Auteur : Amnesty International
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2017
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Une promesse de démocratie et de liberté
Trois mois plus tard, le 4 mars 1991, le président Déby a présenté, dans son discours d’investiture, un plan d’action de 30 mois pour l’entrée du Tchad dans l’ère démocratique, qui prévoyait l’organisation d’une conférence nationale souveraine en mai 1992.
Cette conférence, qui a réuni des représentants du gouvernement, des partis politiques et des organisations non gouvernementales, a abouti à la mise en place d’organes de transition composés notamment de membres de l’opposition et de la société civile.
Elle a débouché sur un référendum en mars 1996 et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Or, après près de 27 ans passés par le président Déby au pouvoir, les violations des droits humains se sont accrues et le gouvernement ainsi que les forces de sécurité résistent toujours à la pression en faveur du respect et de l’application des traités internationaux et régionaux de défense des droits humains que le Tchad a pourtant ratifiés et qui sont, pour la plupart, inscrits dans la Constitution du pays.
Pour bon nombre de défenseurs des droits humains du Tchad, la période 2006-2008 marque le début de l’intensification des violations des droits humains, les autorités ont commencé à invoquer les menaces contre la sécurité nationale pour justifier leur répression.
En avril 2006, lorsqu’une coalition de groupes d’opposition armés dénommée le Front uni pour le changement (FUC) a mené une attaque avortée visant N’Djamena, les autorités ont répondu par l’arrestation et le maintien en détention secrète d’au moins 12 civils et 14 militaires.
À la suite d’une autre attaque perpétrée en février 2008 par une coalition de groupes d’opposition armés contre la capitale, au moins 380 personnes ont été arrêtées et mises en détention, dont les chefs de l’opposition Lol Mahamat Choua et Ngarlejy Yorongar.
Pour bon nombre de défenseurs des droits humains du Tchad, la période 2006-2008 marque le début de l’intensification des violations des droits humains, les autorités ont commencé à invoquer les menaces contre la sécurité nationale pour justifier leur répression
Le responsable de l’opposition Ibni Oumar Mahamat Saleh a subi une disparition forcée et on ignore toujours où il se trouve. Au cours de cette période, le discours du président Déby s’est durci. En décembre 2007, il a déclaré publiquement que « trop de liberté tue la liberté. Trop de liberté amène le désordre.
Plus récemment, en mai 2013, les indices d’une présumée tentative de coup d’État ont entrainé l’arrestation et le placement en détention d’au moins 21 personnes, dont des membres de l’Assemblée nationale tchadienne, des journalistes, un professeur d’université et un groupe de jeunes hommes.
Ces deux dernières années, les menaces pesant sur la sécurité, la contestation politique lors de l’élection présidentielle de 2016 et les mécontentements engendrés par la crise économique que traverse actuellement le pays ont donné lieu à une nouvelle vague de répression, décrite dans le présent rapport.
Interdiction des manifestations pacifiques
La Constitution tchadienne établit que les « libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, de presse, d’association, de réunion, de circulation, de manifestations et de cortèges sont garanties à tous ». Or, les autorités tchadiennes ont eu recours, à de multiples reprises, à un arsenal archaïque de textes législatifs et réglementaires datant des années 1960 pour justifier légalement la répression des voix contestataires, y compris en interdisant ou en refusant d’autoriser des réunions pacifiques.
Les autorités tchadiennes ont régulièrement invoqué l’ordonnance nº 45/62, relative aux réunions publiques, et le décret nº 193/620, portant réglementation des manifestations sur la voie publique, pour interdire des manifestations pacifiques.
Sur la seule année 2016, 13 décrets ministériels ont été délivrés pour interdire des manifestations pacifiques. À ce nombre s’ajoutent une douzaine d’interdictions orales de manifestations, annoncées par de simples déclarations dans les médias par le ministre de la Sécurité publique et de l’Immigration ou par des autorités administratives
L’ordonnance prévoit que « les réunions publiques ne peuvent avoir lieu sans autorisation préalable » et le décret stipule que tous cortèges, défilés, sorties et, d’une manière générale, toutes manifestations sur la voie publique sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable et à l’obtention d’une autorisation, sauf les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux.
En imposant l’obligation de déclarer toute réunion publique au chef-lieu de préfecture ou de la sous-préfecture au moins cinq jours avant sa tenue, avant que le ministre de l’Intérieur ne prenne la décision finale de l’autoriser ou de l’interdire, le décret rend illégal tout rassemblement spontané.
Sur la seule année 2016, 13 décrets ministériels ont été délivrés pour interdire des manifestations pacifiques. À ce nombre s’ajoutent une douzaine d’interdictions orales de manifestations, annoncées par de simples déclarations dans les médias par le ministre de la Sécurité publique et de l’Immigration ou par des autorités administratives.
Le 19 mars 2016, par exemple, le ministre de la Sécurité publique et de l’Immigration a ordonné une interdiction générale pour 20 jours de toutes les manifestations n’entrant pas dans le cadre de la campagne présidentielle.
En outre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), tous deux ratifiés par le Tchad, décrivent les moyens très restreints de limiter ce droit. La Constitution tchadienne autorise des restrictions fondées sur « le respect des libertés et des droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarder l’ordre public et les bonnes mœurs. »
Compte tenu des antécédents en matière d’interdiction des réunions, les associations ont de plus en plus souvent décidé d’organiser des manifestations pacifiques sans notifier les autorités ni leur demander d’autorisation préalable.
Dans la plupart des cas, elles ont communiqué leurs projets uniquement par l’intermédiaire de conférences de presse, de déclarations publiques ou des réseaux sociaux. Conformém Conformément aux traités internationaux ratifiés par le Tchad, elles devraient pouvoir procéder de la sorte sans que la manifestation ne soit pour autant rendue illégale. Or, dans de tels cas, les autorités ont eu un recours excessif à la force pour disperser les manifestations pacifiques et interpeller les manifestants, à grand renfort de coups, de gaz lacrymogène et, parfois, de balles réelles.
Répression des manifestations demandant « justice pour zouhoura », février 2016
En février 2016, les autorités ont interdit et réprimé une vague de manifestations qui a embrasé le pays après le viol par cinq hommes d’une jeune fille de 16 ans, Zahara Mahamat Yosko, surnommée Zouhoura, puis la diffusion sur internet d’une vidéo montrant Zouhoura nue et en pleurs.
A travers l’ensemble du pays, des dizaines de manifestants ont été arrêtés, beaucoup d’entre eux blessés et au moins deux jeunes hommes tués. À la suite de la diffusion de la vidéo, des associations de femmes et de jeunes ont exhorté les Tchadiens à descendre dans la rue, le 15 février 2016, pour exiger que justice soit rendue à Zouhoura.
Le jour de la manifestation, des centaines de personnes se sont rassemblées devant le domicile de Zouhoura, à N’Djamena, pour manifester pacifiquement. Lorsqu’elles ont décidé de défiler dans le centre-ville, la police les a arrêtées à l’aide de gaz lacrymogène et d’armes à feu. Plusieurs manifestants ont été blessés et un jeune homme de 17 ans, Abachou Hassan Ousmane, a été abattu.
Infractions à l’ordre public
Le plus souvent, les autorités ont utilisé les dispositions de l’ordonnance nº 46/62 relative aux attroupements68 et le décret nº 193/62 portant réglementation des manifestations sur la voie publique69 pour retenir plusieurs charges, dont « trouble à l’ordre public » et « incitation et/ou participation à un rassemblement non armé ».
L’article 126 du Code pénal prévoit également que « toute provocation directe à un attroupement non armé sera punie de trois (3) mois à un (1) an d’emprisonnement si elle a troublé l’ordre public et, dans le cas contraire, d’un emprisonnement de un (1) à six (6) mois ».70 Lorsqu’une manifestation transgresse une interdiction préalable édictée par le ministre de la Sécurité publique et de l’Immigration – au moyen d’un décret ministériel ou d’une simple déclaration orale –, la charge de « désobéissance à un ordre légitime » peut être ajoutée à la liste de celles retenues contre les manifestants interpellés.
Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.