Auteur : Alfred Ramadji
Organisation affiliée : Science politique. Université de Bordeaux
Type de publication : Article scientifique
Date de publication : 2015
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Première partie
En ce qui concerne l’étude des partis africains, l’intérêt d’une telle démarche scientifique consiste à donner une certaine valeur heuristique aux travaux. Pour ce faire, il faudrait confronter les modèles généraux à l’effectivité des réalités sur le terrain. Ce procédé offre l’avantage d’appréhender l’objet à partir des concepts et des modèles qui laissent toute leur place aux spécificités des contextes africains.
Cette démarche développée par plusieurs théoriciens tels que Lapalombara, D-L Seiler, Serge Bernstein et autres postule qu’un parti ne nait pas fortuitement, de la décision de ses créateurs, mais qu’il n’a de chance de survie que s’il répond d’une manière ou d’une autre à un problème fondamental posé à la société contemporaine et qui fait qu’il y a adéquation entre l’image qu’il donne de lui-même et les aspirations les plus profondes d’une partie importante de la population qui accepte, comme solution aux problèmes qu’elle perçoit, la médiation politique qu’il lui propose
Il est sans doute utile de rappeler que ces penseurs n’ont pas spécifiquement réfléchi sur les partis africains. Mais il est possible de faire appel à leurs analyses, en tout autre sens, pour poser la question du parti en Afrique à partir de leurs réflexions.
En clair, il s’agit ici d’étudier le parti politique tchadien comme une institution dans le sens que Maurice Hauriou donne à cette notion, c’est-à-dire « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures».
Notre étude part du constat que trente ans avant l’avènement de la démocratie en 1990, l’État tchadien a vécu entre guerres tribales, conflits armés et coups d’État à répétition perpétrés par différentes factions rebelles. En considérant ces conditions historiques et sociopolitiques, nous nous interrogeons sur les facteurs d’éclosion des organisations partisanes.
Le postulat que nous défendons dans les lignes qui suivent est que les identités ethno-régionales constituent une variable déterminante dans la formation des groupements politiques au Tchad
La question est donc de savoir comment ces conflits ont-ils été agrégés dans des organisations politiques partisanes qui les ont traduits dans la lutte politique ? En clair, en proposant d’examiner les facteurs sociaux globaux qui ont conduit à l’émergence de l’antagonisme partisan, nous voulons parvenir à lasuggestion d’une grille d’explication ; celle qui convient le mieux possible à globalement saisir le parti tchadien. Comment ont émergé les organisations partisanes au Tchad, et sous quels prismes peut-on les appréhender ? C’est à cette question principale que l’exploration de l’univers partisan tchadien va nous conduire à répondre dans cette partie.
Le postulat que nous défendons dans les lignes qui suivent est que les identités ethno-régionales constituent une variable déterminante dans la formation des groupements politiques au Tchad.
De ce point de vue, le parti tchadien apparaît donc à la base comme une entreprise politique essentiellement identitaire, qui ne se donne mieux à voir qu’à travers une analyse sociologique des facteurs historiques et sociopolitiques qui ont permis son éclosion. Car les logiques de mobilisation sont à rechercher ailleurs que véritablement sur le terrain des idées politiques. Aussi, pour être précise et cohérente, l’étude d’un parti tchadien nécessite d’être complétée par une analyse de la trajectoire de son leader, puisqu’en tant qu’entreprises politiques identitaires, les partis tchadiens opèrent suivant la logique entrepreneuriale des « politiciens investisseurs » qui les dirigent.
- CHAPITRE I : L’ÉMERGENCE DES PARTIS TCHADIENS
De prime abord, il faut noter que la plupart des partis politiques qui ont vu le jour au début des années 1990, ont été fondés en principe, d’une part, contre un certain ordre sociopolitique vieux de trente ans, et qui était fait de dictatures militaires et de coups d’État à souhait.
D’autre part, leur émergence visait à réclamer une certaine existence, synonyme d’affirmation. Ainsi, dès leur origine les partis tchadiens émergent dans l’antagonisme, à la fois pour se positionner, pour s’affirmer ou pour exister. Leur création obéissait déjà à une prise de position qui est certes individuelle à chacun d’eux, mais qui est aussi un principe déterminant qui les fonde tous.
Mais alors, qu’est ce qui a favorisé leur apparition sur la scène politique, et qui les a désormais consacrés comme les principaux agents du processus démocratique ? Avant d’examiner les différents facteurs d’émergence des partis politiques tchadiens, il nous semble important de rappeler un contexte historique utile à la compréhension des faits politiques de la période de notre étude. Plusieurs études historiques ont montré qu’au Tchad, l’expérience politique partisane a commencé bien avant 1990.
Premièrement, le parti politique suscitait de la méfiance, parce qu’il serait un vecteur de perturbation de l’ordre séculaire des notables. Deuxièmement, le parti serait potentiellement synonyme de la division de la société. Enfin, il imposerait la domination d’une minorité de politiciens professionnels au détriment de la majorité
En effet, à l’instar des autres colonies françaises d’Afrique noire60, le Tchad a connu une vie politique multipartite avant 1960, pour malheureusement s’éteindre deux ans plutard après son accession à la souveraineté internationale61. C’est à partir de 1962, lorsque François Tombalbaye, le tout premier Président du Tchad indépendant, abolît le multipartisme et érigea son parti – le PPT-RDA (Parti Progressiste Tchadien – section locale du Rassemblement Démocratique Africain) – comme parti d’État, que le Tchad commença à sombrer dans un système monopartite.
Il faut dire qu’à cette époque-là, le Tchad n’a pas fait exception à cette pratique tout à fait commune à plusieurs États africains, qui a consisté à généraliser les partis uniques. Dans son ouvrage publié en 2006, Mamoudou Gazibo a rappelé le contexte d’après les indépendances où le parti politique était condamné dans une sorte de procès d’intention. La raison de cette condamnation, ou du moins le prétexte, était basée essentiellement sur trois motifs.
Premièrement, le parti politique suscitait de la méfiance, parce qu’il serait un vecteur de perturbation de l’ordre séculaire des notables. Deuxièmement, le parti serait potentiellement synonyme de la division de la société. Enfin, il imposerait la domination d’une minorité de politiciens professionnels au détriment de la majorité.
C’est l’époque où, selon Gazibo, les dirigeants africains justifiaient « leur pure volonté de concentrer le pouvoir » par une sorte de bienveillante motivation à créer la nation, et à mobiliser les citoyens pour son développement.
Ils ont ainsi réussi à masquer par ces discours leur méfiance et leur hostilité au multipartisme, et à consacrer de facto dans tous ces nouveaux États le monopartisme. Mais, contrairement à certains de ces États qui ont réussi à préserver une certaine stabilité de leurs régimes, le Tchad basculera très vite dans des révoltes et des rebellions qui vont le déstabiliser pendant plus de trois décennies.
Par rébellions interposées et à travers des coups d’États militaires à répétition, des régimes de dictature vont se succéder au pouvoir, produisant ainsi une violence politique accrue et des guerres civiles.
Or, (et c’est l’un des 52 points que nous allons développer plus tard), premièrement ces révoltes et ces rébellions s’expliquent en partie par le fait d’avoir supprimé le multipartisme ; et deuxièmement, les guerres civiles et les conflits armés ont été des facteurs d’exacerbation et de cristallisation des sentiments identitaires qui aboutiront à des regroupements politiques. Avant d’y revenir un peu plus loin, intéressons-nous à l’examen des facteurs d’émergence – sinon de réémergence – des partis tchadiens dans les années 1990.
La question principale est de savoir à quoi peut être liée l’apparition sur la scène politique tchadienne de ces nouveaux agents qu’on appelle partis politiques ? A priori, c’est un phénomène dont la naissance semble non programmée, car elle est liée à une situation de fait, en l’occurrence le coup d’État militaire de décembre 1990, qui a déclenché ensuite le réveil partisan et tout le processus démocratique.
Mais, il s’agit là que du facteur déclencheur qui a permis globalement l’ouverture démocratique. Une deuxième piste interprétative, étroitement liée à la première, c’est la Conférence nationale souveraine qui a réellement contribué à l’éclosion sur la scène publique des organisations partisanes tchadiennes
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