Auteur : David Lamoureux
Publié par: Cairn.info
Type de publication: Article
Date de publication : 2015
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Lagos est la plus peuplée des villes d’Afrique: une gigantesque mégapole qui, à en croire les Nations unies, devrait rejoindre la tête du peloton des plus grandes villes du monde d’ici 2050 [Nations unies, 2014]. Largement méconnue en Europe, l’ancienne capitale du Nigeria se retrouve depuis quelques années sous l’oeil du grand public à travers des travaux spécialisés, des documentaires et des expositions géantes tenues à travers l’Europe. Pourtant, malgré ce regain d’intérêt, la ville reste très largement décrite dans des termes peu valorisants.
Rem Koolhaas, récipiendaire du prix Pritzker en 2000 et professeur d’architecture urbaine à l’université de Harvard, compare son évolution à celle d’une tumeur tandis que le journaliste Robert Kapland écrit Lagos comme une « anarchie » soumise à des forces démographique « divines ». Plus récemment encore, en France, un documentaire grand public présentait Lagos comme un « océan de bidonvilles où règnent gangs armés et groupes mafieux ».
Il est vrai que Lagos est un objet d’étude complexe. Sa superficie est difficilement mesurable tant elle s’étend en dehors de ses frontières administratives, tandis que sa croissance démographique est si rapide qu’elle rend toute mesure presque immédiatement obsolète. Si l’on se base sur les estimations les moins hautes, la population serait passée de 120 000 habitants en 1931 à près de 17 millions aujourd’hui. De plus, l’instabilité de l’État nigérian, l’importance de l’économie informelle, la complexité sociale, ethnique et religieuse de sa population ainsi que l’état désastreux de son patrimoine infrastructurel et architectural ne rendent pas Lagos plus facile d’approche.
Si l’on se base sur les estimations les moins hautes, la population serait passée de 120 000 habitants en 1931 à près de 17 millions aujourd’hui
Pourtant, un portrait à grands traits peut être dressé. Lagos s’organise autour d’une lagune ouverte sur l’Atlantique. L’entrée de la lagune est gardée par l’île de Lagos Island, le coeur historique de la ville, dont la moitié à l’est, l’ancien quartier résidentiel britannique, est connue sous le nom d’Ikoyi. À l’est d’Ikoyi, on trouve sur la côte littorale, reliés par trois ponts, les quartiers de Victoria Island et de Lekki où se mêlent centres d’affaires, hôtels de luxe et résidences huppées. À l’ouest de Lagos Island, sur le continent, se dresse l’immense port d’Apapa, la source historique du développement de Lagos.
Au nord d’Apapa se succèdent les grands quartiers résidentiels Ebute Metta, Surulerae, Yaba, Oshodi-Isolo et Mushin, Somolu, Kosofe, Maryland, le quartier d’Ikeja – véritable « capitale » de l’État de Lagos avec ses administrations et son aéroport international –, Agege et Ojodu. En somme, Lagos a grossièrement la forme d’une botte avec les quartiers huppés et les centres d’affaires à la pointe, le port au talon et les quartiers résidentiels de la ville s’étendant le long de la jambe vers le nord-est, en direction d’Ibadan – une autre ville millionnaire de l’Ouest nigérian – autour de la Lagos-Ibadan Expressway, à travers l’État d’Ogun.
À l’ouest de Lagos Island, sur le continent, se dresse l’immense port d’Apapa, la source historique du développement de Lagos
Trois ponts relient Lagos Island au continent, dont l’impressionnant Third Mainland Bridge, le plus grand pont d’Afrique, en dessous duquel s’étend le gigantesque bidonville flottant de Makoko. Car il existe bien deux Lagos. Une première, « formelle », celle des quartiers reconnus par l’État et reliés aux infrastructures ; et une seconde, « informelle », celle des bidonvilles, des échoppes et des marchés développés en dessous des ponts, le long des routes, des trottoirs et au-delà des frontières administratives.
Lagos au centre de l’histoire contemporaine du Nigeria
Si la place de l’économie informelle et l’instabilité de l’État caractérisent le Nigeria comme un pays « en développement », Lagos est tout sauf une ville récente. En 1851, la localité est conquise par les Britanniques pour mettre fin à son rôle majeur dans la traite négrière. Dix ans plus tard, elle est annexée comme terre de la Couronne et assujettie au contrôle du gouverneur de la Gold Coast, l’actuel Ghana. En 1886, elle devient autonome. Ce nouveau statut reflète en fait une reconnaissance politique de l’importance économique et stratégique grandissante de Lagos.
Le choix de Lagos comme capitale d’un Nigeria indépendant était cependant loin d’être évident. Le decoupage administratif du pays en trois grandes régions (Nord, Est et Ouest) soulève, dès les années 1950, le problème du poids économique de Lagos dans la balance politique
La découverte des propriétés industrielles du palmier à huile, dont le sudouest du pays regorge, propulse son rôle dans le commerce intérieur du Nigeria. En moins d’un demi-siècle cette montée en puissance sera confirmée par ses désignations successives comme capitale d’un nouveau protectorat du Nigeria du Sud (1906), de la colonie et protectorat du Nigeria (1914) et de la République fédérale du Nigeria(1960).
Le choix de Lagos comme capitale d’un Nigeria indépendant était cependant loin d’être évident. Le decoupage administratif du pays en trois grandes régions (Nord, Est et Ouest) soulève, dès les années 1950, le problème du poids économique de Lagos dans la balance politique. Les représentants des régions du Nord et de l’Est souhaitent bénéficier le plus largement possible des revenus du grand port du Sud. Dès la fin des années 1950, l’Action Group (AG), parti majoritaire à l’Ouest, propose la création d’une nouvelle capitale, ce que les Britanniques refusent. La décision prise en 1963 de soumettre Lagos – et ses revenus – à une gestion fédérale sera la source de tensions politiques majeures qui marqueront les années de la Ire République (1960-1966).
En 1967, les militaires arrivés au pouvoir par un coup d’État font de Lagos un État fédéré à part entière, à égalité avec les onze autres créés dans une nouvelle structure fédérale. Il faut attendre la fin de la guerre du Biafra et le boom pétrolier des années 1970 pour que la junte décide en 1976 de relocaliser la capitale à Abuja au milieu du pays. Comme le remarque Fourchard , la manne pétrolière, plutôt que le port, deviant alors la principale source de revenus pour l’État. Il faudra cependant quinze ans pour finaliser la nouvelle capitale Abuja et dix ans de plus pour y transférer tous les ministères.
Lagos comme vitrine du Nigeria
Sur le plan de l’aménagement urbain, la prédominance de Lagos dans l’histoire du Nigeria se reflète aussi par la richesse de son patrimoine architectural. En 1898, la même année qu’une ville comme Glasgow, elle se dote d’un éclairage de rue électrique et, quatre ans plus tard, d’un tramway. Dès 1914, Lagos s’impose comme le terminal ferroviaire et commercial du pays. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la ville dispose d’un système de distribution d’eau et de génération électrique d’exception, d’industries de transformation pour l’huile de palme et le cacao et d’un port dont la qualité lui vaut le surnom de « Liverpool de l’Afrique de l’Ouest ».
La Seconde Guerre mondiale a beaucoup contribué à ce succès. L’Afrique de l’Ouest britannique est moins exposée au conflit mondial que les autres régions de l’Empire et le Nigeria devient vital à l’effort de guerre. De Nouvelles villes minières et agricoles sont créées tandis que les infrastructures de transport sont renforcées.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la ville dispose d’un système de distribution d’eau et de génération électrique d’exception, d’industries de transformation pour l’huile de palme et le cacao et d’un port dont la qualité lui vaut le surnom de « Liverpool de l’Afrique de l’Ouest »
Dans les années 1970, alors que le pays sort de la guerre civile, c’est encore à Lagos que les autorités nigérianes décident de marquer l’optimisme retrouvé en organisant les Jeux africains en 1973 et le second Festival mondial des arts nègres (FESTAC) en 1977. Encore une fois, ces grands événements s’accompagnent d’une politique de développement urbain. Sous l’égide du Grec Doxiadis, l’urbaniste d’Islamabad, le nouveau quartier de Festac Town, à l’ouest d’Apapa, prévu pour 50 000 habitants voit le jour avec 5 000 bâtiments, et une vaste refondation des infrastructures routières de la ville.
Les travaux d’aménagement de Lagos dépassent largement les projets de prestige. Alors que les Britanniques laissent 2880 logements à bas coût aux norms européennes en 1960, ce total dépasse les 200000 dès 1972. En soixante ans, ce sont cinq grands plans urbains qui seront imaginés avec, à la suite des Britanniques, les plans Koenisberg (1967), Doxiadis (1973), Wilbur Smith & Associates avec les Nations unies (1980) et, plus récemment, le projet Megacity (2005).