Auteur : Cabinet du Premier ministre de la République du Niger, Cellule d’analyse des politiques publiques et d’évaluation de l’action gouvernementale
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2018
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Effets de l’environnement sur les aspirations des jeunes
L’environnement socioculturel et économique dans lequel le jeune évolue détermine sa façon de rêver et de se projeter dans l’avenir. Le poids des normes traditionnelles et des règles sociales agit ainsi différemment chez lui selon le milieu considéré. Les résultats de l’étude ont abouti à la conclusion qu’au Niger, les façons de faire et de penser de la société ou certaines règles de vie empêchent au jeune de s’exprimer et de se réaliser. Cet environnement, à travers ses valeurs et règles de vie, exerce un certain contrôle sur le jeune et structure ainsi la trajectoire de celui-ci. Mais dès lors que le poids des pesanteurs socioculturelles sur le jeune commence à se déliter, les dynamiques de jeunesses qui se dessinent ont des perceptions de réalisation de soi très nuancées d’une localité à une autre.
Au Niger, les façons de faire et de penser de la société ou certaines règles de vie empêchent au jeune de s’exprimer et de se réaliser
Le poids des normes et pesanteurs socioculturelles contraignent les jeunes à être sélectifs sur beaucoup de métiers jugés ‘‘tabous’’ ou ‘‘dévalorisants’’ par la société. En effet, dans les contrées où les rapports sociaux sont fortement hiérarchisés, le poids des pesanteurs culturelles impose aux jeunes un regard très sélectif sur les types de métiers à exercer selon la classe sociale d’appartenance du jeune. La catégorisation des métiers découle dans certains cas d’une organisation sociale qui fait que certains métiers sont réservés à des groupes spécifiques. La forte présence de jeunes allochtones par rapport aux autochtones autour de certains métiers est justifiée par cet état de fait. Ainsi, à Tillabéry, Dosso, Agadez ou Diffa, le regard de la société empêche aux jeunes d’exercer localement certains métiers : boucherie, ‘‘wanzami’’, bucheron, gardiennage. etc. Dans ces communautés, l’on nait forgeron ou boucher mais l’on ne le devient pas.
Face aux contraintes socioculturelles, les jeunes ont développé plusieurs alternatives afin de se réaliser. Le sentiment des normes contraignantes chez les jeunes crée un effet d’émulation qui se manifeste par le besoin de s’affranchir pour pouvoir réussir. Cette catégorie de jeunes se donne les moyens de se libérer et de tracer leur propre trajectoire de réussite soit en faisant fi du regard de la société, soit en s’y éloignant à travers l’émigration et/ou l’exode. A Diffa par exemple, certains jeunes commencent à pratiquer certains métiers dits dévalorisants car le contexte sécuritaire a réduit leurs opportunités. A Niamey ou à Maradi, le ressenti des tabous sociaux est moins pesant, ce qui permet à beaucoup de jeunes de pratiquer les métiers rejetés dans d’autres communautés. D’autres jeunes par contre voient en l’émigration et l’exode rural, des réponses alternatives aux interdits sociaux.
D’autres jeunes par contre voient en l’émigration et l’exode rural, des réponses alternatives aux interdits sociaux
Comparativement au jeune homme, les attentes sociales sont énormes chez la jeune femme qui reste fortement assujettie aux normes. L’image que doit renvoyer la jeune fille à sa société en termes de réputation contraint celle-ci à ne s’engager dans une activité économique qu’avec le consentement de son époux, aussi constructive soit l’activité. Ainsi, si pour le jeune homme, s’affranchir des normes peut être synonyme de réussite, pour la jeune femme, cela conduit plutôt à la stigmatisation de cette dernière dans sa société. Il se dresse ainsi le constat que les mêmes chances de rêver ne sont pas données aux jeunes femmes comparativement aux jeunes hommes. Même si les stéréotypes de genre sont moins solides dans les milieux atomisés, beaucoup de jeunes femmes restent indifférentes face aux contraintes imposées par les normes. Pourtant, celles qui arrivent à déconstruire ces idées préconçues et à s’affranchir constituent généralement les modèles de réussite.
Relation du jeune avec l’Etat
La perception du jeune de sa relation avec l’État se décline sous deux aspects : soit parce que l’État est perçu comme absent, soit quand il est présent, ses interventions semblent freiner la réalisation des aspirations du jeune. Au Niger, la perception que le jeune a de l’État est un facteur important de développement qui n’est pas souvent pris en compte dans les politiques publiques de développement. En effet, l’État à travers ses interventions peut sembler invisible dans le regard du jeune si ce dernier n’a pas connaissance de ses actions qui structurent les dynamiques positives observées à travers les démembrements de l’administration. Dans d’autres cas, le jeune peut ressentir la présence de l’État comme une contrainte ou juger ce dernier comme défaillant dans ses rôles régaliens de garant de l’équité sociale.
L’État à travers ses interventions peut sembler invisible dans le regard du jeune si ce dernier n’a pas connaissance de ses actions
Lorsque les jeunes assument la présence de l’État, beaucoup la perçoivent comme très prescriptive et coercitive. Il s’agit entre autres des mesures restrictives dans le cadre de l’état d’urgence notamment à Diffa et Ayorou, de l’opération de déguerpissement des boutiques à Niamey et de la lutte contre l’immigration irrégulière à Agadez. Les jeunes de Diffa expliquent que les mesures de l’état d’urgence ont stoppé les principales activités économiques exercées principalement par les jeunes. L’interdiction d’exploitation des terres dans la zone du lac Tchad, la restriction de mouvements aux premières heures de la soirée, l’interdiction totale de circulation des cyclomoteurs ont réduit les voies et les chances des jeunes à pouvoir atteindre leurs aspirations.
Le sentiment des jeunes est que l’État est défaillant dans sa capacité à garantir l’équité et la justice sociale. Ce ressentiment des jeunes découle de certaines décisions ou mesures qui sont perçues comme source d’inégalités et d’iniquités engendrant la frustration chez le jeune. A Tillabéry, les jeunes décrient les mesures de protection excessive à l’égard des hippopotames. Ils trouvent injustes que ces animaux qui détruisent leurs champs, leurs pièges à poissons ou qui perpétuent souvent des attaques meurtrières sans que les jeunes ne puissent se faire justice ou avoir justice ou être dédommagés. Ailleurs, c’est surtout le soutien et l’accompagnement que l’État apporte aux réfugiés des camps de déplacés qui est perçu par les jeunes comme une iniquité. Les jeunes ont le sentiment d’être marginalisés du fait que les réfugiés reçoivent de l’aide humanitaire (distribution de vivres, produits non alimentaires, etc.). Ils estiment que les réfugiés des camps de déplacés sont assez bien soutenus et accompagnés par l’État tandis que les communautés autochtones qui accueillent ces derniers végètent dans une relative précarité. En réaction à cette inégalité, certains n’ont trouvé d’autres moyens que de se proclamer comme des réfugiés, juste pour bénéficier des vivres. De même, à Niamey, les jeunes se sentent oppressés par l’État du fait de la politisation de l’administration et des injustices qu’elle draine (elle n’offre pas les mêmes chances et les mêmes opportunités), ce qui ne facilite pas leur émergence et les maintient dans la précarité.
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