Auteur : France Intelligence Artificielle
Site de publication : Vie-publique
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2019
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Une stratégie pour la France en matière d’intelligence artificielle
Au regard du volume croissant d’articles, ouvrages, et vidéos nouveaux, mettant en exergue la révolution impulsée par l’intelligence artificielle (IA), nous pourrions croire qu’il s’agit d’un domaine de recherche tout à fait récent. Il n’est est rien : le concept d’intelligence artificielle date des années 50 et une bonne partie des algorithmes que nous semblons (re)découvrir à l’œuvre aujourd’hui ont en réalité été produits dans les années 80. Ce qui constitue vraiment la révolution que nous connaissons depuis peu est le couplage désormais permis de ces algorithmes avec des données et une capacité de calcul qui n’étaient pas accessibles alors, ouvrant des perspectives dont on ne perçoit pas encore les limites. Avec des puissances de calcul de plus en plus importantes et disponibles à des coûts toujours plus bas, des technologies de traitement des données massives de plus en plus matures, une augmentation des capacités de stockage et un développement continu de nouvelles méthodes algorithmiques comme l’apprentissage profond (deep learning), l’intelligence artificielle connait depuis 5 ans une accélération inédite.
Signe le plus mesurable de cette dynamique, la multiplication du nombre de startups du secteur à l’échelle mondiale et l’explosion des investissements. En 2016, plus de 1600 startups spécialisées en intelligence artificielle étaient recensées dans le monde par la plateforme d’intelligence économique CBInsights. #FranceIA a permis de recenser 270 créations depuis l’an 2000 en France. Depuis 2012, les investissements dans les startups spécialisées en IA ne cessent de croître, passant en 5 ans de 415 millions de dollars à 5 milliards de dollars. Les grandes entreprises du numérique ne sont évidemment pas en reste et procèdent à l’acquisition de nombreuses jeunes entreprises afin de capter les dernières innovations. Il s’agit pour elles de se garantir une maîtrise des avancées technologiques, des nouveaux usages, et des nouveaux modèles économiques induits. Ces acteurs ont bien compris les opportunités de croissance que représente l’IA. Le marché de l’intelligence artificielle pour les applications en entreprise est estimé à plus de 36 milliards de dollars d’ici à 2025 en IA contre 643 millions de dollars en 2016 (source : étude du cabinet d’analyse Tractica, 2017), soit une tendance d’augmentation de plus de 50 % par an. Cumulé avec le marché du data analytics, il est estimé à 70 milliards de dollars en 2021 selon l’étude de la Banque Américaine Merrill Lynch.
Plus généralement, l’impact de l’IA sur l’emploi est une des sources principales d’inquiétude. La plupart des études montrent qu’une proportion significative des emplois actuels pourrait être automatisée à un degré plus ou moins important. Elles illustrent également la difficulté d’établir des prévisions qui fassent consensus et une certaine incertitude quant au nombre et aux types d’emplois qui seront créés. Les experts s’accordent en revanche pour considérer que l’IA va transformer profondément les métiers et les activités dans les années à venir. A titre d’exemple, le cabinet de conseil McKinsey estime que 60 % des emplois actuels comprennent 30 % d’activités automatisables à une échéance de 20 à 40 ans. En conséquence, les experts insistent sur l’importance de couvrir les nouveaux besoins en formation initiale et tout au long de la vie. L’IA suscite donc autant d’espoirs que d’inquiétudes sur les plans technique, économique et social. Elle met en exergue des questions lourdes auxquelles les réponses ne pourront être apportées que dans le cadre d’un débat de société éclairé. C’est précisément à ce titre que le regard porté par la recherche en sciences humaines et sociales sur l’IA constituera un apport essentiel.
Une bonne partie des algorithmes que nous semblons (re)découvrir à l’œuvre aujourd’hui ont en réalité été produits dans les années 80
Plusieurs gouvernements ont récemment porté le sujet de l’IA dans le débat public et lancé de grandes initiatives nationales. La Corée du Sud a ainsi annoncé un plan IA doté de 800 millions d’euros sur 5 ans dans le cadre duquel un centre de recherche national sera créé sous la forme d’un partenariat public-privé. La Chine a communiqué en mai 2016, sur un programme de 3 ans comprenant la construction de plateformes pour l’innovation, l’engagement de projets majeurs dans différents secteurs (électroménager, automobile, robots), l’élaboration de politiques budgétaires de soutien et le développement de coopérations internationales. Dans le cadre de son plan Internet+ un fonds spécifique en IA de 140M€ est mis à disposition de l’Académie des sciences chinoise. Les acteurs du privé tels que Baidu investissent dans des centres de Deep Learning l’équivalent de plusieurs milliards d’euros. Plus récemment, en octobre 2016, le gouvernement américain a rendu publics un rapport de diagnostic des avancées et des possibles applications de l’IA dans plusieurs domaines d’action, et un plan stratégique national de recherche et développement en IA. En décembre 2016, un troisième rapport est publié sur les conséquences économiques de l’IA et de l’automatisation. Au Japon, l’ouverture de deux nouveaux centres de recherche en IA fondamentale et appliquée en 2016, avec des investissements respectifs de 57M€ et 157M€, témoigne de l’intérêt prioritaire du gouvernement japonais. Le Canada a de son côté réussi à attirer l’attention par la qualité de son tissu et de ses recherches appliquées, avec la création du pôle NextIA autour de trois universités piliers et un financement dédié. En février 2016, le Parlement européen a adopté un rapport préconisant de créer au plus vite un cadre juridique européen pour les robots.
État des lieux de l’intelligence artificielle en France
L’intelligence artificielle est en effet un sujet où la recherche est extrêmement fertile en France. Le paysage de la recherche française en IA se caractérise d’une part, par la diversité des thématiques abordées et, d’autre part, par la proximité avec d’autres grands domaines de recherche, en particulier les autres secteurs de l’informatique, les mathématiques, les sciences cognitives et les sciences sociales. On peut ainsi regrouper les sujets de recherche en quelques grands domaines : apprentissage automatique, représentation des connaissances, modélisation des raisonnements, gestion de l’incertitude, satisfaction de contraintes, planification, recherche heuristique, agents autonomes, systèmes multi-agents, web sémantique, traitement automatique des langues, robotique, vision, reconnaissance des formes, modélisation de la cognition, systèmes neuro-informationnels, etc.
La France dispose de chercheurs au meilleur niveau international dans tous les sous-domaines de l’IA. Elle se distingue ainsi des pays dotés d’une recherche de haut niveau mais limitée à certains aspects de l’intelligence artificielle seulement. Notre écosystème de recherche présente cependant quelques fragilités. Tout d’abord, il n’y a pas dans la recherche amont une véritable présence des grands groupes industriels français ; cette recherche reste financée pour l’essentiel par des fonds publics. Par ailleurs, le foisonnement des thématiques d’intelligence artificielle se traduit par un grand nombre de communautés, souvent très autonomes ; ceci est également observé dans tous les pays actifs sur le front de la recherche en intelligence artificielle. Or c’est aux interfaces de ces thématiques et dans l’intégration de techniques qui en sont issues que le potentiel de progrès semble aujourd’hui le plus important.
La France doit saisir dès aujourd’hui les grands enjeux de demain
Le diagnostic effectué dans le cadre de la démarche « France IA » confirme que la France, avec son tissu foisonnant de laboratoires et d’entreprises, au premier rang desquelles les start-ups, dispose de tous les atouts nécessaires pour anticiper et exploiter le potentiel de progrès scientifique, social et économique porté par l’intelligence artificielle. La France doit affirmer une ambition de leadership au niveau européen en matière d’intelligence artificielle et faire de ce leadership un facteur d’attractivité grâce à une meilleure compétitivité de ses entreprises. Cet objectif doit guider l’action des pouvoirs publics comme des acteurs économiques : il s’agit de permettre à la France d’être connue et reconnue comme l’un des pays les plus en pointe en matière d’intelligence artificielle et offrant les meilleures conditions à son développement. Le leadership affiché constitue en effet un facteur important d’attractivité auprès des talents étrangers, mais également de maintien en France, des talents qui y sont formés. La France doit être un choix évident pour tout passionné d’intelligence artificielle, qu’il soit chercheur, investisseur ou créateur d’entreprise.
La France doit mettre en place dans la durée une politique de soutien à la recherche amont en matière d’intelligence artificielle et favoriser le transfert vers l’industrie Les technologies de l’intelligence artificielle sont aujourd’hui encore des technologies jeunes, en devenir. Il est primordial de continuer à irriguer ces technologies par la recherche amont, afin de garantir que le leadership revendiqué par la France puisse être acquis et maintenu dans la durée. L’identification des technologies clés de l’intelligence artificielle et le soutien à leur maîtrise par les laboratoires et les entreprises françaises est donc l’un des enjeux majeurs de ces 10 prochaines années. Au niveau macro, le silotage des thématiques de recherche sous-jacentes à l’IA et le relatif cloisonnement des communautés associées aujourd’hui observés sont préjudiciables. L’organisation de la recherche amont doit à tout prix favoriser les interactions entre ces différents thématiques de l’IA d’une part, et avec des domaines connexes à l’IA d’autre part. C’est en effet précisément aux interfaces internes et externes de l’IA que le potentiel d’innovation est le plus fort.
Exemples : Enjeux pour les secteurs de la relation client, de la finance, du véhicule autonome, de l’éducation numérique, de la santé, de l’énergie, et de la robotique
L’impact de l’intelligence artificielle sur sept segments d’activité a plus particulièrement été étudié dans le cadre de l’initiative France IA : la construction automobile, avec le véhicule autonome, la problématique de la relation client, le secteur de la finance, celui de la santé, des énergies renouvelables, de la robotique et de l’éducation numérique Les enjeux associés au développement du véhicule autonome sont de plusieurs ordres. Ils sont évidemment en premier lieu d’ordre technologique : si la France dispose d’atouts forts portés par ses filières historiques, le développement de véhicules autonomes impose la maîtrise de nombreuses technologies innovantes (détection et suivi des autres usagers, contextualisation, détection signalétique, reconstitution et compréhension de scène, localisation, processus de décision complexe, modification du mode d’interaction avec l’usager, autodiagnostic etc.). Mais surtout, les enjeux sont d’ordres sociétaux et éthiques. D’une part, il est important que l’avènement du véhicule autonome bénéficie à l’ensemble de la société, en permettant de combiner véhicules individuels autonomes et nouveaux services de transport en commun.
D’autre part, il est important de réfléchir aux questions de responsabilité et aux questions éthiques particulièrement dans les conséquences induites par les décisions algorithmiques : itinéraires, priorités de circulation, situations d’évitement, etc. Dans ce secteur, la nécessité d’agir est pressante. Plusieurs partenariats récents entre fournisseurs de technologies, équipementiers et constructeurs mettent en évidence des consolidations rapides, notamment via des acquisitions.
La question se pose différemment s’agissant des professions de la relation client. En effet, l’utilisation d’intelligences artificielles pour conseiller les clients est aujourd’hui devenue, sinon la norme, au moins une réalité. Il est donc absolument indispensable de se poser la question dès aujourd’hui de l’impact sur l’emploi et sur les compétences attendues pour ces nouveaux usages, afin par exemple de privilégier des approches où le robot ne viendrait pas en remplacement d’un conseiller existant mais en complément, laissant le conseiller se focaliser sur les tâches à plus forte valeur ajoutée. La protection des données sur les consommateurs, que seront amenées à traiter les conseillers virtuels, doit également être au cœur des réflexions, tout comme les questions juridiques liées à la nature des conseils prodigués.
Avec une forte culture scientifique et d’ingénierie, la France dispose d’une excellente recherche en robotique. Même si sa filière industrielle est encore en phase d’émergence et de structuration, elle possède des PME très dynamiques (en logistique, médecine, robotique d’intervention, etc.) mais insuffisamment implantées à l’international. Les techniques d’intelligence artificielle de haut niveau sont indispensables au bon fonctionnement des robots, notamment pour la navigation, la reconfiguration automatique ou la reconnaissance de l’environnement. L’intégration de l’intelligence artificielle dans les robots constitue un moyen essentiel pour leur permettre d’acquérir l’autonomie nécessaire à la réalisation des tâches complexes attendues par leurs utilisateurs, d’interagir avec eux et d’apporter une véritable valeur ajoutée par rapport aux solutions non robotiques. Dans ce contexte, l’accès aux données est à nouveau primordial. Afin de ne pas devenir dépendant des acteurs multinationaux maîtrisant les grandes masses de données et de ne pas se laisser distancer dans le domaine de la robotique, il est souhaitable que les acteurs industriels et académiques puissent se fédérer pour alimenter des corpus de données collectés et indexés (images, vidéos, sons, etc.) exploitable par chacun d’entre eux. Par ailleurs, les contraintes réglementaires relatives à l’utilisation des données peuvent constituer un frein au développement des travaux dans le domaine. Il importe donc de pouvoir mettre en place un cadre propice à l’échange de données dans ce domaine. Enfin, il est nécessaire de renforcer l’implication des acteurs dans l’élaboration des normes, en particulier pour les sujets liés à la sécurité.
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