Auteur : Jean-Marc Segoun
Organisation affiliée : Thinking Africa
Type de publication : Rapport
Date de publication : 06 Juin 2020
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Introduction
La difficulté des sociétés-post conflits à lutter contre l’impunité, et à inculper les bourreaux est un réel défi. De cette réalité deux hypothèses en ressortent. La première hypothèse est que l’impunité est un fait social inhérent à toutes les sociétés en sortie de crise. La seconde hypothèse est le fait que l’ensemble des dysfonctionnements institutionnels et politiques sont des structures d’opportunités politiques, des expressions du manque de volonté gouvernementale à apporter une solution durable à une crise. Au regard des expériences des Commissions Vérités Réconciliations au Liberia et en la Sierra-Leone nous, essaierons d’établir la nature des réalités post-conflictuelles.
L’EXPÉRIENCE DE LA RÉCONCILIATION EN SIERRA LEONE
La Sierra-Leone après avoir connu plusieurs cycles de violences et de signatures vaines d’accords de paix, depuis l’accord d’Abidjan de 1996 qui devait garantir le retour à la stabilité et prévoyait déjà la mise sur pied d’une CVR1. Ce qui n’empêcha pas le pays de retomber dans la spirale de violence jusqu’à la signature des accords de Lomé de 1999. Ces accords ne mettront pas fin à la spirale de violences et les confrontations entre factions rebelles s’intensifieront jusqu’en 2002 avec une extension transfrontalière aux pays limitrophes que sont le Liberia, la Guinée, la Côte d’Ivoire.
C’est en 2002 que le projet de création de la CVR sierra-léonaise s’est concrétisé et est devenu opérationnel. Sa création, faisait partie intégrante des accords de paix entre les protagonistes (l’État et les milices rebelles) avec un mandat très ambitieux, lui offrant une marge de manœuvre considérable, elle avait pour mission de : « créer un registre historique impartial des violations et des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire liées au conflit armé en Sierra Leone ».
Elle s’est donnée comme objectif, le rétablissement et l’amélioration des institutions judiciaires par l’accès à la justice des mineurs et leur protection.
La dimension pénale a eu des répercussions sur le processus de réconciliation et des effets contre-productifs, du fait que certains témoins étaient donc réticents à témoigner. Ils craignaient d’être dans le viseur de la justice pour avoir témoigné ou d’être violentés par des bourreaux en liberté.
L’EXPÉRIENCE LIBÉRIENNE DE LA RÉCONCILIATION
Les origines immédiates de la guerre peuvent être attribuées à l’effondrement de l’ordre public et de l’autorité civile, qui a suivi le renversement en 1990 du régime de Samuel Doe. Les causes lointaines sont liées à la gestion clanique du pouvoir par différents gouvernements depuis plusieurs décennies.
La CEDEAO (Communauté Economique Des États de l’Afrique de l’Ouest), préoccupée par cette situation et conformément aux dispositions du (Protocole d’Assistance Mutuelle en matière de défense)7 a mis en place une force appelée ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group) ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO dont la mission était de créer un cordon de sécurité de 20 kilomètres autour de Monrovia afin d’éviter un bain de sang. Mais l’évolution du conflit a fait de l’ECOMOG une force d’interposition.
En août 1990, quatre bataillons d’infanterie, envoyés par seize pays de la CEDEAO, ont débarqué sur les côtes du Liberia déchiré par la guerre civile. Bien que le Protocole d’Assistance Mutuelle en matière de défense précise que la CEDEAO n’a pas vocation à intervenir dans les affaires intérieures d’un pays, la Communauté a estimé en cette circonstance que la sécurité sous-régionale était menacée.La Commission Vérité et Réconciliation (CVR) du Liberia a travaillé trois ans. Elle a recueilli près de 22000 témoignages écrits et entendus quelque 500 victimes dans le pays et dans la diaspora, avec une particularité : elle a centré ses activités sur les atteintes faites aux femmes et aux enfants.
En ce qui concerne la CVR libérienne, elle a pris forme en 2005, après la guerre, suite à la signature de l’accord de Paix Global (APG) à Accra, au Ghana, le 18 août 2003, qui a marqué la fin de plus d’une décennie de guerre civile au Liberia. Son mandat était de promouvoir la paix, la sécurité, l’unité et la réconciliation nationale et de faire des investigations sur les violations de droits humains durant la guerre civile.
Dans son rapport final, la CVR préconise des mesures compensatoires mais elle recommande aussi l’établissement dans la capitale, Monrovia, d’un Tribunal pénal extraordinaire pour le Liberia chargé de poursuivre les huit principaux ex-chefs de guerre. Parmi eux figure Charles Taylor, condamné par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone à une peine de 50 ans, mais aussi Prince Johnson, sénateur dans le comté Nimba (nord) depuis 2005.
CONCLUSION
Les expériences sierra-léonaise et libérienne de CVR ont chacune des spécificités et des points de convergences en ce sens que les différentes racines des conflits sont généralement l’inégalité et l’exclusion sociale et l’accès au pouvoir et aux ressources naturelles. Les modes de manifestation et l’intensité conflictuelle varient souvent en fonction des acteurs impliqués.
Les profils historiques des différentes CVR témoignent de la complexité des processus, en ce sens que la majeure partie des pays qui ont entamé des processus de réconciliation ont connu des échecs et qu’il fallait, en tout cas, attendre plusieurs années pour une concrétisation. Ces échecs ne doivent pas justifier le manque de volonté des politiques puisque l’expérience sud-africaine a, elle, démontré que la volonté politique et la légitimité des acteurs engagés dans le processus sont une condition inaliénable pour une paix durable.