Auteur : Raphaël D.
Site de publication : Mr Mondialisation
Type de publication : Article
Date de publication : 16 janvier 2021
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A la 7e place des pays les plus peuplés au monde, la population du Nigeria connaît une forte augmentation ces dernières décennies, qui s’accompagne d’une urbanisation galopante. C’est également l’une des régions du globe où les effets du dérèglement climatique se font le plus durement ressentir, avec des sécheresses qui s’intensifient, des précipitations qui chutent et une désertification accentuée des terres. Des phénomènes qui entraînent la raréfaction des terres cultivables.
Un niveau de violence critique
Après une année 2020 qui a battu de nouveaux records de température, les terres disponibles pour l’agriculture et le pâturage, grignotées par le désert et l’urbanisation, sont de plus en plus rares, en particulier dans le nord du pays. Un problème d’autant plus inquiétant que la population bovine – gourmande en eau et en espaces – a également connu une nette augmentation, avec environ 20 millions de têtes de bétail à l’heure actuelle. Si le delta du fleuve Niger entretient une végétation luxuriante au sud, le désert continue d’avancer dans le nord. La plus grande réserve d’eau de la région, le lac Tchad, a perdu 90% de sa superficie depuis les années 1960. En conséquence, 3,8 millions de personnes seraient aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire au Nigeria, selon l’ONG Action contre la Faim.
Ces bouleversements majeurs menacent les moyens de subsistance de millions de paysans et notamment d’éleveurs de bétail nomades, qui se voient contraints de quitter les zones de pâturage traditionnelles pour migrer massivement vers d’autres régions, au sud et au centre du pays. Une pression subie par les agriculteurs sédentaires locaux, qui voient leurs territoires investis par les éleveurs. Cette situation difficile engendre des tensions croissantes entre les deux populations. D’après le Groupe des Nations Unies pour le développement durable (GNUDD), particulièrement actif dans la région, ces conflits ont atteint un niveau de violence critique ces dernières années, faisant autant de victimes que le groupe terroriste de Boko Haram. Le mouvement terroriste profite par ailleurs de l’instabilité de la région pour s’adonner à des raids et des pillages meurtriers, et financerait une partie de ses opérations par l’argent provenant de la vente de bétail volé. Cette évolution confirme nos observations précédentes : le dérèglement climatique favorise le développement des groupes terroristes.
Des mesures gouvernementales inadaptées
La crise climatique demeure le principal facteur de tensions aujourd’hui. « Pendant que je grandissais, j’ai vu des arbres, des forêts, des rivières et des ruisseaux dans la plupart des régions du nord du Nigeria. Les herbes poussaient et c’était plus que suffisant pour le bétail », témoigne ainsi Bala Ardo, l’un des chefs de file des éleveurs de bétail du sud-est du Nigeria, au quotidien britannique The Guardian. « Mais ce n’est plus le cas. La situation a obligé l’éleveur moyen à chercher des pâturages et de l’eau dans des endroits qu’il n’aurait jamais visités par le passé, alors qu’il lutte pour trouver de l’eau potable pour lui-même et sa famille, puis pour ses animaux. »
En réponse à cette problématique, le gouvernement a mis en place un Plan national de transformation du bétail, visant à moderniser le secteur de l’élevage et à lutter contre les pâturages ouverts par une série d’interventions menées dans les prochaines années. Mais cette politique basée sur la privatisation de la terre et les principes du modèle agricole occidental suscite de vives controverses, car il peine à répondre de manière adéquate aux besoins des éleveurs de bétail. Le président Muhammadu Buhari, élu en 2015 et réélu en 2019 sur la promesse de rassembler le peuple nigérian, a également été accusé de favoriser sa propre ethnie, les Fulanis, dont est issue une majorité des éleveurs du nord. Incapables de contrer un changement du climat qui concerne la planète entière, les autorités locales sont acculées à des demi-mesures impopulaires.
Une dimension ethnique aux conflits
Car s’ils s’articulent surtout autour de la question centrale de l’accès aux ressources naturelles, les conflits au Nigeria comportent également une dimension ethnique importante, à laquelle ils sont parfois résumés. Le mode de vie nomade des Fulanis, musulmans, entre en effet en conflit avec celui des fermiers du sud, majoritairement chrétien. Le ressentiment de ces derniers, qui craignent de voir leurs terres leur échapper, se teinte ainsi d’une connotation religieuse. Face à ces tensions pluridimensionnelles, les diverses branches de l’ONU actives sur le terrain s’emploient à encourager la communication entre les parties prenantes.
« Par le dialogue et la formation, nous pouvons réduire la violence et accroître les chances que les communautés travaillent ensemble pour lutter contre le changement climatique », déclare le Dr Zebulon Suifon Takwa, conseiller des Nations Unies pour la paix et le développement au Nigeria. Alors qu’ils tentent également de lutter contre la pandémie de covid-19 qui exacerbent les tensions, les programmes de l’ONU consistent ainsi à promouvoir des solutions qui permettraient aux deux parties d’obtenir les ressources dont elles ont besoin, sans entrer en concurrence l’une avec l’autre. Les éleveurs sont formés à d’autres moyens que le fourrage pour nourrir le bétail, tandis que l’ONU forme les agriculteurs à des techniques agricoles aux rendements plus importants.
Si ces deux programmes de formation devraient contribuer à la création d’un modèle économique qui génère moins de tensions entre agriculteurs et éleveurs, encore faut-il que les nouveaux modes de production mis en avant ne participent pas à l’appauvrissement des sols et au dérèglement climatique lui-même, à l’origine de ces conflits… Entre pandémie, réfugiés climatiques et tensions autour de l’accès aux terres et aux ressources naturelles, les violences meurtrières au Nigeria pourraient constituer un exemple emblématique des conflits qui risquent de se multiplier à l’avenir dans les régions les plus durement touchées par la crise écologique.