Auteur : Commission économique pour l’Afrique des Nations unies
Date de publication : 2018
Type de publication : Rapport
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Introduction : le contexte tchadien
Le Tchad jouit actuellement d’une stabilité relative, à l’issue des quatre décennies de conflit armé et de troubles qui ont suivi son indépendance de la France en 1960. Le pays reste vulnérable à divers facteurs. Il doit notamment compter avec un milieu et un climat difficiles, une population majoritairement pauvre et exclue, une économie fragile et tributaire du pétrole, et des conflits frontaliers persistants avec les pays voisins.
Il a un espace démocratique restreint dans lequel le régime au pouvoir depuis plus de 27 ans a utilisé la cooptation et la répression pour mâter les voix dissidentes d’une opposition et d’une société civile déjà affaiblies. Le Tchad a une population jeune et inégalement répartie de 14 millions de personnes dont 44,7 % ont moins de 14 ans et dont l’âge médian est de 17 ans. Entre 2010 et 2015, il a affiché un taux de fécondité élevé de 6,3 naissances par femme, 81 % de sa population vit dans les zones rurales.
La société est composée de divers groupes ethniques sans qu’aucun ne soit majoritaire. Le groupe ethnique sara en constitue 27,7 %, l’arabe 12,3 % ; le mayo-kebbi 11,5 % ; le kanem-bornou 9 %, l’ouaddaï 8,7 %, l’hadjarai 6,7 % ; le tandjile 6,5 %, le gorane 6,3 % ; le fitri-batha 4,7 %, et les autres 6,4 %. À côté du français et de l’arabe qui sont les langues officielles, le pays compte plus de 120 langues et dialectes locaux. Les musulmans, qui constituent 53,1 % de la population, sont majoritairement situés dans la partie nord du pays, tandis que les catholiques, les protestants, les animistes et les autres, qui représentent respectivement 20,1 %, 14,2 %, 7,3 % et 3,1 % de la population, sont principalement situés dans le sud du pays.
Le Tchad est doté d’une variété de ressources naturelles, dont le pétrole, l’uranium, le poisson, l’or, le calcaire, le sable, le gravier et le sel. Il compte trois zones géographiques et climatiques distinctes avec des dynamiques sociales, économiques et politiques propres. La zone nord est une région désertique faiblement peuplée comprenant 47 % de la masse territoriale du pays, où vit 2 % de sa population, et dont le pastoralisme constitue la principale activité économique.
La région du centre, par laquelle passe la bande de terre communément appelée Sahel, abrite une population moins clairsemée qui pratique l’élevage. La région sud, qui couvre 10 % de la superficie du pays, est en revanche densément peuplée, accueillant près de la moitié de la population du pays, sous un climat tropical. C’est aussi, avec ses activités agricoles, la zone la plus économiquement productive des 3,83 % de terres arables que compte le pays.
Le Tchad est continuellement exposé aux vicissitudes des conflits et des insécurités que connaissent ces régions
Le Tchad occupe une position géopolitique stratégique. Il chevauche différentes zones culturelles, religieuses, politiques, économiques et ethniques. Le pays relie l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Ouest, à l’Afrique centrale et au Sahel. Cependant, cette localisation géostratégique signifie aussi que le Tchad est continuellement exposé aux vicissitudes des conflits et des insécurités que connaissent ces régions.
Les communautés frontalières du Tchad sont source d’importantes dynamiques transfrontalières en matière de sécurité, de par les va-et-vient commerciaux et les interactions culturelles qui s’y produisent. Il reste que ces instabilités régionales masquent souvent les causes et les moteurs internes des conflits armés et de l’instabilité au Tchad. La sécurité nationale du pays est par conséquent liée à la dynamique de sécurité de six pays dont la majorité ont connu des conflits et des insécurités majeurs au cours de la dernière décennie.
Il s’agit du sud de la Libye et du Niger au nord, de la République centrafricaine au sud, du Soudan (Darfour) à l’est, et du Nigéria et du Cameroun (Boko Haram) à l’ouest. Le Tchad est donc un pays enclavé entouré de zones géographiques instables qui exacerbent son instabilité interne et sa vulnérabilité économique et sociopolitique.
Conflits et insécurité au Tchad
Au cours des quatre dernières décennies, le Tchad a connu des guerres civiles et des rébellions. Ces conflits présentaient des dimensions internes et externes. Le pays a une longue histoire de coups d’État militaires par lesquels des groupes rebelles armés ont attaqué et, dans certains cas, réussi à renverser les régimes en place. Les insurrections et les rébellions armées tchadiennes impliquaient souvent des groupes armés briguant le pouvoir politique. Les causes internes des conflits au Tchad ont beaucoup à voir avec la lutte pour le pouvoir politique.
La présence de différentes factions dans le paysage politique tchadien a donc abouti à des changements de configurations et d’allégeances politiques. Les différentes parties en conflit sont souvent soutenues par des acteurs externes étatiques ou non, dont la France et des États régionaux. Ainsi la Libye a-t-elle longtemps soutenu divers groupes armés, et annexé la bande d’Azou, dans le cadre de l’ambition expansionnistes du colonel Kadhafi de créer un État islamique plus important au Sahara.
Entre 2005 et 2010, le Tchad et le Soudan ont également été impliqués dans une guerre par procuration, chaque pays soutenant des rebelles opposés à l’autre. Le Tchad et le Soudan ont fini par normaliser leurs relations, mais la crise du Darfour a continué de s’envenimer, suscitant des inquiétudes quant à la réapparition de groupes rebelles.
Les différentes parties en conflit sont souvent soutenues par des acteurs externes étatiques ou non, dont la France et des États régionaux
Les groupes extrémistes violents, en particulier Boko Haram et ses agissements insurrectionnels dans le bassin du lac Tchad, ont constitué la plus grande menace pour la stabilité du Tchad au cours des cinq dernières années. Entre 2006 et 2015, il y a eu 763 décès liés au terrorisme dans le pays. En termes relatifs, les groupes extrémistes violents sont relativement nouveaux au Tchad et dans ses préoccupations sécuritaires.
L’insurrection de Boko Haram en particulier trouve ses racines dans les problèmes structurels du Nigéria, plus précisément dans le mélange complexe de mauvaise gouvernance, de pauvreté, de privations socioéconomiques, de corruption et de chômage à grande échelle des jeunes. En janvier 2015, le Gouvernement tchadien a décidé d’unir ses forces avec le Nigéria, le Niger et le Cameroun au sein de la Force multinationale mixte (FMM) pour faire barrage à l’expansion régionale de l’insurrection de Boko Haram.
La décision du Tchad était motivée par les inquiétudes que l’insurrection ne perturbe son commerce régional avec le Nigéria et le Cameroun. La participation du Tchad à la FMM a exposé le pays, son territoire et ses citoyens aux actions terroristes, Boko Haram ayant menacé d’y mener des attaques pour forcer le Gouvernement à revenir sur sa décision. Le groupe a perpétré son premier attentat terroriste sur sol tchadien le 12 février 2015, à Ngouboua, sur les rives du lac Tchad. Il a mené d’autres attaques au Tchad tout au long de la même année, tuant plusieurs centaines de civils et de soldats.
Il a également enlevé des civils. Au total, ces faits ont coûté la vie à 568 personnes, dont 41 le 10 octobre, à Baga Sola, par suite de cinq attentats suicides à la bombe contre un marché aux poissons et un camp de réfugiés. C’est en effet en 2015 que les attaques de Boko Haram se sont avérées les plus meurtrières, avec une moyenne de 11,2 morts par attaque.
Cette même année, avec 9,4 morts par attaque, le Tchad s’est classé deuxième parmi les pays du monde, après le Niger, pour le pouvoir meurtrier des attaques terroriste commises sur son sol. En 2016 cependant, le pays a essuyé moins d’attaques de Boko Haram que ses voisins, en grande partie en raison de ses succès militaires contre le groupe et d’une plus faible influence sociétale de celui-ci en territoire tchadien.
Le Gouvernement a fermé sa frontière septentrionale avec la Libye afin de contrôler l’entrée d’armes et d’empêcher la déstabilisation du nord du pays
Même si Boko Haram a perpétré deux attentats à la bombe à N’Djamena en juin 2015, la région du Lac est restée la principale cible de ses attaques terroristes et de sa campagne de recrutement au Tchad. Le groupe s’est réfugié dans le Lac pour échapper aux ripostes accrues des armées nationales. Il n’a pas d’assise sociale solide dans le pays, bien que certains de ses dirigeants en soient originaires. Comme on pouvait s’y attendre, un nombre moins élevé de Tchadiens ont rejoint l’organisation terroriste en 2016. Il y a une dimension ethnique au recrutement des Tchadiens dans les rangs de Boko Haram, les recrues provenant apparemment du groupe ethnique buduma implanté dans la région du lac Tchad.
Le Tchad est également préoccupé par les activités de l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) dans le sud de la Libye, et par la possibilité que celui-ci ne fasse la jonction avec Boko Haram en territoire tchadien. En conséquence, le Gouvernement a fermé sa frontière septentrionale avec la Libye afin de contrôler l’entrée d’armes et d’empêcher la déstabilisation du nord du pays par des groupes armés.
Dimensions régionales et transnationales des conflits et de l’insécurité au Tchad
Le Tchad est entouré et est à l’intersection de plusieurs pays et régions instables et en proie à des conflits, avec tout ce que cela implique pour la sécurité tchadienne. Le pays est entouré de cinq pays touchés par des conflits. Au nord se trouvent les groupes extrémistes et les éléments insurgés et criminels du Niger et du sud de la Libye. Au sud se trouvent les groupes rebelles armés de la République centrafricaine.
À l’est sévit la crise du Darfour et à l’ouest (du côté du bassin du lac Tchad) pèse la menace de Boko Haram liée au Nigéria et au Cameroun. Ces derniers temps, les conséquences sécuritaires de la chute de Kadhafi en Libye et de l’insurrection de Boko Haram au Tchad ont mis en danger la stabilité du pays. La décision du Président Déby d’intervenir à l’appui du Nigéria et du Cameroun dans leur riposte contre Boko Haram a servi de justification à ce groupe pour déclencher des attentats terroristes en territoire tchadien.
La chute du régime de Kadhafi a facilité l’émergence de groupes criminels et armés dans le sud de la Libye. Cette région a en outre servi de refuge aux groupes rebelles du Tchad, et des réseaux criminels sud-libyens auraient fourni des armes à Boko Haram en territoire tchadien. Ces conflits ont des retombées régionales qui touchent le pays, notamment du fait du déplacement de milliers de personnes et de leur afflux au Tchad. L’instabilité transfrontalière a également perturbé les activités économiques et de subsistance des populations des zones frontalières. La porosité des frontières entre le Tchad et les pays voisins a facilité les conflits et l’insécurité.
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