Auteur : Patrick Arnold Ombiono Kitoto
Date de publication : 2016
Type de publication : Article
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Manifestations du réchauffement climatique dans la région du lac Tchad
Selon le rapport du GIEC de 2007, sur les douze années allant de 1995 à 2006, onze figurent parmi les années les plus chaudes depuis 1850. Parallèlement, la température de la Terre a augmenté de 0,75°C entre 1976 et 2006. Les effets de ce réchauffement ne se feront donc pas seulement sentir dans le futur. Actuellement, des évènements extrêmes comme les tempêtes, les inondations, les sécheresses et les canicules deviennent plus intenses et plus fréquents, touchant d’abord les régions déjà vulnérables.
La région a connu ainsi une aggravation de la variabilité climatique
Dans la région du lac Tchad, ce réchauffement a provoqué de longues périodes de sécheresse, avec pour conséquences des effets néfastes sur le cycle hydrologique, l’environnement et les activités socioéconomiques. La région a connu ainsi une aggravation de la variabilité climatique, qui s’est manifestée en particulier par une modification du régime des précipitations et par une augmentation de la température à la surface de la Terre. Les précipitations ont considérablement baissé dans la région, passant de 800 millimètres en moyenne par an dans les années 1970, à moins de 400 millimètres aujourd’hui.
Cette baisse a entraîné la diminution de 75 % du débit des eaux fluviales (les rivières Chari et Logone) qui alimentent le lac Tchad. Selon les observations faites sur le climat dans cette région, il s’avère que les températures ont évolué plus rapidement que la tendance mondiale, avec des augmentations allant de 0,2°C à 0,8°C par décennie depuis la fin des années 1970 dans les zones sahélo-saharienne, sahélienne et soudanienne. Ces augmentations de température ont eu pour effet d’accélérer l’évaporation des eaux du lac de l’ordre de 2 500 à 3 000 millimètres par an.
Les conséquences du réchauffement climatique dans la région du lac Tchad
La principale conséquence du réchauffement climatique dans la région est liée à l’assèchement du lac Tchad. En effet, au paléolithique, le lac Tchad mesurait environ 315 000 km2 de superficie et atteignait 160 mètres de profondeur. Aujourd’hui, il est considéré comme faisant partie des actifs naturels les plus menacés. En effet, son rythme de rétrécissement s’est considérablement accru au cours des cinq dernières décennies. En plus des statistiques indiquées supra, des relevés cartographiques de l’Agence spatiale américaine (NASA) en 2001, corroborés par des images satellitaires, confirment cet état de fait.
Bien que certains avis scientifiques contestent le rôle du réchauffement climatique dans le processus du retrait du lac Tchad, nous pensons que la faible pluviométrie et la hausse des températures ont conjugué leurs effets pour influencer directement et sévèrement les fluctuations naturelles de cet actif naturel. En effet, les périodes de sécheresse des années 1970-1980 qu’a connues le sahel marquent le début d’un rétrécissement de sa superficie. Toutefois, ces facteurs ne sauraient à eux seuls expliquer l’ampleur du phénomène.
La vulnérabilité du lac Tchad est renforcée comme nous le constaterons plus loin, par des facteurs non climatiques, résultant des réponses paysannes, apportées à la recrudescence, ces dernières années, de phénomènes climatiques extrêmes : sécheresse, ensablement des terres, érosion des sols, etc., aux conséquences extrêmement dévastatrices, et de nature à compromettre les efforts de développement des populations pauvres.
Les populations locales ont déployé des stratégies pour assurer leur autosuffisance alimentaire
D’autres conséquences du réchauffement climatique sont également observées et se font ressentir essentiellement sur les plans économique et environnemental. Sur le plan environnemental, outre l’assèchement du lac Tchad, il est également constaté une dégradation des forêts, une salinisation progressive des sols et des nappes phréatiques, l’accentuation de l’ensablement qui a entraîné une réduction des terres de culture et une baisse de leur fertilité.
Sur le plan économique, il est observé une baisse de 60 % de la production halieutique induite par le retrait du lac Tchad, la dégradation des terres et pâturages entraînant une baisse des capacités de production agricole de la région, des disponibilités en fourrage (de l’ordre de 46,5 % dans certaines zones en 2006) et une réduction du cheptel et de la biodiversité.
Face au rétrécissement du lac Tchad et à la détérioration des conditions agroclimatiques, les populations locales ont déployé des stratégies pour assurer leur autosuffisance alimentaire. La migration vers les rives et les îles apparues après le retrait du lac Tchad peut s’appréhender comme l’une d’entre elles.
Migrations climatiques : source de pressions sur les ressources du lac Tchad
Les dernières décennies ont profondément renouvelé les conditions de peuplement et les systèmes agricoles sur les rives du lac Tchad. Des berges et des îles, autrefois désertes, voient leur densité démographique augmenter pour atteindre localement 60 habitants au km². Les principaux facteurs de polarisation des migrants dans ces lieux résident dans la richesse de l’écosystème et la disponibilité en eau. En vue de garantir la survie de leur famille, les migrants développent des activités qui accroissent les pressions sur le lac Tchad et son environnement, notamment sur les ressources en eau, les terres inondables, les pâturages, les poissons et autres espèces animales déjà menacées.
La pêche, qui constituait autrefois l’activité la plus attractive, fait face aujourd’hui à d’énormes difficultés. Les espèces de poisson se raréfient et certaines finissent même par disparaître. L’évolution de ce nouveau contexte écologique entraîne une modification des techniques de pêche qui affecte de manière significative les ressources en poisson tant en termes d’espèces que de quantités pêchées. Cependant, avec l’assèchement continu des eaux du lac, certains pêcheurs ont choisi de diversifier leurs activités et se reconvertissent de plus en plus dans d’autres secteurs, notamment agricoles ou pastoraux.
En vue de garantir la survie de leur famille, les migrants développent des activités qui accroissent les pressions sur le lac Tchad et son environnement
L’agriculture devient de plus en plus importante dans la région, à l’instar des superficies des terres cultivées, qui ont connu une extension de l’ordre de 250 %, passant de 2 800 000 hectares en 1993 à plus de 7 000 000 d’hectares actuellement. L’explication est simple, avec la croissance démographique et l’apparition de terres fertiles apparues après le retrait du lac Tchad, chaque paysan cherche à s’approprier le plus de terre possible en prévision d’un éventuel manque de place.
Quant à l’élevage, ce secteur constitue la deuxième activité à connaître un développement inégalé ces dernières années. Avec la dégradation du couvert végétal, les éleveurs deviennent de plus en plus mobiles, à la recherche des pâturages de meilleure qualité sur les berges du lac Tchad. La faune n’est pas épargnée et ne cesse de subir de graves atteintes dues à la pression des hommes et particulièrement au braconnage. Des espèces, comme le lion ou le rhinocéros ont complètement disparu, alors que d’autres, comme l’hippopotame et l’éléphant sont menacées de disparition.
Cependant, ces différentes activités humaines menées dans la région ne sont pas, a priori, coordonnées pour maîtriser les impacts écologiques sur le lac Tchad. Elles sont le plus souvent exercées de façon individuelle sur le territoire, entraînant ainsi le dilemme de « la tragédie de l’accès libre » qui ouvre la porte à des comportements de « passager clandestin ». Chaque individu ayant un intérêt personnel à utiliser les ressources du bassin lacustre de façon à maximiser son usage individuel. Cela génère in fine une série d’actions humaines qui dégradent l’espace naturel.
On estime aujourd’hui à plus de 20 % la part des détournements d’eau dans la réduction de la superficie du lac
Parmi ces actions figure premièrement la déforestation, qui apparaît comme l’activité humaine la plus dévastatrice, car elle laisse le lac Tchad sans ressource contre les vents et les intempéries. Ce phénomène connaît deux causes majeures : la coupe abusive de bois pour la production d’énergie et le défrichement de nouvelles parcelles pour l’agriculture. Ensuite vient l’irrigation, qui a été introduite dans la région pour conjurer les effets de la sécheresse.
Cette activité se révèle consommatrice d’eau, parce qu’elle nécessite des procédés peu rationnels. Les prélèvements d’eau auraient été multipliés par quatre entre 1983 et 1994, causant la moitié de la diminution du lac Tchad constatée. Enfin, certains aménagements et barrages réalisés dans le bassin par les États riverains ont eu des effets écologiques locaux significatifs.
En effet, on estime aujourd’hui à plus de 20 % la part des détournements d’eau dans la réduction de la superficie du lac, alors qu’elle ne s’élevait qu’à 5 % avant 1983. Ces actions humaines illustrent bien le paradoxe selon lequel, lorsqu’une ressource est en accès libre, des stratégies individuelles rationnelles conduisent à des résultats collectifs irrationnels.
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