Auteur : Idayat Hassan
Organisation affiliée : Institute for Democracy and Electoral Assistance
Type de Publication : Analyse
Date de publication : Février 2016
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Des élections générales sont prévues pour le 21 février 2016 au Niger, ce qui marque un tournant décisif dans l’histoire du pays qui a été confronté à des années d’instabilité gouvernementale depuis l’accession à l’indépendance en 1960. A la suite du dernier dialogue national qui a permis d’installer un nouveau gouvernement en 1993, le Niger a connu une alternance de régimes démocratiques et militaires. Il y a eu trois coups d’état effectifs et, dernièrement, une tentative alléguée de coup en décembre 2015, assertion toutefois rejetée par une bonne partie de l’opposition au motif que ce serait une manœuvre du régime en place pour se maintenir au pouvoir et justifier la répression des opposants.
Depuis l’indépendance en 1960, le Niger est pris dans l’engrenage des crises politiques, sociales et économiques. Bien qu’il dispose de ressources naturelles appréciables – dont les plus grands gisements d’uranium en Afrique – son économie demeure tributaire de l’agriculture et de l’aide extérieure. Sur le plan sécuritaire, la situation est précaire ; les Nigériens étant actuellement en proie aux répercussions de la crise provoquée par Boko Haram au Nigéria et des crises en cours dans le nord du Mali et en Libye. Outre les incursions de Boko Haram au Niger, qui se sont soldées par des pertes de vies et de biens, les réfugiés nigérians installés dans le sud du Niger par suite des exactions de Boko Haram grèvent les maigres ressources du pays.
En avril 2015, le gouvernement nigérien a constitué un nouvel organe de gestion des élections (OGE), la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et nommé Boubé Ibrahim ainsi que Kadri Oumarou Sanda en qualité respectivement de président et de premier vice-président. La CENI est chargée de l’organisation, la supervision des élections et de la proclamation des résultats provisoires.
Une fois installée, la commission a publié son calendrier électoral pour les postes à pourvoir dans le cadre du scrutin présidentiel, des élections législatives et municipales. Le premier tour du scrutin présidentiel et des élections législatives aura lieu le 21 février 2016, et le second tour éventuel du scrutin présidentiel, le 20 mars 2016. Ils seront suivis des élections locales prévues pour le 9 mai 2016.
La Cour constitutionnelle est chargée de valider les candidatures aux élections et d’en proclamer les résultats définitifs après vérification et rectifications éventuelles. La Cour constitutionnelle du Niger a, depuis lors, donné son « feu vert » à 15 des 16 candidats à l’élection présidentielle du 21 février. On notera parmi ces postulants Hama Amadou, candidat du Mouvement démocratique nigérien (MODEN) en détention.
Abdoul-Karim Bakasso est le seul des 16 candidats retenus au départ qui ait été déclaré inéligible pour défaut de certificat médical valide. Figurent en tête du peloton des prétendants à la magistrature suprême le Président Issoufou, élu en 2011 ; Seini Oumarou, chef de l’opposition ; et Hama Amadou, ancien président de l’Assemblée nationale, qui est actuellement en prison pour trafic de bébés.
Le fichier électoral a suscité des controverses dans un premier temps, amenant les partis d’opposition à demander un contrôle de ces listes. L’audit conjoint proposé par le gouvernement a été rejeté par les caciques de l’opposition et, suite à l’exigence d’un arbitre impartial, la CENI a décidé d’inviter l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à s’assurer de la validité du fichier et du processus électoral. C’est ainsi que l’OIF a recommandé la suppression d’environ 300 bureaux de vote « fantômes » et de 25 000 noms d’électeurs pour double comptage. Il a été procédé aux rectifications nécessaires et le fichier est désormais réputé valide et fiable pour les élections à venir.
Il est fort probable, par ailleurs, qu’une bonne partie des électeurs boudent les urnes. Le Niger compte plus de 70 pour cent (Care2 2013) d’analphabètes, ce qui nécessite une vaste campagne d’information de cette population avant le scrutin. Le problème des inscriptions sur les listes électorales et les difficultés à distribuer les cartes d’électeur font aussi obstacle à la participation au scrutin – la distribution de ces cartes aura lieu du 21 janvier au 20 février 2016 (CENI 2016). Bon ombre d’électeurs ne disposent pas non plus des pièces justificatives essentielles, comme la carte nationale d’identité ou le bulletin de naissance, pour assurer leur participation au processus électoral, autant de facteurs qui vont se répercuter sur le taux de participation.
Le fichier électoral a suscité des controverses dans un premier temps, amenant les partis d’opposition à demander un contrôle de ces listes
Cette coalition, dénommée Front patriotique républicain (FPR), regroupe une trentaine de partis politiques, des organisations de la société civile et des syndicats. Les ténors de cette coalition sont notamment l’ex-Président du Parlement, Hama Amadou, l’ex-Premier Ministre Seyni Oumarou et l’ancien Président Mahamane Ousmane.
Quinze partis d’opposition s’étaient déjà coalisés aussi en octobre 2013 sous la houlette de l’Alliance pour la république, la démocratie et la réconciliation au Niger (ARDR). Contre toute attente, l’opposition a formé des coalitions sans présenter aucun candidat à l’élection présidentielle. En lieu et place, les ténors des coalitions, notamment Oumarou, Amadou et autres, briguent chacun la présidence. En cas de second tour, on verra bien les alliances qui vont se former éventuellement.
La répression de l’opposition se poursuit : depuis octobre 2015, d’autres opposants politiques ainsi que des journalistes ont été arrêtés. Le 26 décembre de la même année, Oumarou Dogari, ancien maire de Niamey, a été appréhendé pour la deuxième fois depuis juillet 2014. Durant cette même période, quatre parents de Hama Amadou ont subi le même sort. Aucun motif justifiant ces arrestations n’a été fourni par les autorités. Ibrahim Hamidou a été également arrêté le 19 décembre 2015 pour avoir remis en question le prétendu complot contre l’État lors d’un débat télévisé (Radio France Internationale 2016).
Il est toutefois sorti par la suite du gouvernement d’union nationale pour rejoindre les rangs de l’opposition. Les tensions électorales auraient été provoquées par sa déclaration de 2013 annonçant son intention de briguer la présidence. En 2014, Hama Amadou a fui pour se réfugier en France à la suite des allégations l’impliquant dans un réseau de trafic de bébés basé au Nigéria. Son épouse et 29 autres personnes ont été accusées de trafic de nouveau-nés du Nigéria à vendre à des familles nanties du Niger. Amadou, invoquant une chasse aux sorcières politique, est rentré au pays le 14 novembre 2015 pour briguer la présidence.
Le Niger a souffert de sa tradition du coup d’état et a subi trois autres putschs « officiels » depuis son retour au régime démocratique en 1993. Cependant, en prélude aux prochaines élections, le Président Issoufou a fait état, en décembre 2015, d’une tentative de coup avortée : « le gouvernement vient de déjouer une infâme tentative de déstabilisation, … l’objectif de ces individus, mus par je ne sais quoi, était de renverser le gouvernement démocratiquement élu » (The Guardian 2015).
Les jeunes sont également des acteurs clés du processus électoral et ont participé activement aux débats tenus dans les médias sociaux. Une de leurs organisations, la Jeunesse Lumana de Niamey
Plusieurs militaires et civils ont été arrêtés à la suite de cette tentative de putsch. Quatre des officiers de l’armée arrêtés pour complot en vue de perpétrer ce coup d’État seraient passés aux aveux, selon Mahamdaou Karidjo, ministre de la Défense (Associated Press 2016).
Le coup d’État avorté défraie la chronique dans le pays. Pour une bonne partie de l’opinion, ce n’est qu’une rumeur à balayer, l’opposition considérant, pour sa part, qu’il s’agit simplement d’une nouvelle manœuvre du Président Issoufou visant à la museler. Amadou Boubacar Cissé, candidat à l’élection présidentielle de février, a déclaré que le Président n’avait fourni aucune preuve du prétendu coup (Al Jazeera 2016), accusant, par ailleurs, le gouvernement de tentative d’influer sur le climat politique en prévision du scrutin.
Les jeunes sont également des acteurs clés du processus électoral et ont participé activement aux débats tenus dans les médias sociaux. Une de leurs organisations, la Jeunesse Lumana de Niamey, a fait une déclaration dénonçant la situation politique qui prévaut dans le pays et condamnant en particulier la détention de membres de l’opposition (dont Hama Amadou). Elle a également appelé l’opposition à s’unir pour évincer le régime en place (Tamtam Info 2016).
L’organe de la société civile chargé d’observer les élections, à savoir la Coordination exécutive nationale de l’Observatoire du processus électoral (OPELE), présidée par Ali Idrissa, vétéran du militantisme, œuvre actuellement à la promotion d’élections libres, équitables et crédibles.
La CEDEAO a également envoyé des missions d’observation électorale à long terme dans le pays ainsi que des émissaires. Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs membres du personnel de la CEDEAO sur place ont déclaré, lors d’interviews, que les partis politiques étaient en train de négocier discrètement un pacte de paix en vue d’assurer la paix pendant et après les élections
A l’issue d’une réunion extraordinaire tenue à Niamey le 25 janvier 2016 – pour remédier à la tension qui règne dans l’arène politique nigérienne, y compris les campagnes haineuses continues et l’éventuelle exclusion d’un million et demi d’électeurs du scrutin – l’OPELE a condamné le non-respect des lois électorales par les partis politiques, s’agissant notamment des campagnes et propagandes électorales (OPELE 2016). Il a également invité instamment les citoyens à retirer leur carte d’électeur.
La CEDEAO a également envoyé des missions d’observation électorale à long terme dans le pays ainsi que des émissaires. Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs membres du personnel de la CEDEAO sur place ont déclaré, lors d’interviews, que les partis politiques étaient en train de négocier discrètement un pacte de paix en vue d’assurer la paix pendant et après les élections. La CEDEAO prévoit aussi de dépêcher des missions plus courtes pour observer le scrutin.
La tension demeure vive au Niger à l’approche des élections. Le gouvernement du Président Issoufou a été décrié pour son autoritarisme à l’égard de l’opposition, ainsi que pour cause de corruption et son incapacité à gérer de manière satisfaisante le problème de l’insécurité qui sévit dans le pays.
L’opposition s’est coalisée sous la houlette du FPR en vue e détrôner Issoufou et le PNDS, mais il reste encore 15 candidats à la présidence laissant apparaître une scission au sein de l’opposition. Le Président Issoufou demeure le favori, bien qu’un second tour soit fort probable. Le mouvement insurrectionnel Boko Haram jouera un rôle non négligeable dans ces élections, car les circonstances laissent penser qu’il va influer sur le déroulement du scrutin et qu’il pourrait éventuellement le perturber en menant une attaque le jour même.
Le rejet des résultats électoraux par les partis de l’opposition est à craindre encore fortement, notamment dans ce contexte de manipulation de l’opinion par le parti au pouvoir et l’incapacité de résoudre le problème des électeurs contestés au nombre d’un million et demi. Ces problèmes donnent à penser encore plus que la légitimité des résultats va être remise en question. Il est impératif que la CEDEAO et d’autres partenaires interviennent immédiatement pour parer à une répétition de l’issue des élections 2011, résultats qui avaient déclenché un tollé dans les rangs de l’opposition.
En dépit de ces problèmes que pose la gestion des élections, la probabilité d’un coup d’État est très faible. La ferme réaction de la CEDEAO et de l’Union africaine à tout changement inconstitutionnel de régime à travers l’Afrique a manifestement rendu les coups d’état irréalisables. La récente réaction du peuple et d’autres acteurs devant l’impasse créée par le putsch manqué au Burkina Faso est un autre exemple probant du rejet catégorique de l’accession au pouvoir par voie inconstitutionnelle.
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