rejet du modèle de la « femme instruite » que les enseignantes incarnent.
Dans deux villages de la région de Dosso dans lesquels nous avons mené les enquêtes, certains parents d’élèves ont exprimé de manière explicite ce rejet des enseignantes. Aussi bien des pères que des mères de famille ont indiqué qu’ils préféraient que ce soit des hommes qui enseignent à leurs enfants, filles ou garçons, car ils les jugent plus présents, plus responsables et meilleurs encadrants. Les enseignantes sont perçues par plusieurs parents ruraux comme étant moins compétentes et plus souvent absentes que leurs pairs masculins.
Certains parents ont même indiqué que l’enseignement était une activité incompatible avec le rôle social des femmes, qui leur impose d’être présentes dans leur foyer. Comme l’exprime ce père de famille :
« Je préfère les enseignants hommes pour les enfants parce que les femmes ne s’occupent pas bien des enfants. Et puis, pour une femme, si elle a une famille, elle doit s’en occuper, donc c’est compliqué d’avoir un travail».
Les enseignantes sont perçues par plusieurs parents ruraux comme étant moins compétentes et plus souvent absentes que leurs pairs masculins
Au début de l’année scolaire 2017-2018, en raison d’un surplus d’enseignants dans les zones urbaines et d’une pénurie d’enseignants dans certaines zones rurales, le ministère de l’enseignement primaire du Niger a procédé à un redéploiement des enseignants urbains vers les localités rurales. Les femmes, qui représentent une très forte majorité des enseignants en milieu urbain, sont tout particulièrement concernées par cette mesure.
Cependant, soutenues par les syndicats des enseignants du cycle primaire et par l’Association Islamique du Niger (AIN), les enseignantes ont contesté leur affectation dans les zones rurales car cela les éloignerait de leur famille.
L’augmentation du nombre de femmes au sein des effectifs enseignants implique que la gestion du personnel enseignant ne peut se faire sans prendre en compte les contraintes spécifiques de ces dernières, et en particulier leurs statuts d’épouse et de mère de famille.
Mais plus globalement, la crise subséquente à ce programme de redéploiement des enseignantes dit quelque chose sur l’évolution de la place des femmes dans le système éducatif.
Par leur nombre croissant et leurs stratégies de mobilisation collective, les enseignantes tendent à s’ériger en actrices majeures de la gestion de l’école et de l’élaboration des réformes éducatives.
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